Sapiens était-il communiste ? (ou anarchiste, pacifiste, féministe, écologiste ?)

À propos de d’Homo Sapiens (1), on aura tout entendu!

Les chasseurs de la Préhistoire étaient-ils communistes ? Pendant un siècle, la thèse a été tenue pour évidente. Les chasseurs-cueilleurs vivaient dans des sociétés égalitaires, l’absence d’agriculture et d’élevage ne permettant pas d’accumulation et de stockage et donc d’enrichissement des uns au détriment des autres. Sauf que l’idée a du plomb dans l’aile. Il a existé des sociétés de chasseurs-cueilleurs très inégalitaires, comme celle de la côte ouest de l’Amérique qui était dominée par des castes nobles qui accumulaient les biens (fourrures, stocks alimentaires, monnaies d’échange). Et certaines sépultures richement ornées de la Préhistoire suggèrent (10 000 ans avant Lascaux) qu’il y avait déjà des gens nobles et riches.

À lire
« Le Discours sur l’origine de l’inégalité relu et corrigé », L’Humanologue n°2. 

Étaient-ils anarchistes ? L’anthropologue Pierre Clastres, dans la Société contre l’État (1975), soutenait que les chasseurs-cueilleurs avaient mis en place des dispositifs pour interdire l’apparition de chefs héréditaires. La thèse, bien que critiquée, a été remise au goût du jour récemment par les anthropologues de tendance anarchiste[2] (comme David Graeber ou James Scott). Ils s’appuient sur le cas des peuples amérindiens (des Iroquois aux Indiens Guarani d’Amazonie) qui vivaient dans des sociétés sans instance de pouvoir stable.

Mais il est tout de même difficile de généraliser le constat. Ce serait faire peu de cas des nombreux peuples premiers hiérarchisés  – des gérontocraties des Aborigènes d’Australie aux sociétés à « big men » de Nouvelle-Guinée en passant par les chefferies héréditaires et même des théocraties esclavagistes (comme les Natchez du Mississipi).

À lire
« Big men, aux sources du pouvoir », L’Humanologue n°2.
« Comment les humains ont été domestiqués », L’Humanologue n°4.

Sapiens aurait-il été féministe ? L’idée est à la mode. Pourquoi ne pas imaginer une « lady sapiens »  qui chasse, combat, peint sur la paroi des grottes et s’arroge les postes de chamanes[3] ? Sauf que cette sympathique idée de superwoman primitive, libre et puissante, a peu de données tangibles à se mettre sous la dent. Et il est facile de lui opposer la quasi-omniprésence de la division du travail et d’une domination masculine dans les sociétés de chasseurs connues.

À lire
« Le matriarcat a-t-il vraiment existé ? » et « De la loi des mâles à l’histoire du patriarcat », L’Humanologue n°4. 

Sapiens était-il pacifiste ? Les archéologues ont longtemps pensé que la guerre était une invention récente de l’humanité. Elle serait apparue au Néolithique ou même plus tard, à l’époque de l’âge du bronze, date où on voit apparaître des armes, des fortifications et des charniers. Quant aux anthropologues, ils considéraient que les conflits au sein des sociétés sans État se réduisaient à des escarmouches plus symboliques que meurtrières. Mais les données archéologiques récentes et l’analyse minutieuse des conflits guerriers chez les peuples premiers ont fait voler en éclat la thèse des sociétés primitives pacifiques.

«Les deux naissances de la guerre», L’Humanologue n°7.

Étaient-ils écologistes ? Vivant au contact de la nature, les peuples premiers entretiendraient, dit-on, un rapport harmonieux avec leur environnement. L’hypothèse est sympathique mais est-elle vraie ? Nous aurons l’occasion de voir dans un prochain billet comment les Indiens d’Amérique ont provoqué des massacres de bisons, décimé des populations de castors, défriché des forêts entières et peut-être même exterminé des populations entières de gros mammifères.  Ce qui écorne un peu l’image d’un harmonieux équilibre. Dans les prochaines livraisons, nous allons reprendre une à une les pièces du dossier.

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Notes:

1) Convenons ici d’appeler Sapiens, les chasseurs cueilleurs de la Préhistoire (ceux du temps de Lascaux, qu’on appelait autrefois Cromagnon) même si vous et moi sommes toujours des Sapiens.

2) David Graeber et David Wendrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité. 2021. James C. Scott, Zomia ou l’Art de ne pas être gouverné, (2013).

3) L’idée d’une «  Lady sapiens » femme puissante et émancipée a fait l’objet d’un livre et d’une documentaire télévisé en 2021. La thèse a été contestée par des archéologues et anthropologues. Voir « Lady Sapiens, stéréotype féminin préhistorique contesté ». Voir aussi : Anne Augereau et Christophe Darmangeat, Aux origines du genre, Puf, 2022.