Christoph Koch a perdu son pari… En 1998, lors d’un débat animé (et quelque peu alcoolisé) dans un bar de Brème, le neuroscientifique avait parié une bonne bouteille au philosophe David Chalmers, que dans les 25 ans à venir les neurosciences parviendraient à résoudre le problème de la conscience.
Pari perdu !
Les 25 ans ont passés et les deux hommes se sont retrouvés à New York, en juin 2023. Christoph Koch a reconnu sa défaite et a remis officiellement à D. Chalmers, la bouteille promise.
L’énigme de la conscience :
rendez-vous dans 25 ans !
Il y a 25 ans en 1998, les études en neurosciences étaient déjà en plein essor grâce aux nouveaux outils d’IRM. La possibilité de comprendre les mécanismes cérébraux de la conscience semblait à portée de main. L’heure était à l’optimisme. Il suffisait de mettre au point des outils plus performants et on allait enfin percer une des plus grandes énigmes scientifiques qui soit : la conscience.
Mais pour David Chalmers, philosophe de l’esprit, connu pour son livre L’esprit conscient, à la recherche d’une théorie fondamentale (1996), l’espoir des neurosciences était voué à la déception. Certes, elles pouvaient prétendre à localiser l’activité cérébrale associée à une activité de conscience, mais autre chose était de résoudre ce « problème difficile » : comprendre pourquoi certaines activités sont conscientes et d’autre non. Pourquoi je peux écrire ce texte sans être conscient du mouvement des doigts sur le clavier (et à la limite écrire sans regarder l’écran), mais je ne pourrais écrire un paragraphe sans avoir consciemment à l’esprit ce que je veux dire. Relier une activité cérébrale à son contenu phénoménal (pourquoi faut-il que cette activité soit ressentie consciemment), voilà le problème difficile à résoudre.
Après 25 ans et de nombreuses expériences menées pour tenter de départager deux modèles de la conscience[1], Christoph Koch a dû admettre sa défaite. Il a donc remis officiellement et sous l’œil des caméras un bouteille de vin à David Chalmers. Mais sans s’avouer totalement vaincu. Rendez-vous a été pris pour dans 25 ans…
1) Précisément, il s’agissait de trancher entre la « théorie de l’information intégrée (IIT) » et « la théorie de l’espace de travail neuronal global (GNWT).
Comprendre le fonctionnement de la pensée – l’intelligence, l’imagination, le langage ou la conscience – en explorant les méandres du cerveau est l’un des buts affichés des neurosciences. Soigner Alzheimer et Parkinson est un autre défi des neurosciences. Voilà pourquoi de gros espoirs et de gros moyens associés ont été investis dans les neurosciences depuis une génération.
Et les résultats sont plutôt maigres. Malgré les gros moyens accordés à la recherche sur le cerveau, force est d’admettre qu’aucune grande découverte ni aucun débouché thérapeutique ne sont venus couronner les efforts.
Pour les États, le pari sur les neurosciences a coûté bien plus cher qu’une bouteille de bon vin. En 2013, les États-Unis et l’Europe lançaient parallèlement deux projets d’envergure : le Brain Initiative (projet américain) et le Human Brain Project (européen), tous deux dotés de moyens considérables (plusieurs centaines de millions de dollars). Le but affiché : cartographier et modéliser le cerveau humain pour en produire un Atlas détaillé. L’idée générale ressemble à celle du séquençage du génome : si on réussit à cibler chaque réseau de neurones en activité avec précision, on pourra en comprendre les fonctions. Et donc comment fonctionne la machine cérébrale. Du côté américain, le résultat de la Brain initiative n’a rien de glorieux : on continue à chercher et à creuser. Le silence sur les découvertes promises est évocateur. Derrière la communication institutionnelle sur les « avancées en cours », on peine à identifier des découvertes autres qu’une «connaissance plus fine des mécanismes de la vision» ou une « simulation plus précise du cerveau de la souris ». En fait, aucune découverte majeure – ni mineure – n’est à mettre au crédit d’une entreprise qui a déjà coûté près d’un milliard de dollars et mobilisé des dizaines de laboratoires.
Quant au projet européen, le verdict vient de tomber : la montagne a accouché d’une souris. L’Atlas du cerveau promis initialement n’a été que partiellement réalisé. Mais surtout, on se demande à quoi il sert. Les zones cérébrales ont été cartographiées avec beaucoup de précision. Mais pour quel résultat tangible ? Dès 2019, les critiques commençaient à circuler sur les failles du projet. [1] Dans In silico, un documentaire réalisé en 2020, les chercheurs impliqués dans le projet européen confiaient leurs doutes : ils avaient du mal à voir les résultats généraux d’une myriade de données parcellaires et surtout ils avaient, au terme de leur enquête, « plus de questions que de réponses sur le fonctionnement du cerveau ».[2]
Alexandre Pouget, chercheur en neuroscience de l’Université de Genève, reconnaît d’ailleurs que le bilan global est plutôt décevant. « Indéniablement, il y a quelques beaux résultats qui sont sortis, à commencer par cet atlas du cerveau qui était une cartographie assez précise du cerveau humain ». Avant d’ajouter « Mais la grande question qui se pose c’est : est-ce qu’il y a assez de résultats pour justifier un investissement qui était absolument pharaonique ? »[3].
1) « The Human Brain Project Hasn’t Lived Up to Its Promise », The Altlantic, 2019, en ligne
3) « Le Human Brain Project touche à sa fin, avec un bilan contrasté ».
Traitement Alzheimer, après trente ans d’échec, de nouvelles pistes ?
Les causes de la maladie restent inconnues. La maladie n’est pas héréditaire et on ne connaît pas de causes environnementales. Ce que l’on sait avec certitude est qu’elle est associée à une accumulation progressive d’une protéine – protéine bêta amyloïde – dans les neurones. Cette protéine, naturellement présente dans le cerveau, s’accumule au fil des années pour finir par former des dépôts qui perturbent une autre protéine, la protéine tau, entraînant une dégénérescence et la mort des neurones. Ce processus est lent et s’installe bien avant les premiers symptômes cognitifs de la maladie (perte de mémoire puis déclin cognitif).
Une nouvelle génération de molécules, tout juste mises au point par des laboratoires américains, suscite de nouveaux espoirs : trois nouveaux traitements viennent de recevoir l’autorisation de la FDA, l’agence américaine des médicaments. [1]
Rien de vraiment spectaculaire : ces traitements ne guérissent pas de la maladie, mais ralentissent l’accumulation de la protéine amyloïde. Ces traitements reposent sur l’injection (par voie intraveineuse) d’anticorps monoclonaux qui ont pour effet de retarder les dépôts amyloïdes. Les premiers traitements réduisent le dépôt mais n’ont pas d’effet sur le déclin cognitif. Pour l’autre médicament, le déficit cognitif est ralenti. Ajoutons que le traitement normal n’a d’effet que s’il débute avant l’apparition des symptômes cliniques. Quand les signes sont trop manifestes, il est donc trop tard pour intervenir.
Faut-il y voir tout de même un début de traitement après des décennies de faux espoirs et d’échecs répétés ? Yves AGID, directeur scientifique de l’institut du cerveau, reste très prudent. Pour lui, il n’est pas sûr que les anticorps monoclonaux correspondent à un tournant décisif. Si les dépôts sont ralentis, les signes cliniques d’amélioration n’existent que pour un seul des traitements. Pour Yves AGID, les échecs successifs de cette voie de recherche invitent à envisager les choses sous un autre angle que le seul fonctionnement des neurones. Pour lui, les neurones ne sont pas les seuls responsables du dysfonctionnement cérébral. La moitié des cellules cérébrales ne sont pas des neurones mais des cellules dites «gliales» (dont les astrocytes) : ces cellules entourent les neurones, les nourrissent et modulent leur activité. Leurs actions mériteraient d’être prises en compte plutôt que de se focaliser uniquement sur les neurones comme on le fait depuis des décennies.
« Ce n’est pas avec l’imagerie cérébrale ou les techniques d’électro-encéphalogramme qu’on saisira ce qui se passe dans le cerveau des malades pour comprendre l’origine de ses pathologies, il faut savoir ce qui se passe à l’échelle cellulaire et moléculaire. » (« Changeons notre fusil d’épaule pour faire avancer la recherche ». Sciences et Avenir, n°919, sept 2023 )
(1) L’anucanumab du laboratoire Biogen, 2021, le lecanemab (2023), et donaemald du laboratoire Eli Lilly (demande d’autorisation en juillet 2023)
À lire dans L’Humanologue
- La conscience en question, L’Humanologue n°7.
- Le cerveau, 150 ans d’exploration, L’Humanologue n°4.
En tant que neurophysiologiste du comportement, J’ai toujours été mal à l’aise avec la manière de cibler le plus petit – donc le plus simple agent d’une pathologie pour lutter contre ses effets, voire pour la maîtriser.
Si l’on me répond avec l’argumentation de la vaccination, je dirais que c’est une lutte indirecte dont l’efficacité a reposé sur l’identification d’un agent pathogène et des modalités par lesquelles l’organisme luttait contre son action. Tout un détour épistémologique qui donne à penser que ce détour demande plusieurs efforts, souvent séparés pour en comprendre le chemin et approcher la solution. Toujours le double sens du terme de solution de continuité.
La biologie dite moléculaire dont certains collègues attendaient qu’elle détrône cette « brave vieille physiologie » offre certainement des pistes d’approche, mais pas tout le chemin.
L’intérêt d’étudier la conscience propose également des détours qui sont autant de questions dont les réponses sont en fait des reformulations.
bref, …
Bonjour
Suis-je abonné à l’Humanologue?
Sinon indiquez moi la procédure à suivre! Merci
Le problème était mal posé : la conscience n’est pas un phénomène en tout ou rien. Voir William James , déjà au début du siècle précédent : « Does consciousness exist? »
Vous pouvez aussi voir mon livre (Odile jacob 2018) « Cours de philosophie biologique et cognitiviste. Spinoza et la biologie actuelle » (avec la référence de l’article de W.James), en particulier les chapitres sur les neurosciences.
Cordialement,
Henri Atlan
Il serait bon de lire les livres de Stanislas Dehaene du Collège de France avant de conclure sur les résultats négatifs des américains.