La notion de charge mentale a fait irruption dans le vocabulaire courant avec la BD de Emma « Fallait demander » (2017). La jeune femme illustrait de façon très concrète non seulement que les tâches domestiques sont inégalement réparties entre hommes et femmes (ça, on le savait déjà) mais aussi que ce travail implique une mobilisation psychologique qui ne se résume pas à l’activité elle-même, mais qui implique également toute une série de pensées en amont.
Nos activités quotidiennes – qu’elles soient domestiques ou professionnelles – même lorsqu’elle sont répétitives, comportent un coût humain caché. Il ne suffit pas d’habiller les petits avant de partir à l’école : il faut d’abord s’assurer d’avoir des culottes et des chaussettes propres. Il a donc fallu penser à mettre en route le lave-linge, et préalablement à acheter de la lessive. Il ne suffit pas d’avoir à préparer le petit déjeuner, il faut d’abord s’assurer qu’il y ait dans le placard du lait, des céréales, etc. Avant de quitter la maison, il faut penser à prendre le téléphone portable, mais aussi le chargeur (mais où est-il passé ? Et les clés ?). L’accumulation de ces petites préoccupations ordinaires contribue à la charge mentale, surtout quand elle vient s’ajouter à des activités professionnelles déjà dispersées et chronophages.
Charge mentale : ce n’est pas que pour les femmes !
Lors de la sortie de l’album d’Emma, des hommes s’étaient indignés que l’on fasse de la charge mentale un problème typiquement féminin. Le partage des tâches est une réalité de certains couples. Un divorce, une séparation entraîne aussi une certaines égalisation des tâches : papa doit maintenant s’occuper seul de sa progéniture des journées entières.1
La notion de « charge mentale » avait déjà été repérée par les sociologues du travail sous le nom de « charge cognitive ». Ses causes sont liées à plusieurs phénomènes conjugués.
Tout d’abord, l’intensification et le diversification des tâches qui touche un grand nombre de professions2, (qu’elles soient occupées par des hommes ou des femmes). Ensuite, l’importance croissante des écrans, du flot d’informations, d’alertes, de messages qui nous parviennent et contribuent au zapping mental. Enfin, l’incessante accumulation de choses à penser.
Quand la machine à penser s’emballe
Si la « charge mentale » a eu un écho important, c’est qu’elle vise juste et touche un problème sensible. Les causes en sont connues : les femmes actives cumulent l’essentiel des tâches domestiques et une activité professionnelle. Les activités professionnelles se sont enrichies, complexifiées et intensifiées.
Et cette charge conduit au « syndrome de la dispersion » et ses pathologies associées : stress, fatigue, burn-out, perte de sens… Ce qui fait le succès de méthodes telles que la méditation du « lâcher prise » et même des manuels anti-prise de tête ».3
Il y a un autre versant du problème. L’agitation mentale tient à quelque chose de très profond dans la nature humaine. Par nature, les humains sont « plongés dans le temps » (Heidegger). La capacité à anticiper, à imaginer le futur, examiner les scénarios possibles, bref se préoccuper de l’avenir et comment l’aborder est constitutif du psychisme humain. C’est même le propre de l’homme.
L’essentiel de nos activités quotidiennes sont tournées vers le futur. Dès le réveil, il faut se projeter dans la journée à venir et anticiper. Et aux tâches du jour s’ajoutent les prévisions des jours, des semaines et des mois à venir.
Nos vies actuelles imposent de mener en parallèle plusieurs types d’activités (travail, famille, vie domestique, projet personnel). Mais de surcroît, chacune implique des anticipations sur plusieurs horizons et temporalités : l’heure qui vient, la journée en cours, les jours suivant, le moyen et le long terme. Les supports de mémoire: agenda, post-it, to do list viennent en renfort. Mais cela ne suffit pas à mettre le cerveau au repos. Le cerveau gère l’agenda à sa manière : avec des clignotants intérieurs qui envoient de petites décharges d’adrénaline. Le cerveau aborde le temps non pas de façon neutre et infaillible mais sous forme de rêveries, d’attentes, d’espoirs, de peurs, de soucis, de préoccupations, d’oublis et de signaux d’alerte.
Si on veut comprendre la charge mentale et comment y faire face, il faut en comprendre les logiques profondes. Ce à quoi s’emploie L’Humanologue dans son dernier numéro « À quoi tu penses ? »
- L’OBS « Charge mentale, attente : ça concerne les hommes (aussi) » ; et « Les femmes sont-elles vraiment plus touchées que les hommes par la charge mentale ? France Inter publié le 5 février 2019. [↩]
- « Travail le syndrome de la dispersion », Jean François Dortier, Sciences Humaines, 2015. [↩]
- « On est foutu, on pense trop ! » Serge Marquis ; « Je pense trop, Comment maîtriser ce mental envahissant », Christel Petitcollin ; « J’arrète de trop penser » , Béatrice Lorant, etc. [↩]
Je suis actuellement en retraite. Mon métier, ma fonction était Gestionnaire comptable dans un Collège (en ZEP de surcroit). Ce qui signifiait responsabilité de la sécurité, de l’entretien, des commandes (de la restauration en particulier), de la gestion budgétaire, et de la comptabilité financière et au début du suivi des rémunérations. Ce qyui aurait pu être un intérêt par sa diversité est devenu pour moi un enfer dont je suis bien content d’être débarrassé (et pas que moi d’ailleurs). La charge mentale de ma famille a été concentrée sur mon épouse qui a travaillé soit à temps partiel soit à mi-temps.
Peut-on parler de « charge mentale » à propos d’activités programmées, ritualisées, pratiquement automatisées, comme par exemple l’enchaînement des actions en début de journée ? Les tâches répétitives n’engendrent pas une charge mentale excessive; les règles monastiques ont probablement pour but de dégager de l’espace de cerveau disponible pour dialoguer avec le divin.
Est-ce que l’inconfort, et même la souffrance, ne viennent pas d’une « surcharge mentale » causée par l’accumulation de tâches différentes à accomplir dans l’urgence sans ordre de priorité évident, ce qui donne l’impression d’une dispersion improductive, d’une confusion, d’une perte de sens ? Pourquoi ne pas évoquer aussi la « sous charge mentale » du travail aliénant et des « bullshit jobs »?
Peut-être faut-il apprendre à gérer au mieux sa charge mentale en acceptant un minimum de règles de vie répétitives et ennuyeuses pour consacrer un maximum de temps à notre bien-être et à la recherche de notre bonheur.
Il y a évidemment une solution radicale à cette question ; c’est s’arrêter de penser pour atteindre la charge mentale nulle. Certains esprits, et non des moindres, semblent y être parvenus, mais c’est un don quand même assez rare parmi les humains.
Merci Michka, j’ai trouvé très intéressante la notion de « sous chargé mentale ». Si on y pense bien, ce sont des taches peu intégrées dans notre individualité que nous ennuient les plus. Merci aux auteurs pour cette très bonne réflexion. On vit déjà une drôle de vie: plusieurs rôles, moins d’individualité.