L’anarchie n’est pas ce que vous croyez

Voici un livre qui mérite qu’on s’y arrête : Anarchie, l’implacable ascension de l’East India Compagny, de William Dalrympe, (éd. Noir et blanc, 2021).

L’auteur, historien et écrivain hors pair, nous raconte une histoire tragique et méconnue : celle de la Compagnie orientale des Indes britanniques. Cette société, fondée à Londres en 1600 est l’une des premières sociétés par actions, donc l’une des premières entreprises capitalistes de l’histoire. Une fois qu’elle eut établi ses comptoirs en Inde, la compagnie s’est progressivement emparée du pouvoir et a colonisé tout le continent indien. Oui, une société privée a réussi à s’emparer du pouvoir en Inde à partir des années 1750. En 1800, la Compagnie orientale des Indes s’était substituée au pouvoir impérial des Moghols, entretenait sa propre armée de 200 000 hommes et prélevait elle-même les impôts.

La conquête de l’Inde par cette société fut une « implacable ascension », comme l’indique le sous-titre du livre. Implacable, car la colonisation fut une pure entreprise de prédation qui a utilisé tous les moyens à sa disposition – la violence, la corruption – pour parvenir à ses fins : enrichir une poignée d’actionnaires résidant à Londres et qui n’avaient jamais mis les pieds en Inde.

Le mot-titre du livre « Anarchie » pourrait être trompeur. Il ne désigne pas une belle utopie autogestionnaire, mais décrit plutôt l’état de délabrement politique et social qui fut celui de l’Inde à partir de 1750. Une « grande anarchie » marquée par la désagrégation du pouvoir en place (celui des empereurs moghols) qui a permis une exploitation sans vergogne des populations indiennes par une firme privée.

« Cet ouvrage ne vise pas à fournir une histoire complète de l’East India Company, (…). Il tente de répondre à la question de savoir comment une société commerciale, basée dans un immeuble de bureaux londonien, a pu remplacer entre 1765 et 1803, le puissant Empire moghol à la tête du sous-continent indien ».