Éloge des électriciens
Il y a plus d’intelligence dans une machine à laver que dans tous les ouvrages de philosophie.
Pourtant, chacun connaît le nom d’une pléiade de philosophes – Socrate, Platon, Aristote, Descartes, Kant, Hegel ou Sartre. Mais qui connaît l’inventeur du moteur électrique qui équipe la machine à laver ? Et que sait-on de tout ceux qui ont découvert l’énergie électrique, l’ont domptée pour la transformer en cette force miraculeuse qui a bouleversé notre quotidien. Songez à ce que seraient nos vies sans la lumière électrique, sans les machines-outils le téléphone ou la machine à laver.
La découverte de l’électricité est un prodige de l’intelligence humaine. À la différence des énergies issues du feu, de l’eau ou du vent, le phénomène électricité est longtemps resté invisible. Il a fallu l’extraire des tréfonds de l’atome. Certes les Anciens connaissaient l’électricité statique : le mot électricité vient du grec elektron qui signifie « ambre » : l’ambre était cette pierre magique qui, une fois frottée, attirait les plumes. Ils connaissaient aussi les éclairs et la foudre, mais comment auraient-ils pu imaginer qu’il s’agissait d’un même phénomène : l’électromagnétisme ? Et comment savoir que cette force mystérieuse, cachée dans la matière, pouvait se transformer en lumière, en chaleur, servir à faire des calculs ou transformer des sons ou des images capables de voyager dans les airs ?
Il faut rendre hommage à ceux qui, au fil du temps, ont étudié, expérimenté, imaginé et inventé l’électricité, et en ont fait des ampoules, des machines, des radiateurs, des radios, des téléviseurs et des ordinateurs. Ils ont changé le cours de l’Histoire et nos vies. Ne méritent-ils pas d’être aussi connu qu’un Michel-Ange ou un Descartes, un Shakespeare ou un Picasso ?
Hommage donc à l’anglais William Gilbert (1544-1603), médecin du roi et de la reine d’Angleterre qui comprit le premier que l’électricité statique (le magnétisme) pouvait être tiré non seulement de l’ambre, mais aussi du verre et de certains métaux. Hommage à l’allemand Otto Von Guericke (1602-1686), physicien, inventeur et homme politique, qui soixante-dix ans plus tard, inventa le premier générateur d’électricité statique. Hommage à Stephen Gray, (1666-1736) teinturier et physicien qui découvrit que l’électricité pouvait circuler le long d’un fil de métal. Hommage à l’abbé Nollet (1700-1770), expérimentateur et vulgarisateur qui avec ses conférences – « causeries expérimentales » – fit connaître la magie électrique dans toute l’Europe. Hommage à l’Américain Benjamin Franklin (1706-1790),touche à tout de génie : écrivain, imprimeur, inventeur de la lunette à double foyer, découvreur du Gulf Stream et rédacteur de la déclaration d’indépendance des États-Unis. Il comprit que la foudre était de même nature que l’électricité et inventa du coup le paratonnerre.
Hommage aussi à l’italien Alessandro Volta (1745-1827) qui produisit la première pile électrique. Hommage au français André-Marie Ampère (1775-1836), autodidacte de génie qui prit conscience de la similitude entre le magnétisme et l’électricité et posa ainsi les bases de l’électromagnétisme. Ampère imagina aussi la possibilité du télégraphe, qui fut réalisé quelque temps plus tard : le russe Pavel Schilling (un diplomate) l’Anglais William F. Cooke (un soldat anglais de l’armée des Indes), l’américain Samuel Morse (également peintre et sculpteur) et bien d’autres en ont amélioré le procédé.
Hommage encore aux deux amis, Michael Faraday (1791-1867), ingénieux autodidacte, et l’écossais James C. Maxwell (1831-1879), mathématicien de génie qui découvrit les lois de l’électromagnétisme. Hommage à Thomas Edison (1847-1931) et à tous ceux qui ont participé à la mise au point de l’ampoule électrique (voir encadré), du phonographe ou du téléphone. Hommage aussiàGeorg Ohm (1789-1854),Henrich Hertz (1857-1894), Nikola Tesla (1856-1943). Hommage enfin à tous les inventeurs méconnus de l’électronique, du transistor, du circuit intégré, des composants des cartes à puces…
Combien a-t-il fallu d’hypothèses, d’expériences, d’heures de travail, de nuits sans sommeil, de labeur et d’ingéniosité pour parvenir à cette magie quotidienne : appuyer sur un interrupteur pour que lumière apparaisse, puis sur un autre pour qu’une voix ou une image surgisse du néant, et sur un simple programmateur pour que la machine à laver se mette à tourner.
Rendre hommage à ces pionniers de l’électricité n’est pas simplement réparer une injustice, c’est aussi proposer une autre lecture de l’histoire. Une vision qui ne fasse pas la part belle qu’aux hommes politiques, militaires, prophètes, artistes, écrivains et philosophes mais qui donne leur juste part aux savants, inventeurs, ingénieurs qui ont participé à la mise au point de cette fabuleuse technique qui a changé toutes nos existences. N’oublions pas aussi ces innombrables techniciens et monteurs qui tirent les câbles reliant nos villes, nos maisons et nos machines, et qui font fonctionner tout ce qui nous éclaire, nous chauffe, nous transporte, nous informe.
Redisons-le : il y a plus d’intelligence dans une machine à laver que dans tous les ouvrages de philosophie.
L’édifiante histoire de l’ampoule électrique
Il a fallu pratiquement un siècle entre la première ampoule électrique (1835) et les premières ampoules commercialisables à grande échelle ! Entre-temps, les ingénieurs se sont penchés sur les types de filaments, sur le gaz à introduire dans l’ampoule, sur la construction de centrales électriques (n’oublions pas que la petite ampoule n’est rien sans un générateur), sur l’emploi d’un type spécifique de courant – ce qui a donné lieu à une mémorable guerre des « courants » opposant la technologie du courant continu (défendue par T. Edison) à celle du courant alternatif (promue par N. Tesla).
En 1879, le brevet d’ampoule à incandescence que dépose Thomas Edison de 1879, ne marque pas la fin de l’histoire. Le filament de coton qui permet à l’ampoule de fonctionner a une durée de vie de seulement une demi-journée.
Dans les années suivantes, avec son équipe d’ingénieurs, T. Edison découvre un filament à base de bambou : la durée de vie est décuplée et passe de 14 heures à 1 200 heures. Puis viendra le filament de tungstène (en 1904) et les contemporaines ampoules LED, réputées pour leur très basse consommation et leur longue durée.
Tel est le paradoxe des grandes innovations de rupture : au début elles sont inefficaces, peu fiables, très coûteuses et leur technique semble donc condamnée. L’ampoule électrique aura ainsi mis presqu’un siècle (tout le 19e) pour s’imposer.
L’ampoule de Livermore :
Il existe ,à la caserne de pompiers de Livermore (en Californie), une ampoule plus que centenaire qui fonctionne en continu depuis 1901 ! Produite par l’entreprise Shelby Electric Company (Ohio), elle n’a jamais grillé.
Peu de gens savent que Nikolai Tesla a effectué au Québec, plus précisément entre Tadoussac et le Lac-Edouard (La Tuque), des expériences sur la transmission d’électricité sans-fil par le sol. Ces travaux auraient été supportés financièrement par le financier J.P. Morgan, qui lui offrait alors son wagon de chemin de fer privé comme laboratoire. Le dernier assistant connu de Tesla (Mr Bradley ?), serait décédé à Québec sans que ses témoignages puissent aider les spécialistes du Conseil de la recherche scientifique du Canada à décoder certains des carnets de laboratoires de Tesla conservés par le CNRS, dont certains, spécifiques à des expériences effectuées au Québec, après que des expériences semblables lui eurent mérité l’expulsion de villes américaines qui l’accusaient d’avoir sérieusement perturbé leurs toutes récentes installations de distribution d’électricité. JAMB
Merci JAMB pour cette épisode méconnu de l’histoire de l’électricité. N Tesla est un génie encore trop justement méconnu alors que ses contributions sont largement égales à celle d’Edison (qui l’a maltraité)… Globalement l’histoire de l’électricité est une aventure extraordinaire qui reste à raconter et donc bien des facettes sont encore à découvrir, comme le montre votre exemple de transmission d’électricité par la sol…
Jean François
Inspecteur, travaux aériens, fier pionnier de cette première mondiale qu’a été la construction de la ligne à 735,000 volts d’Hydro-Québec reliant le complexe Manicouagan – Outardes à Montréal, mise en service en Octobre 1965. JAMB
Bravo a vous JA Michel. Vous apportez la vraie lumière. Vous êtes mon héros !
J’ai tout de suite allumé mes ampoules et mes générateurs électrostatiques, fait tourner mes moteurs à induction lorsque j’ai vu qu’un «Éloge de l’électricité ( et des électriciens) » était apparu dans l’Humanologue.
Passionné par l’histoire de l’électricité ( merci à Mr Louis Leprince-Ringuet ), je me suis intéressé toute ma vie au passé, présent et futur de la fée électricité. Du Palais de la Découverte, au CNAM, à la Cité des Science et sur l’Internet, j’ai pu satisfaire le besoin d’en savoir plus sans jamais me lasser des histoires merveilleuses des inventeurs et de leurs cabinets de curiosités
Je suis médecin, mais aussi fier d’être un électricien dans l’âme.
Cher Lyonel. Nous voilà donc un petit club de supporters de l’électricité et des électriciens. Entre nous, le courant va passéer!
Lorsque j’étais adolescente j’avais produit une dissertation sur ce sujet, passionnant. Je me rends compte qu’il n’y avait pas en 1960 une accessibilité aux sources d’informations dont on dispose aujourd’hui…
Et si c’était le cas aujourd’hui je ne vois pas ce que je pourrais faire de mieux que de copier cet article. Sauf défendre le point de vue pratique et esthétique des utilisateurs, qui m’importait et m’importe encore aujourd’hui .