En cette fin du mois de juin 2021, l’horizon semble s’éclaircir. En France et dans le monde, le nombre de malades baisse fortement, les mesures de confinement sont progressivement levées. Un optimisme raisonné semble possible. L’été sera plus tranquille et si, à l’automne, une nouvelle vague survient, la vaccination peut laisser espérer que l’épidémie sera mieux contenue.
Bref, la sortie de crise est en vue.
Cette pandémie mondiale laissera sa marque dans les mémoires et dans les livres d’histoire. Un an et demi après son déclenchement, quelles leçons peut-on déjà en tirer ? Les crises sont des révélateurs. Elles indiquent la capacité des sociétés, des groupes humains et des individus à affronter les épreuves.
Personnellement, je relève à cette étape quatre enseignements majeurs.
La politique a repris la main sur l’économie
Avant 2020, il était courant de penser que l’argent menait le monde. Face aux puissances de l’économie – le marché, le capitalisme, la mondialisation – les États semblaient désormais impuissants.
Or, presque partout dans le monde, les gouvernements ont décidé de mettre à l’arrêt des pans entiers de leur économie (clouer les avions au sol, fermer les boutiques, les restaurants, les cafés,) pour empêcher la propagation de l’épidémie. Si certains (Donald Trump ou Jair Bolsonaro) ont traîné des pieds dans leur pays, des gouverneurs (ceux des États de New-York et de Sao Paulo) ont pris des initiatives drastiques. Au final, de l’Inde aux États-Unis, de l’Europe à l’Afrique, des mesures de confinement ont été mises en place.
Il reste à analyser les raisons de ces interventions volontaristes. Ont-elles été guidées par des raisons purement sanitaires (pour sauver des vies) ou par peur du chaos (empêcher le débordement dans les services hospitaliers) ? On peut en discuter. Mais le fait est là : les gouvernements ont repris la main, au moins provisoirement, sur l’économie. Cela n’a rien d’évident.
L’économie ne s’est pas effondrée
La mise à l’arrêt des économies nationales a provoqué une chute historique du PIB mondial. On n’avait pas vu cela depuis les années 1930. Mais, et c’est là une surprise, contrairement aux années 1930, ce choc majeur n’a pas entraîné de scénario catastrophique. Selon les théories de l’effondrement actuellement en vogue (voir L’Humanologue n°2), une crise économique majeure devait entraîner des effets systémiques. Selon la « théorie des dominos », la crise dans un secteur (la finance, l’industrie, le commerc) devrait provoquer des réactions en chaîne : faillites, crises sociales majeures, révoltes, crises politiques, guerres civiles, etc. Or, si des nombreux secteurs économiques ont souffert, si on a assisté à des révoltes sporadiques, l’effondrement généralisé n’a pas eu lieu.
La baisse de la production n’a pas entraîné de krach financier. Au contraire, les bourses se portent au mieux. La crise au sein des secteurs touchés de plein fouet (l’aéronautique, le tourisme, la construction navale) ne s’est pas propagée sur les autres secteurs. Globalement, les économies ont plutôt bien résisté à un choc qui est pourtant d’une ampleur inédite.
Pourquoi ?
On connaît la réponse. Des dépenses faramineuses ont été faites par les gouvernements pour venir en aide aux entreprises, aux salariés et aux personnes les plus démunies. Les chiffres donnent même le vertige. Ce sont des milliers de milliards d’euros, de dollars, de yens, de roupies, et de yuans qui ont été mobilisés.
D’où vient tout cet argent, alors que les caisses des États étaient vides ?
Ces dépenses ont pour source un endettement massif : dette auprès des banques centrales (FED, BCE) et auprès des marchés internationaux. Cet « argent magique » est-il un remède miracle ou un poison à long terme ? Est-ce un mécanisme vertueux de soutien à la croissance ou une bombe à retardement ? Faudra-t-il rembourser et faire porter le lourd fardeau aux générations à venir, annuler cette dette ou la faire disparaître par l’inflation ? Les économistes eux-mêmes sont divisés sur la question. Seule l’histoire nous dira qui a raison et qui a tort.
En attendant, force est d’admettre que le remède a fonctionné.
L’an 2020 aura même été un tournant dans les politiques économiques. Certains n’hésitent pas à parler de la « fin du néo-libéralisme » et du retour au « keynésianisme ». En tous cas, les gouvernements semblent avoir tiré les leçons des crises de 1930 et 2008. Plus question de pratiquer l’austérité comme en 2008. Même les banques centrales, pourtant gardiennes de l’orthodoxie financière, ont massivement investi dans le soutien de l’activité économique.
L’ampleur inédite des solidarités
Un troisième phénomène marquant est à relever : la puissance des dispositifs de solidarité. Pour l’essentiel, les malades, même non-couverts par les assurances sociales, ont été pris en charge par les unités médicales. Les victimes de la crise économique (les entreprises en difficulté et les salariés sans travail) ont bénéficié (en Europe, aux EU, et en Asie) d’aides massives des États.
Certes, tous les pays et toutes les populations ne sont pas égaux devant cette vaste entreprise de redistribution mais force est d’admettre que les dispositifs de solidarité ont été considérables.
La « solidarité » ne se réduit d’ailleurs pas aux actions généreuses des bénévoles qui se sont portés au secours des malades et des démunis. Cette assistance spontanée a été effective, massive et largement mise en scène durant les premiers mois de la crise sanitaire.
Mais d’autres grands dispositifs de solidarité sociale existent dans la plupart des pays développés. Ils reposent sur quatre piliers principaux :
- Les assurances sociales (sécurité sociale et mutuelles)
- Les politiques d’assistance (étatique, régionales, municipales)
- Les associations d’entraide (Restos du Cœur, Secours Populaire …)
- La solidarité familiale et interpersonnelle
L’action conjointe de ces 4 piliers a amorti considérablement le choc social et humain de la crise. Ces quatre dispositifs cumulés sont peut-être sans équivalent dans l’histoire !
Il n’y a pas de « monde d’après »
Le bout du tunnel est peut-être là. Le jour d’après, c’est maintenant. Il ne sera ni « l’an 1 » d’une nouvelle ère dont rêvait les utopistes ni un simple retour au « business as usual ». Car malgré tout, beaucoup de choses ont déjà changé. À commencer par les nouvelles politiques économiques évoquées plus haut. D’autres effets seront sans doute sensibles : le télétravail va changer durablement les conditions de travail. Certains ont profité de la crise pour revoir leur priorité ou déménager. Le monde dans lequel nous entrons n’est ni tout à fait le même ni tout à fait un autre.
Ce scénario n’a été prévu par personne. C’est une catastrophe inattendue mais qui ne s’est pas transformé en effondrement.
L’humanité s’est même découverte des capacités de résilience et d’adaptation insoupçonnées face à ce qui aurait pu déclencher un chaos généralisé.
Et c’est plutôt une bonne nouvelle.
Merci pour cette analyse fine et surtout positive. Il s’agit-là de « vraie » information et non de « bruit » comme on peut en entendre et en lire à satiété dans les médias.
Certes cette crise majeure a déjà précipité des changements dans nos comportements et pratiques collectives et individuelles : les déménagements vers la campagne ou des villes de taille moindre, le télétravail que vous mentionnez ; mais aussi le télé-enseignement, les visio-conférences, la préférence pour les produits locaux… autant de changements bénéfiques (moins de pollution,de pertes de temps et d’efficacité…) dont la nécessité a précipité l’apparition, en forçant les résistences et la peur du « nouveau ». Les individus et les organisations sont ainsi, il leur faut des crises majeures pour avancer !
Longue vie à l’Humanologue.
Constat, analyse, prévisions, tout cela éclaire avec pertinence une période aussi inattendue que dramatique de l’histoire du monde. S’agit t’il d’un moment décisif pour l’humanité ? Donnera t’il naissance à un renouveau salvateur ou inégalités, scandales financiers, corruptions et désastres écologiques perdureront ils ? Nous ne tarderons pas à le savoir.
Cela dit, les « Leçons ( provisoire), d’une crise) », font l’impasse sur le « vécu individuel ».
Chacun (e) a traversé ce moment à sa façon, plus ou moins confortablement, douloureusement, parfois positivement.
A titre personnel. J’ai la sensation qu’une année m’a été volée et après plus de huit décennies de vie, cela compte.
Bonsoir
je partage cette analyse; notamment dans le fait que le politique a repris la main sur l’économie; qu’il faille ou non rembourser la dette importe t il vraiment?
La situation de « sortie de crise » me fait penser à l’automne 1968, la situation de grève générale n’avait pas eu non plus les conséquences promise par les économistes du moment; l’économie avait repris son rythme jusqu’à la crise pétrolière de 1973. Mais le monde aussi avait changé on avait le sentiment d’avoir changé d’époque …
Pierre
L’ombre de la crise couve toujours ,certains pays (en Afrique) n’arrivent pas à s’en sortir,le poids de la Dette ,déficit en vaccin ,lutte contre le terrorisme …demeurent un handicap .
Quant aux pays occidentaux ,leurs économies sont au ralenti ,toujours le problème d’adaptation se pose ,le télétravail en phase d »expérimentation charriant ses conséquences (chômage) ,menaces de nouvelles vagues … Nous retirons comme conclusion qu’il n’a pas eu de KRACH ,vrai, pas d’effondrement, mais la courbe est toujours en tendance …
On peut faire une lecture assez différente de ce bilan qui invite à un optimisme raisonné. L’économie, la production et les salariés ont été maintenus grâce à l’endettement public et à la planche à billet, ce qui pourrait entraîner prochainement un envol de l’inflation et une récession avec la hausse des taux d’intérêts. Par ailleurs le capitalisme de vigilance des GAFAM a largement tiré son épingle du jeu d’une crise sanitaire et économique qui aura été une aubaine pour ces multinationales; c’est plutôt à une sorte de grand « reset » comme le préconise Klaus Schwab, le grand ordonnateur du sommet annuel de Davos, que nous pourrions être tous conviés. Il faudra davantage de recul pour tirer des enseignements valables de la crise sanitaire en commencant par se demander s’il est agi d’une pandémie ou d’une syndémie.