« Il n’est de chagrin qu’une heure de lecture… »

« Il n’est de chagrin qu’une heure de lecture… »
    
Nuala O’ Faolain ne vivait pas vraiment parmi les humains. Elle s’était enfermée dans un monde de livres. Dans On s’est déjà vu quelque part, l’écrivaine irlandaise raconte que lorsqu’elle était enfant (dans les années 1950), elle s’échappait du monde en trouvant refuge dans les livres (elle a été élevée au sein d’une famille de neuf enfants par une mère alcoolique et un père absent). Très tôt, Nuala est tombée dans le puit sans fond de la lecture. Cette passion ne l’a jamais quittée. Devenue journaliste, elle est envoyée en reportage en Iran en 1978, en pleine révolution islamique. L’histoire se déroule sous ses yeux. Mais au cœur des événements, elle ne pense qu’à une chose : rentrer vite à l’hôtel pour retrouver Proust et la Recherche du temps perdu.
« La vraie vie est ailleurs. » On prête souvent à Rimbaud cette formule qui n’est pourtant pas de lui. Vous ne la trouverez nulle part dans son œuvre. L’expression la plus approchante, tirée d’Une saison en enfer, est « la vraie vie est absente ». C’est aussi cinglant, mais beaucoup plus désespéré.
Heureusement, Rimbaud avait tort. Car la vraie vie existe vraiment. Si, si ! La preuve ? Je l’ai vécue. J’ai rencontré le grand amour et j’ai la chance d’avoir une belle famille avec des enfants (et des petits-enfants) réussis. J’ai la chance de vivre ma passion en travaillant. Il faut ajouter à cela une création d’entreprise, quelques vrais amis, des collègues très aimables, une belle maison, une santé vaillante, le tout assorti d’une constitution morale qui vous rend résilient aux chocs.
Sauf que malheureusement tout cela a une fin. Après la trajectoire ascensionnelle vient irrésistiblement le déclin. Personnellement, j’ai pris conscience tardivement que j’allais mourir (la mort ne me fait pas peur ni ne m’angoisse : elle m’emmerde). Et juste avant, il y a pire : le déclin. Côté cœur, tout va encore très bien, mais côté corps, ça se dégrade à vue d’œil, car l’âge finit par tout gâcher, tout gâter. Côté business, les temps sont de plus en plus durs pour la presse. Et puis il y a forcément ces jours où une migraine, une dispute, une panne de voiture et un temps maussade viennent assombrir le tableau.
Que faire dans ces moments de blues et de doute ? Comme tout le monde, j’ai recours aux expédients traditionnels. L’action reste un excellent viatique : la technique du coup de pied aux fesses m’a toujours revigoré (« arrête de pleurnicher, relève-toi et prend les choses en mains »). Mais ça ne marche pas toujours. D’autres remèdes classiques ont été labélisés au fil des civilisations : les religions du salut, les philosophies du bonheur, les psychothérapies, les antidépresseurs, les soutiens sociaux. À chacun de se composer son cocktail en fonction de ce qui lui convient le mieux. Personnellement, à défaut de croire à la présence d’une divinité protectrice (« Jésus est là, il t’aime »), je fais appel à d’autres amis imaginaires. Mes livres.
Un coup de stress ? Je plonge dans les livres de cosmologie : ils m’aident à m’évader en pensée. Les histoires de trous noirs, de Big Bang et d’ondes gravitationnelles sont, pour mon ami Didier, une source d’angoisse. Moi, ils m’apaisent. Un coup de déprime ? Je garde à portée de main le témoignage de dépressifs. Philippe Labro a écrit un livre admirable Tomber sept fois, se relever huit. Il est toujours rassurant de savoir que d’autres sont allés beaucoup plus bas que soi et en sont revenus. Mes idées s’embrouillent et je ne comprends plus rien à rien ? Quelques pages d’Aristote, et tout se remet d’aplomb : ce type est si intelligent qu’il en est contagieux. En cas de spleen, bien mieux qu’une séance de médiation, quelques pages de Christian Bobin sera la garantie de retrouver un îlot de sérénité. « ( Je pense à quelque chose, mais je ne sais pas à quoi. », Autoportrait au radiateur (2000).
Le pouvoir guérisseur de la lecture est puissant. On appelle cela aujourd’hui la « bibliothérapie ». Et il est des listes de livres qui font office d’ordonnance. « Il n’est de chagrin qu’une heure de lecture n’ait suffi à dissiper » a écrit Montesquieu. C’est exagéré, mais il y a quelque chose de juste là dedans.

Quant à la formule de Rimbaud « La vraie vie est ailleurs. »,  Rimbaud ne l’a peut-être pas dit, mais c’est quand même bien vu ! 

3 réactions sur “« Il n’est de chagrin qu’une heure de lecture… »

  1. Bonjour et merci !
    Oui, la lecture racine, la lecture source, la lecture allègement
    et en avant, doucement, avec le poids des ans…
    joyeusement , poétiquement et… lucidement

  2. Vous citez dans votre texte, dont je partage l’analyse sur la nécessité et le bonheur de lire, le livre de Philippe Labro « Tomber 7 fois se relever 8 ». S’agissant également semble t’il d’un proverbe japonais, cette expression me pose un réel problème de compréhension et de sens. En effet, si l’on tombe 7 fois, le fait de tomber étant la première partie de la séquence que l’on évoque, pour se remettre debout il suffit de se relever…7 fois et non huit. Physiquement, pour se relever 8 fois, il faut nécessairement être tombé huit fois.
    D’où ma difficulté à saisir le concept !
    Bien cordialement.

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