Vivre l’instant présent ? Non merci !

La magie de la méditation

Eckhart Tolle est l’auteur du best-seller Le Pouvoir du moment présent. Allemand installé au Canada, il raconte en introduction de son livre sa rencontre avec le présent. Une illumination. À 29 ans, il était un jeune homme dépressif et angoissé. Puis un matin, sa vie a basculé.


Au réveil, il entend un oiseau chanter : « Je n’avais jamais entendu un tel son auparavant », écrit-il. Le jour qui se lève lui apparaît alors de façon radicalement différente. Le présent se suffit à lui-même. Pourquoi se tourmenter, s’angoisser, se torturer l’esprit à propos de tout et de rien ? Profitons de ce moment présent. Hic et nunc. Ici et maintenant, rien d’autre. Dès lors, E. Tolle est devenu, avec d’autres adeptes de la méditation, l’apôtre du temps présent.

Personnellement, je pratique la méditation depuis des années, sous sa forme la plus simple et relaxante. Rien de sorcier. Je m’installe confortablement dans un fauteuil. Je détends tous les muscles de mon corps (de haut en bas, des muscles du visages à l’extrémité des doigts.)

Quelques séances suffisent à repérer les muscles en tension. Puis, vient la respiration profonde : il suffit de se concentrer sur l’air frais qui passe à travers les narines. Il m’arrive de visualiser aussi un lieu de détente : le bord d’une rivière, l’eau qui coule (facile, ce sont mes acouphènes !). En quelques secondes, mon rythme cardiaque ralentit. Les mille idées qui me trottaient en tête s’éclipsent. Pour quelques instants, les soucis et les préoccupations ordinaires s’envolent. Il ne reste plus qu’une réalité : l’instant présent.

Et ensuite ?

Cela fait beaucoup de bien, mais ne saurait constituer une véritable philosophie de la vie. Car quelques minutes plus tard, il faut bien rouvrir les yeux et la vie doit reprendre son cours.


J’ai un doute sur la sincérité des gourous de la méditation : Eckhart Tolle, Mathieu Ricard, Christophe André, Thich Nhât Hanh, Frédéric Martel… Quand on publie un livre tous les ans, qu’on anime des stages, qu’on donne des conférences un peu partout, qu’on enregistre des vidéos, et qu’on donne des interviews dans les journaux, on vit une vie assez trépidante, avec des journées bien remplies.


Je m’interroge sur la possibilité de vivre « l’instant présent ». « Carpe diem » (« cueille le jour »), disaient les sages de l’Antiquité. Il s’agit d’une invitation à profiter du présent sans se soucier du passé (qui n’existe plus), ni de l’avenir (qui n’existe pas encore). Tel était l’un des fondements de l’art de vivre selon les épicuriens.


Mais cette invitation à vivre dans le présent ne va-t-elle pas à l’encontre de ce qui fait de nous des humains : notre capacité à anticiper, à planifier, à faire des projets, et à se préoccuper de l’avenir ? L’être humain vit dans le temps : c’est même sa marque de fabrique ! Notre capacité à anticiper et à se projeter hors de nous pour imaginer des futurs et des possibles n’est pas simplement une préoccupation « existentielle », c’est notre mode d’être.

À la différence du mode d’existence de nos cousins animaux dont l’horizon temporel est limité, la plupart des activités humaines sont tournées vers l’avenir : des buts à court, moyen ou long terme.

Nous vivons tous avec des projets en tête. Projets d’études, professionnels, familiaux, personnels. E. Tolle lui-même, pour écrire ses livres, préparait ses conférences et participait aux multiples « événements » qui figuraient sur son agenda. Il a donc dû anticiper, se projeter, et se préoccuper de l’avenir.


Au final, vivre dans l’instant présent est au mieux une technique anti-stress mais ne saurait être une philosophie de la vie. Cela reviendrait même à nier notre statut d’humain.

18 réactions sur “Vivre l’instant présent ? Non merci !

  1. C’est possible je l’ai fait mon papa était malade depuis mes 13 ans j’ai donc décidé de l’enfermer dans le présent car après tout à quoi bon pensez a un monde qui pourrait s’écrouler si facilement c’est inconcevable de perdre un parent alors l’idée même de penser au futur me déprimait donc on refuse de pensez au futur sauf qu’on ne peut juste pas se projeter et on avance pas dans la vie.

  2. Vivre le présent: si l’instant ne dure pas, comme dit René Char « il est au coeur de l’éternel », le présent a une certaine densité, « durée » peut-on dire: on parle des temps présents, du moment présent; « présentement »; il concerne ce qui est actuel etc. Je rejoins le point de vue de Michel P: le moment présent a une unité de sens; notre vie est en permanence entre-croisée avec tout le reste. Vivre le moment présent, c’est être vigilant, être à même de saisir les occasions, le Kairos ( à saisir par les cheveux), en écho à l’attention que l’on porte au fil intime de sa propre vie. Cette attitude s’oppose à une vie mécanique et routinière, où l’on est comme extérieur à soi-même, agissant par convention. Il ne s’agit pas de ne pas penser au futur ni au passé; mais de laisser le futur ouvert, et le passé intégré à sa propre existence: assumé, éclairé. Or le travail de prise de conscience ne peut se faire qu’au présent.

  3. « Pour quelques instants, les soucis et les préoccupations ordinaires s’envolent. »
    « Cela fait beaucoup de bien »
    Oui, un temps de pause, un vide sanitaire…

    j’ai « dégusté » le petit « croche-patte » au sujet de l’agenda des gourous, ce qui ne m’empêche pas d’apprécier leurs écrits et conférences diverses…

  4. Bien d’accord sur le fait que chacun doit trouver sa propre voie pour parvenir à se sentir bien dans son corps et sa tête. L’injonction au bonheur ne fonctionne pas. Tout comme l’injonction à vivre le moment présent pour être heureux ! SOIS DÉTENDU te dis-je ! Et SOIS HEUREUX ainsi…
    Je pense toutefois que ça n’empêche pas à la méditation (et autres techniques permettant de se reconnecter au présent) d’avoir un potentiel de « rééquilibrage mental » intéressant pour pas mal de gens qui ne vivraient que dans le passé ou inversement dans le futur. Il me semble d’ailleurs que c’est ce que dit Christophe André quand il plaide pour une pratique (laïque) de la méditation ; le présent n’est pas plus important que le passé ou le futur, cependant il est plus fragile, plus fugace… d’où l’importance de vivre (aussi!) dans le présent.

  5. C’est une vision qui nie, évacue, notre finitude. Notre mort, et celle des autres, qui doit trouver sa place dans notre vie et à laquelle il faut s’attendre et se préparer pour lui donner du sens.

  6. Je médite moi aussi depuis quelques années et je suis un fervent de l’instant présent. Et, il me semble évident que la volonté de vivre dans l’instant présent est plus un souhait qu’une possibilité, à moins peut-être, comme Bouddha, d’avoir le courage d’abandonner toute envie et de se retirer du monde des apparences. Ce n’est pas mon cas actuellement. Et donc, je continue à essayer de construire mon futur, et je fais des projets en essayant de me servir des expériences que j’ai déjà vécu en visitant régulièrement mon passé.

  7. “Vivre l’instant présent” s’adresse à ceux qui sont tellement plongés dans leur espace mental qu’ils en oublient totalement leur environnement extérieur et leur état d’être intérieur. Cette injonction permet de sortir de ses pensées pour revenir à la réalité du moment présent et calmer un mental qui a trop tendance à ratiociner.
    Quant à y vivre en permanence cela me semble, comme vous le dites, douteux, ni même humain, puisque nous sommes dotés d’un langage qui nous permet de nous projeter dans un monde imaginaire, passé, présent et futur, qui fait de nous cet animal extraordinairement créatif. Alors pourquoi s’en priver, tant que cette superbe capacité reste sous le contrôle de la conscience, celle qui nous rappelle qu’il ne faut pas oublier « l’instant présent ».

  8. je pense effectivement, que la formule prise au pied de la lettre et transformée en philosophie de vie, peut s’avérer à terme pernicieuse.
    En effet, se situer en permanence dans le présent sans intégrer le passé, ne nous permet pas d’avoir un regard éclairé sur ce qu’on vit et par conséquent, de faire les bonnes analyses pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui et être armé pour faire de la prospective pour demain.
    j’ai le sentiment que malheureusement, nous sommes déjà largement confronté à cet écueil et que la perte du savoir historique nous rend quelque peu idiot et nous précipite dans une forme de devoir de jouissance immédiate qui pose quant à elle, la question de la responsabilité de chacun par rapport au collectif.
    Ce principe selon lequel il faudrait “profiter du moment présent” ne peut que renforcer l’égocentrisme et l’individualisme qui ne font que s’accroitre depuis quelques décennies et nous éloigner ainsi de notre essence même, à savoir que nous sommes avant tout des êtres dépendants et vulnérables dont le salut passe par la force du collectif ! et sans doute également, par l’effort collectif !

    Donc effectivement, attention aux formules toutes faites et séduisantes, car à y regarder de près, VIVRE L’INSTANT PRÉSENT, NON MERCI !

  9. Difficile de faire un commentaire sur ce qu est l instant présent. Déjà parce que c est un concept et aucun concept ne peut ni approcher ni embrasser le réel. Le dessein de la pipe de Magritt avec l inscription : « ceci n est pas une pipe », est une bonne illustration de ce propos. Donc pour qui n a pas ateint l etat de vacuité interieure , qui est un etat contenant absolu de tout les autres etats qui en sont des contenu, tout discours est illysoire et faux. Ce serait comme pérorer a propose de faire du velo ou ne plus être vierge. Il y a un avant et un après, absolument radical, et que aucun discours ne peut faire approcher.
    Donc, parler, émettre un avis, à propos de ce qui n a pas eté vécu est aussi dérisoire, que le vierge qui émettrait une pensée, un avis, une critique, sur ce qu est un coït.
    Par ailleurs, plutot que « instant present », traduction approximative ne refletant pas ce qu est l eveil, un concept plus approprié, serait, « vacuité ».
    Cela ne veut pas dire qu on ne pense pas, n agit pas, ne ressent pas, ne prevoit ni ne projette une action pour demain.
    Rien à voir avec tout ça.
    Alors ??? Cela veut dire que JE, la conscience d etre, contenant absolu si il en est, est conscient d etre un contenant, et que toute pensée, identification, croyance, conditionnement culture, n est qu un « con-tenu », contingent, relatif, historique, geographique, donc aléatoire, donc illusoire.
    Soit ego est endormi, zombifié, et croit etre la somme de tout ses conditionnements, homme ou femme, de telle culture, religion, nationalité.. milieu social filiale.. et est donc « agit », (forme transitive), par cela, soit une présence consciente vacante, non conditionnee, agit, pense, fait.. dans l éveil, il y a plusieurs niveaux.
    Je viens d exprimer l état du tout premier niveau, d une conscience consciente qu elle n est pas la somme des conditionements, mais la conscience pleine de çes contenus sus mentionnés.
    Un second niveau consiste en l évacuation d une conscience individuelle. Bien sur l ego présentateur de ce corps persiste toujours. Il est difficile de le mettre en sourdine. Mais c est tout meme ce qui a lieu dans les cas d altruisme, allant jusqu à l extrême. Impossible de s erendre plus avant avec un doigt sur mon tel, mais nous savons, Avec les neurosciences, nous savons ce que les mystiques décrivent depuis des millénaires : ego est un produit d un sous système neuronal enclenché par défaut, qui n a aucun accès au réel, et qui construit une réalité, tronquée donc, puisqu’elle est le résultat de la conscience altérée qui se prend pour ses conditionnements.
    Il convient de rééduquer la conscience, pour en revenir à cet etat meditatif constant. On continue à dire, à faire.. mais ce n est plus ego illusionné qui est au commande. Ce qui EST, une conscience non identifiee aux contenus, n est plus du tout sur la longueur d onde etriquée de ego. C est plus.. « connecté ».
    Bachelard dans sa psychanalyse des éléments, mais surtout les continuateurs de la phénoménologie germanique, huserl et heideger, ont un peu approché la question de la conscience comme contenant absolu de tout ses contenus.
    Mais de manière mentale, et non experientielle. Ca ne sert à rien, car on en reste encore à des péroraisons de vierge à propos du coït.
    Mais dejà là, cette philosophie qui ne reste que ce qu elle est, du mental qui babille et gazouille, echappe aux philosophes francais. Les germains se gaussent de nous, qui pauvres de nous, avons eu DESCARTE.
    Même la phénoménologie de Michel Foucault reste en surface : description d une réalité construite à partir des catégories mentales permettant une construction des representations d une culture dans l historicité.
    Tout cela, comme le travail de deconstruction des deleuze, guatary, ricoeur, mais aussi bourdieux, ranciere, demonte les mecanisme de construction des representations, donc des contenus.
    Mais jamais il n est question d expérimenter la conscience vide de tout contenu, autre, que le corps qui respire, comme l expérience décrite, qui pourrait être un moment de détente et non une philosophie de vie.
    Hum, si nos politiques,nos militaires, nos decideurs, ne pouvaient prendre une décision que lorsque l EEG détectait qu ils sont en mode theta, meditation profonde, ce qui est caracteristique de l etat de vacuité, je suis sur que ce monde serait absolument different.

  10. merci si vous affichez mon commentaire de le signer par mon seul prénom.
    Je préfère ne pas m’abonner, ça ajoute du plaisir d’attendre la parution et d’acheter au numéro.
    Chaque n° me surprend, me pose des questions.
    Bon courage !

  11. Vivre l’instant présent ? Oui, oui, oui ! mais pas que !!!
    Vivre l’instant présent, ça veut dire inventer chaque instant : voir et être quand le ciel est si beau le matin en allant au boulot, m’amuser à marcher en équilibre sur le bord du trottoir, faire de mon mieux au travail, profiter de chaque minute…
    mais aussi préparer le we prochain, les vacances, le grand ménage de printemps, semer des fleurs…
    J’ai récolté cet appétit de vie après un grave accident il y a 15 ans. C’est tellement chouette de vivre tous ces instants de vie, sans douleur… on n’est pas éternels !

  12. Je crois qu’il y a une confusion dans les concepts. Pour un humain, qu’est-ce que le présent ? Si nous parlons du temps qui s’écoule, le « chronos » que la pendule indique, nous pouvons le conscientiser en y portant notre attention. A peine est-il survenu qu’un autre instant survient. Quant à l’évoquer, c’est impossible. Le simple fait de le relater en mots, il appartient déjà au passé… Et pendant ce temps, durant les quelques secondes nécessaires à le dire ou à l’écrire, nous avons perdu la conscience de l’instant présent qui a continuer de survenir !
    En fait, le temps présent qui est déterminant, c’est ce que les Grecs ont appelé « Kairos », c’est à dire le moment présent qui entraîne ensuite une modification du destin, qu’on le saisisse ou non. Le mot « destin » est à relativiser. Il ne s’agit pas forcément d’une bascule majeure du destin de l’être, mais aussi des petits moments qui se présentent dans la vie et qui obligent à faire un choix conscient, grand ou petit. Ce peut être une réponse à une annonce professionnelle plutôt qu’à une autre, mais ce peut être aussi le choix d’un vêtement devant une météo incertaine… voire moins encore. C’est probablement là que la méditation présente aussi un intérêt. Calmer l’anxiété interne, apaiser le flux des pensées parasites permettent de se ré-ancrer dans le présent car c’est bien dans le présent, dans le Kairos, que de toute façon le choix va se faire. Et ce concept n’est pas contradictoire avec l’utilisation du néo-cortex frontal qui nous permet fort heureusement de construire des projets et des objectifs à atteindre.

  13. Entre vivre la volonté de et vivre en réaction à, rares et courts sont les moments où l’on peut s’arrêter, se connecter à une idée et laisser libre cours à son esprit: il y a toujours un appel pour tenter de vous sortir de votre « rêve » éveillé. A chacun de savoir s’il va répondre ou pas.

  14. Cher Humanologue,
    D’accord avec votre conclusion: la méditation n’est pas une philosophie de la vie, c’est une technique anti-sress efficace chez certaines personnes et sans effets secondaires indésirables connus, donc très utile.

  15. vivre pleinement le moment présent ne veut pas dire ne plus avoir de projets. Relisez Ekhart tolle
    il a abordé et bien clarifié les choses à ce propos

  16. Juste une remarque : vivre dans l’instant présent ne veut pas dire ne vivre que dans l’instant présent !
    Les techniques de méditation ont aussi été inventées par des humains d’autres cultures il est vrai, qui montrent une certaine utilité.
    Pour le reste je partage le point de vue.

  17. 😊 Quelle gourmandise que ce temps qui passe ! Les philosophes en sont friands (femme et hommes à égalité, surtout quand on prépare ensemble le déjeuner pour une belle tablée) Et peut-on rester en méditation quand les petits enfants ne pensent qu’à jouer, courir, chanter, autour du fauteuil et questionner pour nous faire parler ? Leur grand jeu : bousculer notre temps 🙂

  18. C’est une perception égo-centrée de notre condition humaine.
    Personnellement je préfère me vider l’esprit en rêvant avec utopie d’un avenir meilleur pour les générations qui nous succèderont. Cela me donne l’impression de servir à quelque chose, de retarder mon échéance de vie et me soulage pour vivre sereinement l’instant présent qui est déjà du passé. A chacun sa voie pour la quête du Bonheur …! Mais tous les chemins finissent toujours par se rejoindre un jour, alors espérons, espèrons, trois fois espérons.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *