Dans Le Livre des morts des anciens Égyptiens, il est dit qu’après le décès, l’âme se détache du corps et se dirige vers le royaume des ténèbres. L’âme doit alors passer plusieurs épreuves, dont la pesée des âmes. Si les bonnes actions du défunt sont plus importantes que les mauvaises, alors l’âme pourrait rejoindre les « champs d’Ialou, », une des anciennes versions antiques du paradis.
Les Tibétains ont également consigné dans leur Livre des morts des idées similaires : il y est question de rétribution des actions et de réincarnation de l’âme sous une forme humaine ou animale plus ou moins enviable.
Chez les Aborigènes australiens, l’idée que l’âme se détache de son corps pour mener sa vie propre est également présente. Cette âme continue à rôder quelque temps autour des vivants. Puis elle va rejoindre le monde des ancêtres, ceux du « temps du rêve ». En revanche, chez les Aborigènes, il n’y a pas de rétribution des actes, ni paradis ni enfer.
L’arbre généalogique des mythes
D’où tous ces récits sur la vie après la mort viennent-ils ? Quand sont-ils apparus ? Comment ont-ils évolué au fil du temps ?
Pour le savoir, il existe une méthode mise au point récemment : la « phylomythologie » (ou phylogénétique des mythes), dont l’historien Julien d’Huy a exposé la démarche dans Cosmogonies. La préhistoire des mythes (La Découverte, 2020). La méthode consiste à reconstruire l’arbre généalogique des mythes à partir de leurs traits communs. La méthode est similaire à celle employée pour reconstruire les lignées animales à partir de leurs gènes communs : plus certains mythes se ressemblent, plus on suppose qu’ils ont une parenté commune.
Des milliers de mythes ont été rassemblés depuis deux siècles par les ethnographes et folkloristes du monde entier. Ces mythes ont ensuite été répertoriés, catalogués et inclus dans des bases de données. Le chercheur russe Yuri Berezkin a ainsi constitué une gigantesque base de données à partir de plus de 6 000 ouvrages et articles. Ces mythes proviennent des régions du monde entier. Ils sont ensuite découpés en motifs puis codés. Un traitement informatique permet de repérer les motifs communs. Les mythes qui comportent plusieurs motifs identiques sont supposés apparentés : ils proviennent sans doute d’un mythe ancestral commun. Le traitement statistique permet de faire apparaître leur arbre généalogique.
Dans L’Aube des mythes. Quand les premiers Sapiens parlaient de l’au-delà1, Julien d’Huy a utilisé la méthode phylomythologique pour étudier les mythes relatifs à la vie après la mort. Il en existe des milliers dans le monde. Parmi eux se retrouvent des « motifs » communs à de nombreux mythes. Par exemple, le thème de l’immortalité originelle raconte que les humains étaient immortels avant d’avoir été condamnés à mourir. Un autre motif mythologique courant est celui du « mort contrarié », selon lequel lorsqu’une mort a lieu dans des conditions anormales, l’âme du mort hante les lieux jusqu’à ce que des rituels funéraires convenables lui permettent de rejoindre les cieux.
La structure d’un mythe ancestral
L’étude phylomythologique a permis à Julien d’Huy de reconstituer la structure d’un mythe ancestral, apparu en Afrique il y a 185 000 ans, c’est-à-dire bien avant la sortie d’Afrique d’Homo sapiens ! Ce mythe raconte que l’être humain était à l’origine immortel. Suite à un événement malencontreux, les humains sont devenus mortels. Malgré tout, au moment de la mort, le corps du défunt se sépare d’une partie invisible – l’âme, qui lui survit. Dans certains mythes, le corps peut ressusciter ou se reconstituer sous une nouvelle forme. Un autre motif très ancien est commun à de nombreux mythes : celui du voyage de l’âme vers sa destination finale. Dans le mythe ancestral, l’âme monte au ciel en suivant la Voie lactée où elle rejoint le domaine des morts. Toujours selon ce mythe archaïque, certains vivants ont la possibilité de se rendre au domaine des morts dans des conditions particulières (en rêve notamment). Enfin, l’idée que l’âme des morts peut revenir dans le monde des vivants est un des motifs les plus courants de la vie après la mort.
- Julien d’Huy, L’Aube des mythes. Quand les premiers Sapiens parlaient de l’au-delà, La Découverte, 2023. [↩]