Les « chouchous » et les « enfants chéris » existent de tout temps. Il suffit d’ouvrir la Bible pour en trouver de nombreux témoignages. Dans le livre de Jacob par exemple, il est écrit que « Rébecca préférait son fils Jacob », alors que le père « préférait Esaü ». Quand Jacob devient père à son tour, la Genèse rapporte que « Jacob aimait Joseph plus que tous ses autres fils ». Les contes pour enfants sont truffés de Cendrillon et de Petit Poucet, d’enfants préférés et d’autres rejetés comme dans les contes de Perrault, d’Andersen ou des frères Grimm. La littérature classique ou contemporaine offre aussi de nombreux récits d’enfants choyés et d’autres brimés au sein d’une même famille.
Faut-il rappeler que dans la plupart des sociétés traditionnelles – et c’est encore le cas dans beaucoup de régions du monde – la naissance d’un fils compte plus que celle d’une fille ?
Aujourd’hui, aimer et choyer un de ses enfants plus qu’un autre est devenu un tabou : moralement inadmissible et honteux. Pourtant, la chose existe et est même assez courante… Elle prend cependant des formes plus subtiles que le rejet ou le favoritisme affiché. La préférence, même non dite, n’en reste pas moins parfaitement ressentie par les enfants. C’est le cas d’un garçon « si désiré » après la naissance de deux filles. C’est le cas pour ces parents qui affichent ostensiblement la réussite scolaire de leur petit dernier et détournent la conversation quand il s’agit de parler du grand. Parfois, la préférence semble légitime, comme pour cette mère qui couve et protège son enfant handicapé sans se rendre compte qu’elle finit par délaisser les autres.
Catherine Sellenet et Claudine Paque ont écrit il y a quelques années un livre sur le sujet (L’Enfant préféré. Chance ou fardeau ?, Belin, 2013). Les auteures se sont particulièrement intéressées à la situation de l’enfant préféré plutôt qu’à celle des enfants brimés, largement décrite dans la littérature. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, être un « enfant chéri » n’est pas forcément une chance. Si certains vivent cette position comme une bénédiction, la position de « chouchou » n’est pas vraiment enviable. À la culpabilité s’ajoute le lourd poids des attentes parentales qui peuvent être aussi pesantes que le dénigrement. Enfin, elle suscite la jalousie et la rancœur de ceux qui se sentent délaissés.
Au final, la leçon est donc cruelle. Il n’est pas bon pour un enfant d’être mal aimé, mais il n’est même pas sûr que ce soit une bénédiction d’être le préféré ! •