Jésus n’était pas chrétien. Prophète juif, il annonçait le retour du royaume d’Israël. Le vrai inventeur du christianisme, c’est Paul. Il est le créateur d’une religion nouvelle et universelle qui va se répandre en trois siècles dans tout l’empire romain.
Jésus, un prédicateur juif Jésus est un Juif de Galilée, une des régions de l’ancien royaume de Judée. Ce royaume est sous occupation romaine depuis -63 puis démantelé quand Jésus est encore enfant. Le « royaume de Dieu » auquel aspirent alors les Juifs n’est pas un paradis céleste, situé quelque part dans l’au-delà. Beaucoup aspirent à la restauration du royaume terrestre que Dieu a donné à son peuple, situé sur la terre promise (la Palestine) et où doit régner la Loi, dictée par Dieu à Moïse (la Torah). Plusieurs prophéties annoncent alors qu’un prochain messie (c’est-à-dire un homme envoyé par Dieu et béni par lui) va venir sauver le peuple et se faire sacrer roi. Le mot « Christ » n’est autre que la traduction grecque du mot hébreu « messie ». Au temps de Jésus, plusieurs sectes juives (Pharisiens, Esséniens, Zélotes, Sicaires) appellent à l’avènement d’un nouveau royaume, avec des méthodes plus ou moins radicales.
Il ne manque pas de candidats pour se présenter comme prophète ou messie et vouloir rassembler les foules an de bouter les Romains hors de Palestine, et se faire sacrer roi. Jésus est l’un d’entre eux. Il est aussi un guérisseur réputé, capable, paraît-il, de soigner les lépreux, redonner la vue aux aveugles, multiplier les pains et même ressusciter les morts. En ce temps-là : tout bon candidat à la prophétie se doit de réaliser quelques miracles pour être pris au sérieux (1). C’est pour avoir marché sur Jérusalem à la tête d’une foule d’adeptes et pour s’en être pris aux dirigeants du Temple (la maison de Dieu) que Jésus est arrêté, condamné à mort et crucifié. Motif d’inculpation : prétendre au titre de « roi des Juifs », ce qui est un acte de sédition manifeste contre les autorités en place. Quelques jours plus tard, ses adeptes déclarent que Jésus est ressuscité. Il n’est resté que quelques jours (40 jours) sur Terre avant de regagner les cieux rejoindre son père. Mais ce départ n’est que provisoire.
Car le messie a annoncé un prochain retour triomphal (2). Le retour du messie et l’instauration du royaume: voilà l’espérance commune qui soude ses premiers d’adeptes. Certains d’entre eux quittent Jérusalem et portent la bonne nouvelle dans les autres villes de l’empire romain. Et parmi eux, un personnage se détache: Paul.
Paul, le vrai fondateur du christianisme
Selon un épisode célèbre, Paul de Tarse s’est converti suite à l’apparition du Christ sur la route de Damas. Son action (que l’on situe entre l’an 37 et 60) est décisive. Il voyage dans l’empire en reliant et soudant entre elles les premières Églises d’Anatolie et de Grèce. Surtout, il permet aux non-Juifs de rejoindre la religion du Christ. Désormais, il n’y aura plus besoin d’être circoncis, de suivre les interdits alimentaires juifs ou de respecter le shabbat pour faire partie de la communauté. Avec lui, la secte juive devient potentiellement une religion à portée universelle, ouverte à tous. Les idées de Paul ne sont pas partagées par tous les groupes judéo-chrétiens.
Ce qui va provoquer débats et conits entre les premiers héritiers de Jésus. • L’essor des premières Églises Durant les premiers siècles, ni l’organisation ni la doctrine chrétienne ne sont uniées. Les groupes de chrétiens forment un mouvement très hétérogène qui se rassemble autour d’Églises locales : au départ, situées en Orient (le Proche-Orient actuel). Au deuxième siècle, ce sont les Églises d’Alexandrie (Égypte) et d’Antioche (Turquie) qui sont les communautés les plus prospères. À la tête des Églises locales, se trouve un évêque. Les évêques ne partagent pas toujours les mêmes idées : ni sur les sacrements et les rites (À quel âge faut-il être baptisé? Quand faut-il célébrer Pâques ? L’évêque doit-il être chaste?), ni sur les textes servant à évangéliser (certains évangiles seront ensuite écartés du canon biblique (3)). Mais le principal motif de divergence porte sur cette question sensible: qui était vraiment Jésus ? Et il ne manque pas d’opinions très différentes sur le sujet.
Devenir chrétiens dans l’Antiquité
Pourquoi devient-on chrétien durant les premiers siècles ? Jésus est un prédicateur qui convainc ses adeptes (les 12 apôtres sont un chire purement symbolique, correspondant aux 12 tribus d’Israël) : autant par sa parole que par ses actes. Sa parole est centrée sur l’espoir prochain du rétablissement du royaume de Dieu sur Terre (pour Jésus, il s’agit de restaurer le royaume d’Israël. Avec Paul, le royaume de Dieu devient universel : il est destiné à tous les peuples de la Terre (4)). À l’origine, Jésus demande à ses premiers adeptes de tout quitter, renier famille et communauté pour le suivre (5). Les apôtres sont donc des marginaux itinérants organisés en secte.
Puis, la secte marginale se mue peu à peu en une religion nouvelle, distincte du judaïsme et organisée autour de puissantes communautés. Dès la n du premier siècle, la base sociale du christianisme s’est élargie. Contrairement à l’idée d’une « religion des pauvres », Paul prêche dans les synagogues des grandes villes, auprès de notables et de chefs de famille. Ceux qui se convertissent entraînent avec eux toute la maisonnée (famille élargie et domestiques compris). Dans Quand notre monde est devenu chrétien (2007), Paul Veyne explique le succès du christianisme des premiers siècles par deux inventions de génie. D’abord, un message nouveau : en parlant d’amour, de charité, de sourances et de passions, la parole chrétienne touche à une dimension émotionnelle et existentielle absente des religions païennes (les religions civiques romaines ou grecques sont surtout cérémonielles). L’autre « chef-d’œuvre » du christianisme, toujours selon Paul Veyne, c’est l’Église: une organisation mise sur pied par Paul, qui tisse un solide réseau militant, avec des méthodes de propagande ecace et un système d’entraide qui a beaucoup impressionné, notamment lors des épidémies (6).
Cela dit, le christianisme n’est pas aussi original qu’on l’a longtemps pensé (7). À l’époque, d’autres religions à vocation universelle se propagent comme les cultes de Mithra ou de Mani (tous deux venus de Perse). Pourquoi la secte de Jésus triomphe-t-elle, plutôt qu’une autre? Cela se joue à pas grand-chose. Selon Paul Veyne, il s’en est fallu de peu pour que la religion triomphante soit celle des adeptes de Mithra, dont le culte se répand à grande vitesse dans les rangs de l’armée romaine. À partir du 4e siècle, le basculement des populations dans le camp du christianisme ne relève plus de la concurrence entre les religions : après Paul, le nouveau grand tournant dans l’histoire du christianisme est la conversion de l’empereur Constantin (vers 312). Lui et les empereurs successifs ayant explicitement choisi le christianisme pour souder l’empire et asseoir leur pouvoir, le christianisme entre dans une nouvelle ère (8). Dès lors, sa diffusion va se propager en empruntant de nouvelles voies. Elles seront beaucoup plus expéditives. •
(1) À l’époque, tout prophète digne de ce nom doit faire des miracles pour être crédible.
(2) Ce moment est appelé la « parousie ».
(3) On les appellera « évangiles apocryphes ».
(4) L’espoir de Jésus en une restauration rapide du royaume a été déçu. Il a été amené à revoir ses prédictions plusieurs fois. C’était déjà la thèse défendue par Albert Schweitzer. Elle est également brillamment défendue par Christian Georges Schwetzel dans Les Quatre Saisons du Christ, 2018.
(5) Par exemple, l’Évangile de Luc 14.25-27.
(6) Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien, 2007.
(7) Les nombreux travaux sur les origines du christianisme étaient centrés sur Jésus et les apôtres. Depuis une génération, les historiens se sont intéressés à tous les courants religieux de l’époque: juif, messianique, religions à mystères, gnostiques.
(8) Pierre Maraval, Les Fils de Constantin, 2013.
La suite : Histoire du christianisme (2) : L’empire chrétien : un millénaire de domination – Histoire du christianisme (3) Depuis 1500, déclin et redéploiement.
Jésus était-il chrétien ?
Être chrétien, c’est croire en l’existence d’un Christ, mot grec équivalent au messie (en hébreu). Dans la tradition juive, un messie n’est pas le ls de Dieu mais un humain investi d’une mission divine, ce qui est très différent. Jésus lui-même ne répond jamais explicitement quand on lui demande s’il est le messie attendu (1). Parfois, il récuse explicitement le titre (comme avec
Pierre), parfois il laisse dire (comme avec une Samaritaine). Une chose est sûre, il ne se présente jamais comme le ls de Dieu et encore moins comme Dieu lui-même. Ce qui était d’ailleurs inenvisageable pour des Juifs. En eet, un prétendant au trône de Judée
ne pouvait être qu’un descendant de David, le premier roi d’Israël et de Judas. David est lui-même un humain, descendant d’Adam: une créature de Dieu et en aucun cas son fils ! Voilà pourquoi Mathieu débute son Évangile par une généalogie destinée à montrer que Marie, la mère de Jésus, est une lointaine descendante du roi David. Ce qui justifierait qu’il puisse accéder au trône. L’idée du roi qui serait aussi un « ls de Dieu » est une idée grecque qui a été importée dans le christianisme (2). Et il a fallu du temps pour que l’identification de Jésus à Dieu s’impose: à vrai dire pas moins de cinq siècles!.
(1) Parfois il le laisse dire (comme avec la Samaritaine), parfois il le récuse explicitement (comme avec Pierre). « Jésus
s’est-il présenté lui-même comme le Messie? », Croire et Lire n° 15, 2008.
(2) Christian-Georges Schwetzel, Les Quatre Saisons du Christ, 2018.