De quoi a-t-on vraiment besoin ?

On a tous besoin de respirer, boire et manger pour survivre. Mais au-delà, quelle est l’étendue des « besoins primaires » indispensables à une vie humaine digne de ce nom ?

Abraham Maslow a proposé sa célèbre pyramide qui représente la hiérarchie des besoins humains en cinq étages. À la base, se trouvent les « besoins primaires » (manger, boire, se soigner), puis les « besoins de sécurité » (se loger, se protéger) auxquels succèdent les besoins sociaux (appartenir à groupe, aimer et être aimé). Et enfin, les besoins de réalisation de soi. À quoi correspond cette réalisation de soi située au sommet de la pyramide ? A. Maslow est resté évasif. Il se contente d’exemples : «Un musicien doit faire de la musique, un artiste doit peindre, un poète doit écrire, s’il veut être vraiment heureux. » Et il conclut : « Ce qu’un homme peut faire, il doit le faire. Ce besoin, nous pouvons l’appeler réalisation de soi. ».

L’Américaine Virginia Henderson (1897- 1996), fondatrice des études infirmières, avait tiré de son expérience dans les hôpitaux auprès des malades une liste de quatorze « besoins humains fondamentaux ». En premier lieu : respirer. C’est une évidence, mais elle méritait d’être rappelée dans un milieu hospitalier où, à son époque, l’insuffisance respiratoire n’était pas prise en compte comme une souffrance à soulager. De même, si « boire et manger » est un besoin primaire, Virginia Henderson précisait qu’une « alimentation équilibrée » était nécessaire pour se maintenir en bonne santé. « Se mouvoir et maintenir une bonne posture » n’avait également jamais été pris en compte dans les milieux médicaux comme un besoin fondamental avant que V. Henderson note ce fait : être immobilisé sur un lit ou une chaise devient rapidement, non seulement, un inconfort mais une vraie souffrance difficile à endurer. « Dormir », « se reposer », « être propre », « communiquer avec ses semblables », « avoir une occupation » doivent également faire partie, selon elle, des autres besoins fondamentaux sans lesquels une vie ne serait que simple survie.

L’économiste chilien Manfred Max-Neef (1932- 2019) a forgé lui aussi sa propre liste des « besoins humains fondamentaux ». Sa démarche partait d’une autre question : de quoi les pauvres ont-ils besoin ?  Son souci était de définir une sorte de « bien-être minimal » nécessaire aux populations humaines. Ses études sur la pauvreté l’ont conduit à établir une liste de neuf besoins. Au-delà des « besoins primaires » (se nourrir, se loger, se soigner), des besoins de subsistance (de protection et d’affection), s’ajoutent aussi des besoins de « reconnaissance » et de participation à une vie communautaire. Pour lui, les loisirs, le repos, une activité créative et la liberté doivent aussi être pris en compte dans les besoins fondamentaux. Car un être humain, digne de ce nom, ne peut vivre sans posséder cet espace de liberté et de création, sans lequel sa vie est dévalorisée et amoindrie.

Toutes ces théories des besoins fondamentaux ont en commun d’élargir la gamme des besoins humains au-delà des stricts besoins physiologiques (se nourrir, se soigner) et des besoins sociaux (amour, reconnaissance). Selon la « théorie de l’autodétermination » (TAD), due à Edward Deci et Richard Ryan, l’aspiration à agir librement fait partie des besoins humains les plus élémentaires. Ce ne sont pas les prisonniers, les esclaves ou les mères de famille débordées qui diront le contraire.

Dans Explorations in Personality, (1938), le psychologue américain Henry A. Murray a établi une liste d’une vingtaine de besoins fondamentaux. On y trouve l’alimentation, le sexe, le besoin de repos, mais aussi des besoins sociaux comme le désir de plaire, de s’exhiber, ou encore le goût de la domination. H. Murray évoque aussi un « besoin d’accomplissement » («need of achievement») qui, selon lui, s’exprime de différentes manières : dans l’investissement professionnel, la collection de timbres ou, pourquoi pas, le « meurtre en série » (à chacun ses passions…).
Sa théorie des motivations a le mérite d’ajouter aux besoins organiques, des besoins sociaux (le désir de plaire) et d’autres de nature spirituelle, comme « le besoin de comprendre ».

6 réactions sur “De quoi a-t-on vraiment besoin ?

  1. Rappel des 10 capabilités de Matha Nussbaum
    1. La vie. Être capable de mener sa vie jusqu’au terme d’une vie humaine d’une longueur normale ; ne pas mourir prématurément, ou avant que sa vie ne soit tellement réduite qu’elle ne vaille plus la peine d’être vécue.
    2. La santé du corps. Être capable d’être en bonne santé (santé reproductive y compris) ; être convenablement nourri ; avoir un abri décent.
    3. L’intégrité du corps. Être capable de se déplacer librement de lieu en lieu ; d’être protégé contre une attaque violente, agression sexuelle et violence domestique comprises ; avoir des possibilités de satisfaction sexuelle et de choix en matière de reproduction.
    4. Les sens, l’imagination et la pensée. Être capable d’utiliser ses sens, d’imaginer, de penser, de raisonner, et de faire tout cela d’une manière « vraiment humaine », une manière informée et cultivée par une éducation adéquate (y compris, mais pas seulement, une éducation de base en humanités, mathématiques et sciences). Être capable d’utiliser l’imagination et de penser en lien avec l’expérience et la production d’œuvres et d’événements de son propre choix, religieux, littéraires, musicaux, etc. Être capable d’utiliser son esprit en étant protégé par les garanties de la liberté de l’expression, tant pour le discours politique et artistique que pour la liberté de culte. Être capable d’avoir des expériences qui procurent du plaisir et d’éviter les peines inutiles.
    5. Émotions. Être capable de s’attacher à des choses et des gens autour de nous ; d’aimer ceux qui nous aiment et qui s’occupent de nous, de regretter leur absence ; de manière générale, être capable d’aimer, de regretter, d’expérimenter la nostalgie, la gratitude, la colère légitime. Ne pas voir son développement émotionnel contraint par la peur et l’angoisse. (Défendre cette capabilité signifie soutenir des formes d’associations humaines qui sont cruciales pour leur développement.)
    6. La raison pratique. Être capable de se former une conception du bien et de participer à une réflexion critique sur l’organisation de sa propre vie. (Cela suppose la protection de la liberté de conscience et du culte.)
    7. L’affiliation. (A) Être capable de vivre avec et pour les autres, de reconnaître et d’être attentif à d’autres êtres humains, de prendre part à différents types d’interactions sociales ; être capable d’imaginer la situation d’autrui. (Protéger cette capabilité signifie protéger des institutions qui constituent et nourrissent de telles formes d’affiliation, et aussi protéger la liberté d’assemblée et de discours politique.) (B) Avoir les bases sociales du respect de soi et de la non-humiliation ; être capable d’être traité avec dignité et dont la valeur est égale à celle des autres. Cela suppose des dispositions pour interdire les discriminations fondées sur la race, le sexe, l’orientation sexuelle, l’ethnicité, la caste, la religion, l’origine nationale.
    8. Les autres espèces. Être capable de développer une attention pour et de vivre en relation avec les animaux, les plantes et le monde naturel.
    9. Le jeu. Être capable de rire, de jouer, de jouir de loisirs.
    10. Le contrôle sur son environnement. (A) Politique. Être capable de participer efficacement au choix politique qui gouverne sa vie ; avoir le droit de participation politique, la protection du libre discours et de la libre association. (B) Matériel. Être capable de posséder (terres et biens meubles), et jouir de droits de propriété sur une base égalitaire avec les autres ; avoir le droit de chercher un emploi sur une base égale avec les autres ; être protégé contre les perquisitions et les arrestations arbitraires. Dans son travail, être capable de travailler comme un être humain, d’exercer ses raisons pratiques et d’entrer dans une relation sensée de reconnaissance mutuelle avec les autres travailleurs.

  2. PS

    J’ai oublié d’écrire une évidence, la liberté d’expression, d’écrire et de lire, de communiquer, et de vérifier au sens large du terme, toutes les informations, surtout en ce monde du développement durable de la communication qui, avec l’IA, et ses risques, pourrait être bouleversé.

  3. Si je pouvais me permettre de rajouter à cette liste passionnante quelques besoins personnels comme celui de penser, de jouer et de rêver (surtout enfant à l’école, mais plus tard aussi), le besoin de liberté d’accepter et de refuser, de liberté de culte, de croyance, ou non-croyance, et, d’une autre liberté d’expression suprême sera celle de ma liberté de mourir. Merci

  4. Depuis Maslow, la démonstration des liens hiérarchiques entre les différents besoins ont été retravaillés en profondeur dissociant le besoin du désir en interrogeant la liaison réelle et son importance ou poids afin d’essayer de comprendre les processus mentaux sous-jacents remaniés à travers les âges.
    Le modèle constitutif pyramidal est remis en cause par rapport aux études effectuées depuis les années 60 par le système hiérarchique pas forcément existant dans toutes les conditions et pour toutes les personnes.
    Le principal intérêt est d’essayer d’établir des principes pouvant représenter un ensemble cohérent pour l’être humain. Ces caractéristiques présentées ont le mérite d’organiser schématiquement un espace invisible aux yeux. Abraham Maslow n’a pas eu le temps de publier l’ensemble et la fin de son travail et c’est regrettable. Il faut rendre hommage à ce grand psychologue qui a largement contribué aux connaissances sur nos besoins et notre mode de fonctionnement général surtout en octroyant une place prépondérante à l’observation de personnes normales.

  5. Quand j’étais étudiant en psychologie, je trouvais que les psychologues ne savaient pas de quoi ils parlaient lorsqu’ils parlaient de besoins, que ce n’étaient que des opinions présentées comme des vérités scientifiques. Aujourd’hui, plus de 50 années plus tard, je constate que ce domaine, comme tant d’autres, est la plus belle preuve de la fragmentation de la psychologie qui est encore une science qui se cherche et qu’on aurait avantage à unifier. Les situations ne se compte plus aujourd’hui en psychologie où l’on a démontré que des découvertes établies n’étaient que des mythes scientifiques sans parler des fumisteries érigées en système (la psychanalyse, entre autres) et des fraudes scientifiques avérées (Cyrill Burt en premier). La recherche de la célébrité est encore trop présente dans cette discipline pour qu’elle puisse accéder au statut de « discipline scientifique ». En ce sens, Watson avait raison en fondant le Béhaviorisme qu’il voulait une science distincte de la psychologie. La physique est une science unifiée, où chacun construit sur les connaissances acquises. La psychologie est un vrai fouillis où les honnêtes chercheurs sont noyés parmi les superstitions populaires. Regardez ce que l’on vend en librairie sous le rayon « Psychologie », qui devrait être rebaptisé « Croyances populaires ». Non, la psychologie n’est pas encore sortie de son Moyen Âge !

  6. j’ai été heureuse de constater que LE BESOIN DE COMPRENDRE qui me parait essentiel à mon bonheur à moi, fait tout bêtement partie des besoins essentiels dans la conception de l’un de ces analystes..

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