L’agressivité est omniprésente dans les relations humaines. Mais elle ne génère pas forcément de la violence : certaines formes d’agressivité sont inoffensives, bénignes, amicales ou restent silencieuses. Parfois, elle s’identifie à la combativité : une force vitale très utile pour surmonter des obstacles.
L a scène se passe dans une cuisine. Maman tend une cuillère pleine de soupe à son petit (une bonne soupe aux légumes bio, préparée avec amour !). Mais Bébé, qui aura bientôt un an, refuse d’ouvrir la bouche. Bien installé sur sa chaise haute, serviette autour du cou, il grimace et détourne la tête. Maman insiste. Après avoir essayé les stratagèmes habituels, (faire mine de goûter et se régaler, faire l’avion avec la cuillère, etc.) elle commence à s’impatienter. Elle tente un passage en force. Lui se braque et se met à pleurer. Et d’un geste brusque, pour repousser la cuillère, envoie le bol par terre.
Maman, excédée, pousse un cri. Elle est à bout de nerfs. « Ça suffit ! J’en ai assez ! Tous les jours la même comédie ! ». Elle fronce les sourcils et fait les gros yeux. Pour la première fois, elle se met vraiment en colère. Bébé est surpris, puis apeuré.
Très vite, elle reprend ses esprits. Elle s’en veut de s’être emportée. Elle prend Bébé dans ses bras. La colère retombe. Allez ! On oublie tout. On sèche les larmes. Trois minutes plus tard, les voilà collés l’un contre l’autre. Bébé se serre contre ce corps qu’il aime tant. Elle le regarde, émue. Un peu plus tôt elle pensait « le jeter par la fenêtre » et la voilà qui le cajole et le couve des yeux. Toute l’agressivité s’est envolée. Ce n’était qu’un orage. L’amour reprend ses droits.
De ce petit événement ordinaire, retenons d’abord ceci : l’agressivité peut être partout, même entre ceux qui s’aiment. Elle peut surgir dans les familles, entre parents et enfants ou entre conjoints. Elle est potentiellement présente entre collègues ou entre voisins. Elle survient entre automobilistes, au moindre refus d’une priorité. Heureusement, la plupart des mouvements d’humeurs restent bénins et sont vite oubliés. Rarement, les moments de colère dégénèrent en bain de sang. Il est rare que les mères jettent vraiment leur enfant par la fenêtre.
Première leçon : il ne faut pas confondre l’agressivité avec une supposée « pulsion de mort », hypothèse très hasardeuse, censée déclencher les massacres et les guerres. On y reviendra.
Le spectre des mauvaises pensées
L’agressivité fait partie du répertoire émotionnel de tous les humains. Tout le monde peut éprouver de l’agacement, de la colère, du ressentiment et même de la haine. Cette agressivité naturelle peut prendre plusieurs visages : des petites irritations passagères aux haines profondes, des moments de colère explosifs et éphémères à l’hostilité latente, moins visible, mais tenace. De même qu’il existe des variations dans l’amour, il existe donc tout un spectre d’émotions agressives.
Seule une partie de l’agressivité se traduit en acte. D’où l’importance de ne pas confondre l’agressivité et l’agression. L’agressivité est une émotion alors que l’agression est un comportement. Les deux peuvent se dissocier. Par exemple, il est des haines silencieuses qui ne se traduisent pas en action. Les psychiatres ont même décrit un profil de « passif-agressif » qui cache sa rancœur et dissimule son hostilité sous les apparences. Ce n’est d’ailleurs pas bon pour la santé : ronger son frein fait passer de mauvaises nuits, produit des ulcères et des dépressions. (Henri Laborit, L’Agressivité détournée, 1970). Par ailleurs, l’agressivité ne vise pas forcément des individus. On peut se fâcher aussi contre une communauté tout entière (la « haine de classe » ou le racisme s’en nourrissent). On peut s’emporter contre un objet (l’ordinateur ou la photocopieuse). Enfin, il arrive qu’on soit en colère contre soi-même (après une maladresse par exemple).
L’agressivité positive
L’agressivité est, à tort, assimilée à une émotion négative. Il existe pourtant des formes d’agressivité que l’on pourrait qualifier de « positives ». Mais, de même qu’il existe paraît-il un bon et un mauvais stress, un bon et un mauvais cholestérol, il existerait une bonne et une mauvaise agressivité.
Le tennis est une confrontation entre deux joueurs qui suppose de part et d’autre la volonté de gagner, et donc de vaincre son adversaire. Mais cette rivalité suppose une forme qui n’est ni violente, ni même vécu sur le mode de l’hostilité. Des amis qui s’affrontent sur un court de tennis ou aux échecs sont des rivaux. Les coups portés à l’adversaire s’accompagnent de petites plaisanteries. L’humour taquin se nourrit aussi d’agressivité. Il est enfin une forme de « bonne agressivité » présente dans cette forme de ténacité : on l’appelle vulgairement la « niaque ». Face à un obstacle, une épreuve à surmonter, il faut faire appel à une forme d’acharnement, d’obstination qui comporte une dimension agressive. L’expression « rage de vaincre » en témoigne. En mer, le marin solitaire qui se « bat contre les éléments » ; l’haltérophile qui doit soulever un poids ; les ouvriers qui s’unissent pour dégager leur camion embourbé… toutes ces situations font appel à cette « rage de vaincre ». •
Soyez « modérément agressifs »
Quelle est la meilleure façon de réagir face à une agression ?
1) La réponse agressive.
2) La passivité.
3) La réplique modérée.
Si on en juge d’après le plaisir qu’elle procure, c’est la réponse 3 qui est la meilleure. La passivité (ne rien dire et ronger son frein) est la réponse la plus déplaisante affectivement. La riposte, qui est une agression de défense, arrive en second dans l’échelle du désagrément. Enfin, la réaction « modérément agressive » est la moins déplaisante. Les chercheurs de l’université de Madrid sont parvenus à cette conclusion en testant 50 sujets. Ils devaient noter sur une échelle de plaisir/déplaisir l’effet que leur procure la réponse à une agression verbale.
Réf. : J. Martin Ramírez, Marie-Claude Bonniot-Cabanac, Michel Cabanac « Can Aggression Provide Pleasure ? » European Psychologist, Vol. 10, No. 2, 2005.
Ne pas confondre agressivité et violence
• L’agressivité est un état (psychologique). Il se manifeste par une émotion plus ou moins intense : l’agacement, la colère, la rancœur, l’hostilité, la haine. Mais l’émotion négative ne se traduit pas forcément en acte. Il est des haines silencieuses et des rancœurs cachées. Il arrive aussi que deux amis se moquent en aparté d’un troisième larron sans que la victime n’en ait conscience. Dans ce cas, la moquerie, qui est bien une forme d’agressivité, ne se traduit par aucune agression.
• L’agression est un comportement (violent). L’agressivité peut déclencher un geste ou une parole agressive. Mais il est des formes d’agression qui ne sont pas commandées par l’agressivité. Un braquage est violent, mais sa motivation n’est pas l’agressivité contre la victime mais l’appât du gain. Il en va ainsi de toutes les guerres de prédation : César a envahi la Gaule, non par hostilité envers les Gaulois, – il leur accordait même du respect –, mais par soif de gloire et appât du gain.
Article intéressant mais un peu court. Au passage, Winnicott a rappelé que sans agressivité il ne pouvait y avoir de vie psychique : elle précède l’apparition de l’inquiétude, avant que nous ne réalisions que ce que nous tentons de détruire est identique à ce que nous aimons. «Si l’agressivité disparaît à ce stade du développement affectif, il s’ensuit, à un certain degré, une absence de la capacité d’aimer, c’est-à-dire de l’aptitude à établir des relations objectales», «À l’origine, le comportement agressif est presque synonyme d’activité. Il est du domaine des fonctions partielles» (L’agressivité et ses rapports avec le développement affectif in De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris, Petite bibliothèque Payot, 1983).