Dans la ville de Delphes, en Grèce, se trouvait le temple d’Apollon construit sur une colline. C’est là que la Pythie, choisie parmi de jeunes vierges, faisait ses présages. On venait de toute la Grèce et même d’au-delà pour la consulter.
Tous les ans, à une date précise, la Pythie entrait dans la grotte, et après avoir inhalé les « vapeurs » (de plantes brûlées et d’émanations venues des fissures du sol), elle était prise de convulsions : sortaient alors de sa bouche des cris et des paroles incompréhensibles. Des prêtres étaient chargés d’interpréter ce qu’elle voulait dire en donnant des réponses précises aux questions qui lui avaient été posées. Les prêtres faisaient payer ce travail d’interprétation : l’affaire était même très lucrative. Ils se gardaient toutefois de formuler des prédictions trop précises pour éviter d’être pris en défaut. Un célèbre épisode en témoigne. Crésus, le roi de Libye, était venu consulter la Pythie avant d’attaquer la grande armée perse. Interrogé sur ses chances de victoire, la réponse fut : « Si Crésus traverse l’Halys, il détruira un grand empire». Crésus y vit un bon présage. Mais le roi ayant subi ensuite une cuisante défaite, il revint à Delphes demander des comptes. On lui fit remarquer que nul n’avait prédit que « l’empire détruit » était celui des Perses : il fallait comprendre que c’était le sien qui était menacé !
Les Grecs n’étaient pas les seuls à consulter les oracles. Toutes les civilisations ont eu recours à une diversité d’arts divinatoires. En Afrique, une pratique courante consiste à jeter des cauris (coquillages) pour lire les présages ; en Chine ancienne, les prêtres-chamanes utilisaient les os d’animaux ou des carapaces de tortues. Les Étrusques lisaient l’avenir dans les viscères des poules ou les foies de moutons ; les Romains consultaient les augures en regardant le vol des oiseaux (d’où l’expression « oiseau de mauvaise augure »). En Europe, l’usage des boules de cristal ou des lignes de la main s’est répandu à la Renaissance et l’usage du tarot divinatoire date du 18e siècle. Quant à l’astrologie, son utilisation à des fins divinatoires semble universelle.
De la Rome à la Chine, en passant par l’Égypte, toutes les couches de la société avaient recours à la divination. À Rome, il était d’usage avant une guerre de nommer un magistrat pour aller consulter les augures. On le faisait aussi avant de choisir un époux ou une épouse pour ses enfants, avant d’entreprendre un voyage risqué ou de se lancer dans une nouvelle affaire.
Comment expliquer que des artisans ou des généraux, si avisés dans la conduite de leurs affaires, puissent s’en remettre à des signes aussi arbitraires – les messages ambigus d’un oracle ou les viscères d’un mouton – pour décider de leur avenir ?
En réalité, la divination n’a jamais vraiment servi à donner des prédictions précises (l’issue d’une bataille ou le sexe de l’enfant à naître) mais plutôt un présage, favorable ou non. Avant de livrer bataille, les stratèges romains se préparaient sérieusement : ils étudiaient le terrain, estimaient les forces en présence, et réfléchissaient au meilleur moment pour attaquer. Mais, tous les décideurs le savent, dans chaque grande décision, il reste toujours une part irréductible d’inconnu et de risque. Et vient le temps où il faut trancher. C’est là que la consultation d’un oracle pouvait être utile : non pour définir les alternatives possibles, mais pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre, une fois que tous les éléments rationnels et connus avaient été soupesés. En fait, la divination servait à trancher entre deux alternatives (toutes deux risquées) et non à s’en remettre au coup du sort.
Quand les élites romaines devaient désigner des magistrats de la ville, ils consultaient aussi les oracles. Mais c’était pour s’assurer que tel ou tel candidat était le bon et non pour le choisir au hasard. Si les augures étaient bons, un candidat se trouvait légitimé ; s’ils étaient mauvais, on pouvait en choisir un autre (ou passer outre les augures, mais en prenant quelques précautions supplémentaires pour le contrôler). Dans tous les cas, la consultation permettait de mettre fin aux tractations et aux débats sans fin. Les oracles étaient d’ailleurs suffisamment rusés et parfois assez corrompus pour aller aux devants des attentes de leurs clients.
La voyance aujourd’hui
Les études sur la voyance le montrent encore aujourd’hui : les clients des voyants ne se font pas tirer les cartes pour obtenir les numéros gagnants du loto, pas plus qu’ils ne se font lire les lignes de la main pour connaître la date de leur mort. Souvent, ce sont des gens qui s’inquiètent de leur avenir, qui cherchent à faire une rencontre amoureuse ou qui viennent d’en faire une et qui veulent savoir si elle sera durable. Ils recherchent de la réassurance face à leur avenir plutôt que des prédictions précises. Les voyants leur donnent d’ailleurs rarement des prédictions fermes et précises. Un « bon voyant » est un psychologue qui évalue les attentes de son client, l’aide à affronter ses angoisses face à l’inconnu (parfois, même une mauvaise nouvelle vaut mieux que l’incertitude) ou à prendre des décisions. La voyance n’est pas une thérapie, ni une prédiction : un présage n’est qu’une indication qui dissipe un peu de brouillard face à l’inconnu. Il s’agit plutôt d’une technique d’aide à la décision pour trancher dans le doute, légitimer un choix et le conforter.
L’être humain, le seul animal à se préoccuper de son avenir, a tendance à chercher des signes qui lui permettent d’avancer dans l’incertitude.