Quand Big Brother fait rêver

La dystopie est une utopie à l’envers. Alors qu’une utopie décrit un monde imaginaire idéal, la dystopie peint l’avenir en noir et raconte le scénario du pire. Signe d’une époque pessimiste, la dystopie est devenue un genre en vogue. Films, séries, romans, jeux vidéo, BD, le genre a conquis un nouveau public.

La dystopie a pris corps dans la première moitié du 20e siècle. Les guerres, la montée des totalitarismes et des dictatures, les crises économiques ont alors stimulé l’imagination des écrivains. Le totalitarisme soviétique a inspiré Nous autres (1920) d’Ievgueni Zamiatine, qui a lui-même fortement inspiré le roman 1984 de George Orwell. Aux États-Unis, c’est une contre-utopie technologique qui inspire Le Meilleur des mondes (1932) d’Aldous Huxley ou encore Fahrenheit 451 (1953) de Ray Bradbury. La dystopie est une fiction qui puise largement ses idées dans les préoccupations de son époque.

Ainsi, le roman 1984, rédigé à la fin des années 1940 dans le climat de l’après-guerre, s’est retrouvé en tête des ventes aux États-Unis en 2017, durant le premier mois suivant l’élection de Trump. La tendance du président américain à inventer une « vérité alternative  » rappelait la formule de Big Brother: « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force ». Grégory Claeys, professeur de lettres à Londres et auteur de Dystopia : A Natural History (2016), considère que la dystopie est un genre très populaire à notre époque pour plusieurs raisons. Parmi elles, il y a la montée du terrorisme depuis 2001 et du sentiment d’insécurité. La crise financière de 2008 aurait également joué un grand rôle dans la crainte d’un effondrement soudain de nos sociétés.

À cela s’ajoutent les craintes liées à la surveillance numérique, l’essor des big datas et de l’intelligence artificielle, qui suscitent la peur d’un engrenage liberticide. Les catastrophes environnementales et le changement climatique renforcent enfin une anxiété vis-à-vis de notre avenir commun. Derrière la dystopie, l’espoir ? Mais si la dystopie peut susciter un fort attrait auprès d’un public jeune, c’est aussi parce qu’elle peut paradoxalement susciter un nouvel espoir. Plusieurs dystopies récentes mettent en scène des adolescents ou des jeunes adultes confrontés à un système despotique dans un monde en désolation. Des thèmes qui parlent aux adolescents, friands de ce type de fiction. La trame des récits, d’apparence très sombres, raconte l’histoire d’une poignée de personnages qui ont suffisamment de conviction et de détermination pour résister au système oppressif.

Les nouveaux récits dystopiques ne se résument pas à l’histoire de zombis rendus impuissants face à un pouvoir omnipotent. En témoigne la popularité de la trilogie du roman Hunger Games de Suzanne Collins: l’histoire met en scène Katniss, une jeune femme qui décide de se rebeller contre un système cruel qui oblige de jeunes adolescents à se battre à mort dans le cadre d’un jeu télévisé. La même mécanique se retrouve dans les romans Divergente de Veronica Roth, qui racontent les péripéties d’une adolescente s’opposant à une société très hiérarchisée où ceux qui ne s’intègrent pas sont chassés et éliminés. Si ces nouvelles formes de dystopies s’inspirent des dérives du monde contemporain, elles mettent à l’honneur la force de l’individu face à un système qui tente de le déposséder de son libre arbitre.

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