Je me promenais dans un parc à Auxerre, ma petite-fille Lise dans les bras. Elle venait d’avoir six mois. Se promener avec un bébé est une expérience grisante : cela ranime en vous un instinct parental et fait de vous un géant protecteur. Vous ressentez aussi de la fierté quand les passants attendris sourient au passage. Ce jour-là, une dame âgée s’est approchée et a regardé Lise en souriant : «Comme elle est mignonne!». Mais son visage s’est aussitôt assombri en ajoutant : « Les pauvres petits, c’est triste de penser à ce qui les attend ». Je sais bien de quoi elle parlait. Mais sa remarque, inspirée par le pessimiste ambiant, m’a choqué. Je l’ai entendue comme une accusation (« Comment faire des enfants compte tenu de ce qui va arriver ? »). Je me suis abstenu de répondre : « Mais madame, comment savez-vous ce que sera le monde de demain ? Pourquoi lui prédire l’enfer à cette enfant ? Que savez-vous de l’avenir ? ».
La montée de l’angoisse
Cette vision si sombre de l’avenir, je sais bien d’où elle vient. Il suffit d’ouvrir un journal ou d’allumer un écran. Depuis des années, pas un jour ne passe sans qu’on nous rappelle l’urgence climatique, ni que l’on voit des images de catastrophe : des inondations ou des incendies dévastateurs, nous rappelant que la planète est en danger et qu’un brusque changement de cap est nécessaire si on veut éviter l’effondrement. Cette dame qui imaginait le pire pour ma petite-fille n’a fait que rapporter ce qu’on entend partout.
Le catastrophisme a gagné une large partie de l’opinion. Deux Français sur trois se disent être en accord avec l’idée que la civilisation telle que nous la connaissons actuellement va s’effondrer dans les années à venir. Ils sont plus nombreux encore en Italie (7 sur 10). Et même un sur deux aux États- Unis, pourtant pays de l’optimisme.1
Pour ma part, j’ai presque honte à le dire, mais (et que cela reste entre nous) je ne crois pas au scénario de l’effondrement. Soyons clairs: je ne fais pas partie des climato-sceptiques. J’adopte volontiers les conclusions du GIEC (n’étant pas climatologue, je m’en remets à eux). Mais que le réchauffement implique un effondrement à venir, voilà qui n’a rien d’évident. Autrement dit, je ne suis pas climato-sceptique, plutôt « collapso-sceptique ». Bien entendu, j’entends déjà une première objection : « Franchement, mon cher Jean-François, ce que vous croyez ou pas: on s’en fiche un peu. Sur un sujet aussi grave, votre avis et vos opinions importent peu. Ce qu’il nous faut, ce sont des faits, des arguments et surtout des solutions crédibles pour nous sortir de là ».
Cette objection me paraît plus que pertinente. Et c’est justement ce que je reproche aux théories catastrophistes: elles ne sont fondées ni sur l’expérience du passé, ni sur des faits actuels, ni sur des théories scientifiques.
Le « grand récit » de l’effondrement est une nouvelle prophétie de fin du monde qui n’a rien de scientifique, même s’il s’en donne l’apparence.
Les nouveaux prophètes de l’apocalypse
Tout d’abord, une précision s’impose: on confond souvent à tort les prévisions du GIEC avec les théories catastrophistes. En fait, le GIEC produit des rapports sur l’évolution du climat et ses effets sur l’environnement. Ces rapports, solidement documentés, font l’objet d’un consensus scientifique (à défaut d’une vérité établie). Mais quant à savoir quels sont les effets d’un stress environnemental sur les sociétés humaines, cela ne relève pas de son domaine de compétences. En principe, les effets du climat sur les sociétés relèvent de l’histoire, la géographie, l’anthropologie, la sociologie, l’économie, politologues, voire de la psychologie : bref, des sciences humaines et sociales. Sur ce sujet, il existe bien une foule de travaux: ils sont très disparates et surtout, il est bien difficile d’en faire la synthèse. Il n’existe pas d’équivalent du GIEC dans le domaine des sciences humaines. La thèse de l’effondrement des anciennes civilisations sous l’effet de la déforestation, défendue par Jared Diamond, a été vigoureusement contestée par des historiens et des anthropologues2. L’étude des relations entre crises écologiques et impacts sociaux ne fait l’objet d’aucun consensus. Quant à la capacité à prévoir l’avenir, la seule certi- tude en la matière est que les prévisionnistes se sont toujours trompés. À la question : « que deviennent les sociétés sous l’effet d’un grand stress climatique ? », la seule réponse honnête et objective à ce jour est: « Franchement ? On ne sait pas ».
En revanche, les catastrophistes, eux, savent! Ou du moins prétendent le savoir. Qui sont-ils ? Ni des scientifiques (spécialistes du climat ou des sociétés humaines), ni des spécialistes des crises. Les prophètes du catastrophisme émanent de groupes disparates dans lesquels on trouve quelques « collapsologues » (experts désignés), des personnalités publiques (lanceurs d’alerte et responsables politiques), des intellectuels, des artistes, des écrivains, et des journalistes dont les propos sont repris en chœur par un flot incessant d’articles de presse et de documentaires qui ressassent les mêmes thèmes. Ce grand récit de fin du monde repose sur deux idées-forces simples et apparemment évidentes.
1. L’humanité est embarquée dans une course folle qui nous mène vers un précipice. Le réchauffe- ment climatique, causé par les activités humaines, entraîne de graves perturbations écologiques qui vont s’amplifier et se combiner à des crises économique, sociale, politique et conduire à un prochain effondrement généralisé.
2. Face à cette « menace existentielle », une solution s’impose : un changement de cap rapide et radical. L’humanité est donc face à une alternative : changer ou périr.
Ce discours est devenu si prégnant qu’il est souvent confondu avec la voix des experts. Une confusion s’opère dans l’opinion entre un consensus scientifique réel – celui du réchauffement climatique – et un discours sur les effets que ce réchauffement va provoquer sur nos sociétés.
Pour ma part, je ne suis pas climatologue, ni futurologue. En revanche, après trente ans de journalisme scientifique, j’ai acquis quelques compétences dans le domaine des sciences humaines et sociales. Cela ne me qualifie pas pour connaître le sens de l’histoire et proposer des scénarios d’avenir, mais j’ai appris à regarder avec méfiance ceux qui pré- tendent le faire. Pour dire les choses sans détour: le diagnostic d’un effondrement global de notre civilisation sous l’effet du réchauffement climatique est scientifiquement infondé. De plus, le remède proposé – un changement de cap immédiat et radical – est incantatoire et inconséquent. Et donc inutilement stressant.
La montée des périls est présentée à partir de quatre fléaux qui sont comparables aux « quatre cavaliers de l’Apocalypse », qui, dans la Bible, annoncent la fin des temps.
Premier fléau : l’épuisement des ressources
La Terre est un monde limité et on ne peut puiser éternellement dans ses ressources. L’argument est simple et évident. Il existe même un calendrier qui est censé indiquer chaque année le « jour du dépassement » au-delà duquel la planète a consommé ses réserves de l’année.3
Le thème de l’épuisement des ressources est le leitmotiv du fameux rapport du Club de Rome, publié en 1972. Il prévoit à l’époque l’épuisement des ressources en énergie (pétrole, gaz), en minerais et en terres arables: certains pour la fin du 20e siècle ou le début du 21e siècle. Les critiques du rapport ont eu beau jeu de rappeler que les prédictions ne se sont pas réalisées, et que les réserves en pétrole, en gaz, en minéraux, en terre arables sont loin d’être épuisées. Les défenseurs actuels (comme Graham Turner ou Jean Marc Jancovici) soutiennent que l’épuisement des ressources n’est que différé : l’effondrement n’est donc que partie remise.
Qui a raison, qui a tort ? Je ne saurais trancher sur un débat qui est beaucoup plus ouvert qu’on ne le croit (car les experts sont très partagés sur l’épuisement des ressources en terres rares, en terres arables, et en minéraux). Le fait même qu’il y ait un débat sur le sujet montre qu’aucune évidence ne s’impose. À moins, bien sûr, de trancher dans le vif et de manipuler ouvertement des données à des fins militantes.
Deuxième fléau : la catastrophe climatique
Tout le monde connaît le scénario. Le CO2, émis par les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), entraîne un effet de serre qui réchauffe l’atmosphère. Ce qui n’était encore qu’une théorie abstraite, il y a vingt ans, est aujourd’hui une réalité perceptible par tous : canicules, inondations, incendies, assèchements des rivières, fontes des glaciers, etc. Et les climatologues nous indiquent que les phénomènes vont s’amplifier.
Ces données sont difficilement contestables. Le scénario du dépassement des 2° est sans doute le plus probable et le scénario de 4 à 5° à la fin du siècle paraît même réaliste (si on en croit le GIEC). Les conséquences humaines de ce réchauffement sont, en revanche, très incertaines. Ici, on quitte le domaine de la climatologie pour entrer dans celui de l’analyse des liens entre climat et société.
Un scénario catastrophe le plus souvent évoqué est celui des « réfugiés climatiques ». Par dizaines de millions, des gens vont devoir quitter leurs terres devenues inhabitables. La suite ? Des hordes de réfugiés, des conflits pour les terres et pour l’eau. Ces conflits risquent de dégénérer en « guerre du climat ».
Là encore, ces prédictions cauchemardesques n’émanent pas de spécialistes des sciences humaines, mais d’ONG qui n’hésitent pas à produire des chiffres et des scénarios très spéculatifs, repris en échos par des grands responsables (comme Antonio Guerres, secrétaire général de l’ONU) et des articles de presse. Si la réalité des migrations humaines sous l’effet du changement climatique est incontestable, sa dramatisation repose sur un amalgame entre des phénomènes de durée et de gravité très différents.
Les catastrophes climatiques (inondations, incendies, typhon, sécheresse) sont dévastatrices mais localisées. Les tendances lourdes (la montée des eaux ou la désertification) sont graduelles mais non cataclysmiques: elles prennent la forme de l’exode rural et des migrations.
Troisième fléau : la disparition des espèces
Le déclin de la biodiversité serait le troisième fléau des discours effondristes. L’extinction du nombre d’espèces vivantes est symbolisée par quelques images parlantes: les ours polaires faméliques, des groupes de gorilles menacés par la déforestation, la barrière de corail qui disparaît, etc.
On pourrait, certes, discuter ici sur l’ampleur de l’extinction (tous les spécialistes ne parlent pas d’une même voix), sur des capacités d’adaptation des espèces (beaucoup plus rapide qu’on l’avait cru), et de l’impact sur les écosystèmes (plus ambivalent qu’on ne le croit)4.
Mais je me garderais bien d’aller sur un terrain qui n’est pas le mien. Sur ces questions, il faut s’en remettre aux spécialistes et s’informer auprès d’eux. Or, si tous admettent une baisse de la bio-diversité, en revanche, son effet sur les sociétés humaines reste une inconnue. Que se passe- t-il pour les humains quand le nombre d’insectes, d’oiseaux ou de mammifères chute drastiquement autour d’eux ? La réponse est beaucoup plus équivoque qu’on pourrait le penser.
L’histoire a déjà parlé plusieurs fois. L’Australie, par exemple, a déjà connu deux grandes vagues d’extinction. La première a eu lieu avec l’arrivée des Aborigènes (il y a 60000 ans) : tous les grands mammifères (mégafaune) ont alors disparu. On soupçonne d’ailleurs les chasseurs aborigènes d’être les responsables de cette extermination. Cette disparition massive n’a pas empêché le développement de leur civilisation.
La deuxième grande extinction de mammifères est plus dramatique encore: elle débutait il y a 200 ans avec l’arrivée des colons en Australie. L’introduction des lapins, des chats, des crapauds, devenus espèces invasives, a entraîné une extinction de 10 % des espèces de mammifères endémiques5. Ce chiffre est bien au-delà des menaces qui pèsent actuellement sur les mammifères de la planète (3 % des espèces en voie d’extinction).
Pourtant, cette disparition massive de mammifères n’a pas eu de grands effets sur l’essor économique du pays. Pourquoi n’en serait-il pas de même à l’échelle de la planète ?
Un autre cas emblématique d’effondrement des espèces: celui du nombre d’insectes. Ils sont responsables de 80 % de la pollinisation des plantes, des légumes et des fruits qui nous sont vitaux. Que se passerait-il si leur nombre venait à s’effondrer massivement, de l’ordre de 70 % par exemple ?
Il ne s’agit plus ici d’une hypothèse. Dans certaines régions, le phénomène a déjà eu lieu: avec quelles conséquences sur la pollinisation ? Presque aucune !
Quatrième fléau : la crise systémique
Les crises systémiques sont le quatrième pilier de la théorie de l’effondrement. L’idée est simple : les systèmes écologique, économique, et politique sont interdépendants. Une crise dans un secteur peut engendrer des crises en cascade. Une grave sécheresse entraîne une baisse de la production agricole, qui provoque la flambée des prix, qui elle-même peut déclencher une crise sociale, et des révoltes qui dégénèrent en révolutions ou en guerres. L’histoire récente nous donne des exemples. Les révolutions arabes de 2011 illustrent très bien cette idée de réactions en chaîne. Plusieurs pays arabes ont subi en 2010 les conséquences d’une sécheresse qui a réduit leur approvisionnement en céréales, provoquant une flambée des prix. Le cumul de cette crise avec celle de la situation financière de 2008-2009 (qui a réduit considérablement le tourisme dans des pays comme l’Égypte ou la Tunisie) serait la cause directe des révoltes qui se sont alors propagées par ricochets. Le modèle «crise climatique—> crise économique—> crise sociale —> guerre civile» peut être appliqué à bien d’autres situations historiques, comme la Révolution française par exemple.
Comment contester de telles évidences ?
Or, si les crises systémiques sont des faits historiques avérés, l’Histoire est tout aussi riche d’exemples de crises locales qui ne dégénèrent pas en scénarios cataclysmiques. Des exemples récents abondent : la crise financière de 2008 n’a pas entraîné, contrairement à celle de 1929, un effondrement économique global et des crises politiques en chaîne. Inversement, la chute historique du PIB en 2020 n’a pas entraîné de crise financière.
Depuis les années 1970, le monde a connu un grand nombre de crises industrielle, financière, sociale, et politique qui n’ont pas dégénéré en catastrophes généralisées. Avec le recul, la résilience des sociétés face aux chocs est même assez troublante. Elle prend à défaut l’idée d’un « système » en équilibre précaire, et toujours au bord de la rupture.
À la réflexion, pourquoi les crises pétrolières de 1973, la crise financière asiatique de 1998, celle de 2008, les crises de l’industrie automobile, et les révolutions arabes n’ont pas produit d’effet boule de neige et de chaos généralisé à l’échelle mondiale ? Parce que la « théorie des dominos » ne correspond qu’à une configuration parmi mille autres possibles. Dans l’histoire, la dynamique des crises (écologique, économique, sociale, politique, etc.) ressemble plus à un jeu de quilles qu’à un jeu de dominos. Il en va de même pour l’histoire des sociétés. Le déclenchement des deux guerres mondiales illustre bien la logique des crises en cascade mais les dizaines autres crises qui se sont produites (de la crise du pétrole de 1973 à la crise du Covid de 2020, en passant par la crise financière de 2020) n’ont pas dégénéré en effondrement global.
La fin du monde n’aura pas lieu
Résumons-nous.
Oui, les réserves en énergie fossile finiront par s’épuiser un jour, mais cet horizon ne cesse de reculer, ce qui peut laisser le temps de mettre en place des énergies de substitution. Oui, le réchauffement climatique va provoquer des catastrophes locales (c’est déjà le cas) et des phénomènes de long terme, mais ces phénomènes portent sur des temporalités et des degrés de gravité très différents. Oui, la bio- diversité diminue, mais elle n’implique nullement un effondrement économique et social en cascade. Oui, des crises systémiques sont toujours possibles, mais l’histoire est riche d’une myriade d’autres scénarios. La seule évidence qui s’impose est que le réchauffement climatique aura un effet sur nos sociétés. En revanche, l’hypothèse d’un effondrement n’a nullement été démontrée. L’histoire ancienne et récente montre, au contraire, que le jeu des possibles est beaucoup plus ouvert que ne le supposent les scénarios catastrophes qui se sont emparés des esprits.6
- Étude internationale Ifop pour la Fondation Jean Jaurès, juin 2020 [↩]
- Philip Tetlock et Dan Gardner, Comment être visionnaire. La science de la prévision à la portée de tous, Les Arènes, 2020. [↩]
- Le fait que cet indicateur publié par l’ONG Global Footprint Network n’ait strictement aucune valeur scientifique ne semble pas émouvoir les médias qui, tous les ans, reprennent invariablement ces pseudo-mesures. Voir « Does the Shoe Fit ? Real versus Imagined Ecological Footprints », Plos biology, 2013. [↩]
- Patrick Venail, « R46 : Impact de la perte de biodiversité sur les sociétés, 2013 », La Société Français d’écologie. En ligne. [↩]
- Caroline Taïx, « En Australie, l’inexorable disparition des mammifères », Le Monde, 19 février 2015. [↩]
- Pour une critique des thèses catastrophistes, lire Antoine Buéno, Futur, Notre avenir de A à Z, (Flammarion, 2020) et Catherine et Raphaël Larrère, Le Pire n’est pas certain : Essai sur l’aveuglement catastrophiste (Premier parallèle, 2020). [↩]
Bonjour à tous et toutes,
Je ne partage pas l’optimisme de l’auteur. Nous sommes en train d’inverser 50 millions d’années de climat plus froid en l’espace de deux siècles seulement (dernières données du GIEC) du fait de l’émission anthropique des gaz à effet de serre. Ce n’est pas une crise que nous traversons (le principe d’une crise est d’être temporaire et de contenir en elle même de quoi renouer avec l’état d’équilibre antérieur) mais une déstabilisation irrémédiable et progressive, plus ou moins forte en fonction des zones géographiques et des îlots de prospérité encore peu concernés par les effets du réchauffement, de la société thermo-industrielle mondialisée. La question est de savoir en effet (même en admettant que nous ne soyons pas dans un état de récession structurelle contrainte par la baisse progressive des énergies fossiles) :
* si nous allons continuer à pomper le pétrole et le charbon jusqu’à l’os, accentuant ainsi irrémédiablement le réchauffement global et ses effets destructeurs
* ou si nous acceptons d’entrer dans des formes de sobriété dirigée fortement déstabilisantes psychologiquement et économiquement pour nos sociétés climatiquement obèses.
Il est évident que c’est actuellement la première option qui continue à faire tourner le monde. Pour l’instant, le nucléaire et les renouvelables n’ont fait qu’ajouter une fine couche supplémentaire à un mix énergétique qui demeure fondamentalement carboné : selon les statistiques de British Petroleum, les fossiles (charbon, pétrole, gaz) représentaient 87 % de l’énergie consommée sur le globe en 1980… et 86 % actuellement, malgré la mise en évidence croissante et de mieux en mieux documentée durant cette période de leur nocivité.
Nous entrons ainsi maintenant dans la période critique durant laquelle plusieurs éléments de basculement interagissent de telle sorte que le basculement d’un seuil augmente la probabilité de basculement d’un autre. Pour ne prendre qu’un seul exemple, c’est ce qui est en train de se passer avec la sécheresse hivernale en France, qui va intensifier cet été les feux de forêt dans le sud-est et réduire la capacité de résilience des biotopes.
Le réchauffement climatique va ainsi exacerber les vulnérabilités et provoquer de multiples stress indirects (dommages économiques, perte de terres arables, insécurité hydrique et alimentaire, déstabilisations géo-politiques) qui se confondront en défaillances synchrones à l’échelle du système. C’est la voie du risque systémique.
Ne pas comprendre que tout cela va entraîner à l’échelle de la planète un effet de déstabilisation massive dû à l’intrication des chaînes de valeurs est aujourd’hui soit une forme de déni, soit un manque d’information . Nous devons donc nous mettre d’accord au moins sur le constat si nous voulons pouvoir mettre en place des formes d’adaptations fraternelles et localisées. Sinon j’ai bien peur que chacun reste tranquillement dans son couloir, sans rien changer, en attendant devant sa télé que ça s’arrange.
L’humanologue n’est pas collapsologue, ou peut-être pas radicalement collapsologue. Il ne croît pas à la probabilité d’un effondrement des structures sociales à l’échelle planétaire du fait du dérèglement climatique associé aux crises écosystémique, démographique, économique et politique. Il a raison de constater que les crises ne sont pas nouvelles et qu’aucune n’a mis en danger l’existence de l’humanité et encore moins celle de la vie sur Terre. Le pire n’est pas certain, mais ce n’est pas une conclusion totalement rassurante.
L’humanologue semble sous-estimer la crise climatique à la fois dans ses effets dévastateurs et dans les moyens d’y remédier. Car ce n’est pas une crise ordinaire, une de celles que l’humanité a connue depuis ses origines. Il suffit pour s’en convaincre d’admettre qu’on ne peut pas déverser dans la basse atmosphère en deux petits siècles une fraction très importante du carbone stocké dans les sols pendant des dizaines de millions d’années sans que la biosphère, cette mince pellicule de surface de notre planète, n’en soit elle-même profondément affectée. Cela représente aujourd’hui 16 milliards de tonnes de carbone par an.
La science nous donne les connaissances nécessaires pour comprendre et prévoir les multiples effets de la modification du bilan thermique de la biosphère auquel nous sommes confrontés, et le travail de synthèse du GIEC est largement médiatisé à l’échelle planétaire. Nous disposons également des techniques pour décarboner nos énergies et pour limiter les dommages inéluctables qui sont de mieux en mieux prévus, et de plus en plus précisément, à des échelles de temps et d’espace compatibles avec une programmation efficace des actions.
Et pourtant, le déstockage du carbone (CO2 et CH4) continue malgré les accords internationaux et les COP. Nous savons que l’ampleur des dommages auxquels seront confrontés nos enfants, petit- enfants et nos descendants au cours des siècles futurs dépend de la rapidité de la décarbonation quasi-totale des énergies. Il y a donc urgence à agir et je comprends que l’inefficacité actuelle des actions engagées produise une anxiété croissante chez nos contemporains.
Est-ce que l’heuristique de la peur de Hans Jonas va nous sauver en produisant un mouvement d’opinion qui entraînera une rupture dans nos modes de vie ? On ne peut plus parler sérieusement de transition, il s’agit d’une rupture traumatisante mais qui doit être supportable. Je ne crois pas que la peur incite à l’action, seule la technoscience éclairée et encadrée par une idéologie humaniste et progressiste peut répondre à l’ampleur du défi planétaire en donnant aux détenteurs des pouvoirs économique et politiques les éléments nécessaires pour programmer des actions efficaces. Il est clair que le facteur le plus limitant n’est pas technoscientifique, il est idéologique.
Malheureusement, les idéologies aussi sont en crise. Après la fin de l’URSS, la victoire du capitalisme mondialisé en version néolibérale semblait ouvrir une ère de paix et de prospérité sous l’égide du Développement durable. Cette fin heureuse de l’Histoire s’est révélée illusoire. Qu’elles soient religieuses ou d’inspiration philosophique, magique ou scientifique, les idéologies sont de moins en moins aptes à donner un sens à notre existence et au monde. Elles sont victimes d’un confusionnisme qui affecte également une frange des sciences humaines qui s’est libéré des pénibles contraintes de la méthode scientifique. L’émergence de l’écologisme, une idéologie politique, est un exemple frappant du mélange d’éléments conceptuellement hétérogènes empruntés à la science écologique, surtout à son versant environnemental, à la mouvance libertaire avec une tendance technophobe orientée vers la décroissance, un antispécisme dirigé contre le fondement de l’humanisme (l’humain en tant que valeur suprême- Homo Deus selon Harari) et une survalorisation du vivant non-humain.
Malgré tout, il est plus que jamais nécessaire de ne pas baisser les bras, l’effondrement n’est pas certain. Il n’est pas exclu que les manifestations de plus en plus évidentes du dérèglement climatique n’aient un effet mobilisateur et unificateur sur l’humanité. Nous avons besoin d’une idéologie commune, quelque chose comme un écologisme humaniste et progressiste ouvert aux légitimes diversités culturelles, capable de couvrir la voix des entrepreneurs de haine et des fauteurs de guerres. C’est une espérance concevable et désirable.
Je ne saurai mieux dire !
Merci pour cette belle contribution.
L’humanologue
Il s’agit, et s’agira, beaucoup moins d’effondrement que de changement radical, de société, d’organisation du monde, de paradigme politique, d’écosystème… Mais, pour ceux qui manquent de sens de l’adaptation et ne peuvent accueillir la nouveauté, ce changement radical est, et sera, psychologiquement vécu comme un effondrement de leur vision du monde.
Quand j’étais étudiant, mon prof d’économie nous avez prédit qu’en 2010 il n’y aurait plus de pétrole !
Cela confirme les doutes émis dans cet excellent article.
un probleme cependant , la population etait de 1 milliard à la fin du 19 eme siecle, 130 ans plus tard, 7.5 milliards
Merci pour ce texte riche et ‘raisonné’. Je m’y retrouve complètement. Je vais le garder et y revenir souvent pour mieux élaborer ma pensée.
Dans mon quotidien, j’évite au maximum toutes ces injonctions à être terrorisé.e, tous ces discours qui nous noient dans l’impuissance… je n’ai plus la télé, j’écoute un journal d’infos sur France Culture (10′ le matin), je lis peu la presse écrite d’infos… et ça va beaucoup mieux ! Le monde comme il va est tellement désespérant, et nous voudrions tant que dominent le bon sens et l’humanité…
excellent article, il y en a trop peu de ce niveau
C’est peut-être qu’on n comprend pas l’effondrement de la même manière… à ne pas confondre avec l’apocalypse justement.
Nos systèmes de santé par exemple, ne sont-ils pas en train de s’effondrer dans plusieurs pays occidentaux comme il est vrai que les catastrophes climatiques, même si elles sont localisées, deviennent si nombreuses que nos États ne peuvent plus faire face… ce qui va s’effondrer assurément c’est notre civilisation, notre mode d’être au monde… et nous en imaginerons un autre…
A mon enfant qui va naître
Je suis optimiste.
Il le faut.
J’ai foi en la vie.
L’avenir, aujourd’hui, on en doute.
Je m’en réjouis.
Faisons le naître nous même
aulieu d’espérer
et d’attendre.
Nombreux sont ceux qui redoutent
les temps incertains.
Ils préfèrent croire
plutôt que douter.
Plutôt que croire,
je préfère oser.
J’ose.
Je n’espère pas.
Je n’attends pas.
J’aspire.
Je vis.
J’ose te mettre au monde.
Naturellement.
J’ai foi en la vie.
Je ne voudrais pas
abandonner notre pouvoir
aux froides machines
que nous avons créées.
Je ne voudrais pas
gaspiller la joie
l’imagination
et ces belles images
que nous avons créées.
C’est de vie que nous vivons.
Je relève le défi.
Je vis.
J’aspire aux couleurs.
J’admire les heures.
J’entends protéger
le possible.
J’ose penser
l’impossible.
J’aimerai te montrer
les couleurs de la vie.
Ton père
Août 1987, 8 huit mois avant ta naissance
Traduit en mars 1988 de l’original danois .
https://bouchet.dk/fr/qui/loisirs/poetry/
Dominique Bouchet
Certes on peut s’adapter mais la forte chaleur cet été sur l’Ouest de la France était dure à supporter avec la sécheresse en plus, je ne sais pas si on pourra vivre encore normalement si cela se reproduit plus dense, plus fort. Dans ce cas il faut partir!
Un bel optimisme ! Rassurant ! On aimerait qu’il soit réaliste.
Mais tous ces contre-arguments manquent plus d’évidence que les arguments combattus.
En prenant le contre-pied de nombreux scientifiques et lanceurs d’alerte, cet auteur est original.
Est-il vraiment crédible ?
Il est vrai, comme dit Coluche, que « ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison ».