L’immortalité pour tous ! Quand Egypte a démocratisé l’éternité

le livre des morts des Egyptiens. Papyrus d’Anis, vers 1200 av. JC

Les pyramides et les momies sont les symboles de l’Égypte ancienne. Elles ont toutes deux à voir avec la mort et le passage dans l’au-delà : une des grandes affaires chez les Egyptiens. Mais pourquoi seul le pharaon et les siens auraient-ils eux seuls le privilège de l’immortalité ? Bientôt les classes inférieures ont souhaité aussi participer au voyage. Et la momification est devenue une affaire industrielle.  

Pour espérer atteindre les Champs d’Ialou, le paradis égyptien, le mort devait toutefois franchir plusieurs étapes, notamment en récitant des formules sacrées, sortes de mots de passe qui lui assuraient le passage à l’étape suivante.

Ces formules ont été gravées dès la plus Haute Antiquité sur les parois des pyramides et sur des papyrus appelés « livres des morts ». Les formules sacrées étaient aussi inscrites à l’intérieur du sarcophage pour que le défunt puisse les lire le moment venu ! On y dessinait également des cartes du ciel pour qu’il puisse retrouver son chemin parmi les étoiles1.

Le moment décisif du voyage était celui de la pesée des âmes. Le défunt se retrouvait devant un tribunal composé de quarante divinités. Après une sorte de déclaration d’innocence de sa part2Je n’ai pas tué, volé, ni fait de mal à mon prochain ») venait le moment du verdict. L’âme était déposée sur une balance et comparée à une plume de Maât (déesse de la justice). Si la balance penchait du bon côté, le défunt était acquitté et pouvait rejoindre la cohorte des belles âmes qui accompagnent le dieu Rê dans la barque solaire.

L’idée d’un jugement des âmes est présente dans des traditions religieuses très éloignées de l’Égypte. On la retrouve dans le Livre des morts du bouddhisme tibétain, et l’idée est aussi présente dans l’hindouisme avec la notion de karma ou « rétribution des fautes »3. Comment ne pas songer aussi au Jugement dernier, dans le christianisme ? Les époques et les lieux diffèrent mais le schéma reste le même. S’agit-il pour autant d’un phénomène universel ? Pas vraiment, si l’on en croit Maurice Godelier. L’anthropologue a dirigé une étude comparative sur le sujet qui conclut qu’on ne trouve pas d’équivalent d’un jugement des âmes chez les populations dites « primitives » (d’Australie, de Nouvelle-Guinée, d’Afrique ou d’Amazonie). En revanche, le tribunal des âmes, avec punition et récompense, est présent dans la plupart des sociétés étatiques et hiérarchisées, ce qui conduit à penser qu’il s’agit d’un moyen de contrôle des mœurs des populations, époque des pharaons comprise4.

L’énigme des momies

Le Livre des morts égyptien porte sur la migration de l’âme du défunt, comme c’est le cas pour la plupart des croyances en l’immortalité de l’âme. Mais le soin apporté par les Égyptiens à la momification du corps reste une énigme.

Pour momifier un cadavre, il fallait le dessécher avec une substance proche de la soude. Le cerveau, le foie, les organes internes étaient extraits pour éviter la fermentation et mis à part dans une urne. Le corps était ensuite empli de plantes, enduit d’un baume et enveloppé de bandelettes. La momie était alors déposée dans son sarcophage. La momification est un procédé très ancien. Des découvertes diverses ont permis de montrer qu’il remonte à près de 4 000 ans av. J.-C., même s’il a été considérablement perfectionné au fil des siècles par les médecins royaux5.

Le pharaon ne s’embarquait pas pour l’au-delà uniquement porteur d’un corps intact et d’une âme pure. Il lui fallait aussi emporter avec lui tout un arsenal : armes, bijoux, objets divers et… domestiques. Dans les premiers temps de la royauté, des hommes ont été mis à mort pour accompagner le défunt. La pratique de ces « morts d’accompagnement » ne fut pas une spécificité égyptienne : elle avait cours dans d’autres sociétés antiques, puis ces sacrifices humains ont ensuite été bannis.

Égalité devant l’éternité !

La momification conditionnant un accès à l’autre monde, on comprend qu’elle ait suscitée la jalousie. « Et pourquoi pas moi ? » se demandait-on dans l’entourage du pharaon. Bientôt la famille du roi, le vizir et les ministres, les chefs militaires et les gouverneurs de province y eurent droit. Puis, progressivement, à partir de 2000 av. J.-C. et jusqu’au début de l’ère chrétienne, la momification va s’étendre à des couches de plus en plus larges de la société. À l’époque romaine, la momification est devenue une véritable industrie : ainsi, la « vallée des momies dorées », l’une des plus grandes nécropoles égyptiennes, contient près de dix mille momies. Sur certains sarcophages sont peints des portraits du défunt troublants de réalisme. À ce moment, la momification avait sans doute perdu sa signification première : elle était devenue une marque de distinction sociale plus qu’un espoir réaliste de voir son corps et son âme rejoindre l’autre monde. •

Les morts d’accompagnement

Tuer des esclaves, des domestiques ou même quelques concubines, voire des compagnons d’armes, pour accompagner le défunt dans l’au-delà est une pratique attestée dans plusieurs sociétés antiques : de la Mésopotamie à la Chine, du royaume africain Ashanti à plusieurs sociétés d’Amérique précolombienne.

Dans l’une des seize tombes royales du site d’Ur, en Mésopotamie, le corps d’un roi est accompagné de chars, de chevaux et de plusieurs cadavres : la tombe dite du « grand puits de la mort » contient ainsi les corps de six gardes et de soixante-huit femmes, en tenue d’apparat.

Dans la Chine des premières royautés, le nombre de personnes sacrifiées lors de la mort d’un roi pouvait prendre l’allure de véritables hécatombes. Puis, à partir du premier empereur, les êtres humains furent remplacés par des statues. La fameuse armée qui accompagne Qin Shi Huang est par exemple composée de 8 000 soldats de pierre.

Alain Testart, dans son livre sur Les Morts d’accompagnement, a établi une cartographie précise de ces pratiques qui sont liées, selon lui, à l’émergence de l’État. Les morts d’accompagnement sont en effet caractéristiques des premières formes de pouvoir d’État : les « accompagnants » du mort étant soit ses fidèles compagnons et hommes de main, soit des membres de sa cour.

À lire : Alain Testart, La Servitude volontaire, t. 1 : Les Morts d’accompagnement, Errance, 2004.

  1. Sarah Symons et Elizabeth Tasker, « Un chemin d’étoiles pour les défunts », Pour la science n° 462, 2016. []
  2. Appelée « confession négative ». []
  3. Voir « Comment peut-on être hindou ? », L’Humanologue n° 5. []
  4. Maurice Godelier (dir.), La Mort et ses au-delà, CNRS éditions, 2014. []
  5. Nicolas Constans, « Les premières momies égyptiennes », 2014, en ligne. []

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