Et si on parlait coiffure ?

Il y a aujourd’hui en France environ 160 000 coiffeurs et coiffeuses. Cette information, me direz-vous, n’est pas d’une importance capitale. Mais elle peut conduire à envisager l’évolution du travail sous des perspectives nouvelles. L’essor de l’intelligence artificielle fait craindre la disparition d’un grand nombre d’emplois. Les coiffeurs, eux, ne sont pas près d’être remplacés par les machines. Leur nombre a triplé depuis vingt-cinq ans. Il suffit de se promener dans les centres-villes ou les galeries marchandes pour s’en rendre compte.

Le cas des coiffeurs peut illustrer la « théorie du déversement », proposée naguère par Alfred Sauvy. Les robots ne vont pas tuer les emplois, défendait déjà le démographe, auteur de La Machine et le chômage (1980). Si les machines suppriment effectivement des postes dans un secteur donné (comme les tracteurs et les moissonneuses l’ont fait dans l’agriculture, les robots sur les chaînes d’assemblage, les distributeurs automatiques dans les banques), la baisse des coûts de production induite (due aux gains de productivité) entraîne une baisse des prix. Le pouvoir d’achat des consommateurs se transfère alors vers d’autres produits ou services. Concrètement, on dépense beaucoup moins aujourd’hui pour se nourrir (20 % de notre budget va à l’alimentation, contre 40 % en 1960), mais beaucoup plus pour sa santé. Il y a moins d’agriculteurs et d’ouvriers mais plus d’infirmières, d’aides-soignants, d’enseignants, d’assistantes maternelles… et de coiffeurs. Les emplois de services aux personnes sont ceux qui ont connu la plus grande croissance ces vingt dernières années et ils vont continuer à croître dans les prochaines années.

La coiffure nous enseigne autre chose sur l’évolution du travail. Ce secteur regroupe une grande diversité de formes statutaires : certains travaillent pour de grandes enseignes (comme Jacques Dessange ou Jean-Claude Biguine), d’autres dans un salon indépendant comme employeur, salarié ou apprenti. D’autres encore, sont des auto-entrepreneurs pratiquant la coiffure à domicile, sans parler des intermittents de la coiffure qui pratiquent leur activité au noir. Ces différents statuts vont continuer à coexister : dans dix ans, il y aura encore des salons indépendants, des salons franchisés, des coiffeurs à domicile, des salariés, des indépendants, avec des tendances nouvelles comme les « bars à chignon » ou le retour des barbiers. Ces évolutions n’ont rien de spectaculaire : pas de quoi en faire des titres de journaux ou d’en tirer de grands récits sur la « fin du salariat », « l’ère des robots », ou « l’ubérisation du travail ». Le monde du travail change et se métamorphose, mais parfois de façon silencieuse : comme les cheveux qui poussent et que l’on coupe. En 2020, 2050 ou 2100, les cheveux continueront de pousser et il faudra s’en occuper. Pour penser le monde de demain, on sait déjà qu’il faudra compter sur les coiffeurs ! •

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