Nous autres, les humains, sommes des animaux très particuliers mais nous restons avant tout des animaux. Cela se voit d’abord à notre anatomie : le squelette humain (avec sa colonne vertébrale, ses quatre membres et son crâne) est bâti sur le même schéma que celui des oiseaux, des lézards. Nos organes internes – poumons, estomac, intestin, système sanguin – sont à peu près les mêmes que ceux de la poule ou du rat. Comme la plupart des animaux, nous connaissons la peur et le plaisir, sommes attirés par la nourriture, par le sexe. Comme tous mammifères sociaux – vaches, moutons, lions, souris ou éléphants –, nous vivons en groupes organisés. Comme les castors ou les oiseaux, nous construisons des abris-logis. Comme les chats et les chiens, nous sommes des animaux joueurs. Mais ce n’est pas tout.
L’adolescence humaine ressemble beaucoup à celle d’autres espèces. Dans leur livre L’Âge sauvage. L’adolescence chez les animaux et les humains (éd. Markus Haller, 2023), Barbara Natterson-Horowitz et Kathryn Bowers montrent que certains comportements typiques de l’adolescence se retrouvent chez de nombreuses espèces, des loutres de mer aux hyènes, des babouins aux baleines à bosse. Eux aussi passent par une phase adolescente avec ses comportements caractéristiques : le goût de l’aventure et du risque (qui permet de se préparer à affronter les épreuves de la vie), l’éveil à la sexualité (et l’attirance nouvelle pour le sexe opposé), la tendance à s’éloigner de ses parents (et affirmer son autonomie) et à se regrouper en bandes de pairs (voir encadré ci-dessous).
Notre animalité se manifeste dans d’autres traits de comportement. Si nous ne faisions pas partie du groupe des mammifères sociaux, il est probable qu’on passerait beaucoup moins de temps sur les écrans. En effet, les animaux solitaires – le serpent ou la panthère des neiges – se soucient peu des contacts avec leurs congénères et encore moins de leur réputation. Ils se suffisent à eux-mêmes. L’activité frénétique de contact sur les réseaux sociaux relève en partie de l’instinct du mammifère social. Plus généralement, si nous étions les descendants d’animaux solitaires, comme les ours ou les félins, les écrans n’existeraient pas. Pas plus que l’électricité ou l’eau courante. Toutes ces infrastructures techniques supposent l’existence d’une vie sociale, de coopération, d’échanges et d’intelligence collective comme seule en est capable une espèce sociale.
Si nous étions les descendants d’animaux herbivores, comme les vaches ou les chevaux, il nous suffirait de brouter de l’herbe ; nous passerions moins de temps en cuisine à mijoter des petits plats et l’industrie alimentaire se réduirait à peu de choses. Si nous étions issus d’une lignée de mouches, les excréments et les fruits en décomposition suffiraient à nous nourrir. Notre vie serait plus courte aussi : quinze jours à un mois. Pas le temps de faire grand-chose de sa vie. L’évolution culturelle ne serait pas allée très loin.
Pour mesurer la part animale qui est en nous et en quoi elle détermine nos conduites, la comparaison avec d’autres espèces animales est nécessaire et édifiante. Certains troubles psychiatriques qu’on pourrait croire spécifiques aux humains existent chez d’autres espèces : la dépression, la phobie, l’autisme, les toc existent aussi chez les rats ou les chats. Ils attestent aussi de notre animalité.
Celle-ci ne doit pas être vue comme un lourd héritage du passé, un fardeau évolutif dont on pourrait progressivement s’émanciper au fil de l’humanisation. Elle est nécessaire à la survie humaine du 21e siècle. Nos vêtements, nos bâtiments, nos écoles, nos hôpitaux, nos moyens de transport ou nos écrans nous font croire que nous nous sommes affranchis des contraintes naturelles et que notre animalité est derrière nous.
Ce n’est pas le cas. Si nous ne ressentions pas les mêmes émotions de peur ou de joie que la grenouille ou le pigeon, notre espèce aurait tôt fait de disparaître.
Notre cerveau « reptilien » ressent encore la peur. Et c’est heureux : cette émotion archaïque est indispensable à la survie. Les humains réagissent comme les rats face à un danger : accélération cardiaque, poils qui se hérissent, pupilles dilatées, prostration. Supprimer cette peur archaïque signerait rapidement notre arrêt de mort. Les rues seraient jonchées de cadavres, faute d’avoir détecté le danger d’une voiture qui surgit.
La douleur, la peur ou le plaisir sont présents chez la plupart des espèces animales. Ils sont des ingrédients indispensables à leur survie.
L’attachement et l’amour ne sont pas des émotions spécifiquement humaines. Elles sont aussi un ciment du couple chez les perroquets ou les loups 1.
Comment déterminer ce qui chez l’humain relève de son animalité et ce qui relève spécifiquement de l’espèce (comme le langage, les techniques sophistiquées) ? Par l’analyse comparative. Si un comportement qu’on croit spécifiquement humain – comme la séduction 2 ou la hiérarchie 3 – est présent chez d’autres espèces, il y a tout lieu de penser qu’il plonge ses racines dans notre animalité.
Et un principe de parcimonie invite à d’abord chercher ce qui, dans les conduites humaines, relève de sa part animale, avant de l’attribuer à sa propre humanité.
L’appel du large chez l’adolescent babouin
Les babouins d’Afrique de l’Est vivent au sein de petites troupes qui se croisent à la mi-journée lorsque les animaux viennent boire au bord de la rivière. Chaque groupe se tient à distance et s’observe du coin de l’œil. À l’exception de ce jeune babouin adolescent : « Il se tient là, sur le bord de la rivière, complètement fasciné. De nouveaux babouins, tout un tas ! Il s’avance rapidement de cinq pas vers eux, recule de quatre, cherche parmi les membres de sa troupe pourquoi personne d’autre ne semble être fasciné par les étrangers. Après avoir observé pendant une éternité, il traverse la rivière avec précaution, et s’assied tout au bout de l’autre rive, prêt à décamper si un nouveau babouin faisait ne serait-ce que lui lancer un regard 4. »
Dans les jours qui suivent, l’ado babouin va s’enhardir ; on le voit s’approcher du groupe étranger, chercher à nouer des liens avec certains membres, les suivre de loin puis revenir à son groupe. Jusqu’à ce qu’un beau jour, il le quitte définitivement et s’intègre à l’autre. Il rejoint un groupe d’adoption et va chercher à se reproduire. Chez les chimpanzés ou les gorilles, ce sont les femelles qui quittent leur groupe d’origine à l’adolescence.
Ce phénomène d’exogamie, répandu chez les mammifères sociaux, permet l’évitement de l’inceste. Chez les primates, le départ de l’adolescent se manifeste donc à la fois par la prise de distance avec son groupe familial et l’attirance pour un autre groupe. Toute ressemblance avec les adolescents humains n’est pas forcément fortuite.
- Jean-François Dortier, « Aimer comme des bêtes », Les Grands Dossiers des sciences humaines, n° 32, septembre 2013. [↩]
- Jean-François Dortier, « L’art de séduire, des oiseaux aux humains », Sciences Humaines, n° 217, juillet 2010. [↩]
- Achille Weinberg, « Dominant/dominé. Anatomie d’une relation », Sciences Humaines, n° 213, mars 2010. [↩]
- Robert M. Sapolsky, The Trouble with Testosterone. And other essays on the biology of the human predicament, Simon & Schuster, 1997. [↩]
L’humain est bien un animal, un primate spécial et même « un étrange animal », intelligent et conscient comme les autres, mais un peu plus et un peu différemment. Aujourd’hui, ce n’est plus vraiment un sujet de débat, personne ne défend le concept d’animal machine; ce qui nous préoccupe c’est l’Intelligence artificielle.
Ne sommes-nous que des machines actionnées par des algorithmes et la vie n’est-elle que du « data processing ». C’est une des trois questions finales que pose Yuval Noah Harari dans Homo Deus. Les deux autres en découlent :
– Qu’est-ce qui a le plus de valeur – l’intelligence ou la conscience ?
– Qu’est-ce qui arrivera à nos sociétés, à la politique, à nos vies quotidiennes quand les algorithmes non-conscients mais hautement intelligents nous connaîtrons mieux que nous ne nous connaissons nous-même ?
Siri Hustvedt (Les mirages de la certitude) conclut comme Harari que les ordinateurs intelligents ne seront jamais conscients car cette intelligence artificielle est produite par une machine sèche, elle n’est pas faite d’un « substrat gélatineux », d’un « corps humide et non étanche », elle ignore l’expérience vécue par tous les vivants de la naissance à la mort.
L’humain est bien un animal, un primate spécial et même « un étrange animal », intelligent et conscient comme les autres, mais un peu plus et un peu différemment. Aujourd’hui, ce n’est plus vraiment un sujet de débat, personne ne défend le concept d’animal machine ; ce qui nous préoccupe c’est l’Intelligence artificielle.
Ne sommes-nous que des machines actionnées par des algorithmes et la vie n’est-elle que du « data processing ». C’est une des trois questions finales que pose Yuval Noah Harari dans Homo Deus. Les deux autres en découlent :
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– Qu’est-ce qui arrivera à nos sociétés, à la politique, à nos vies quotidiennes quand les algorithmes non conscients mais hautement intelligents nous connaîtrons mieux que nous ne nous connaissons nous-même ?
Siri Hustvedt (Les mirages de la certitude) conclut comme Harari que les ordinateurs intelligents ne seront jamais conscients car cette intelligence artificielle est produite par une machine sèche, elle n’est pas faite d’un « substrat gélatineux », d’un « corps humide et non étanche », elle ignore l’expérience vécue par tous les vivants de la naissance à la mort.
Il faut relire le dernier livre de Derrida : « L’animal que donc je suis » qui se démarque de la problématique cartésienne de l’animal machine et introduit une vision beaucoup plus empathique du monde animal.
Pourquoi ne pas avoir signalé l’information essentielle, arrivée en 2005 : Note génome se différencie de celui du chimpanzé d’environ 1 % ? !
Est-il nécessaire d’expliquer plus ? !