L’autre soir, nous étions invités à dîner chez notre amie Martha. Fait notable – et de plus rare – nous étions, Mc et moi, les plus jeunes : ce qui, en tant que sexagénaires, est de moins en moins fréquent. Martha est notre aînée de presque deux décennies, mais cela ne l’empêche pas de rester débordante d’énergie, d’idées et de projets. Elle revient d’un voyage en Ouzbékistan et travaille à un projet de documentaire sur une ancienne star américaine de la cuisine.
A notre table, deux septuagénaires très en forme. Marina, sociologue italienne est aussi bouillante de vie et d’idées. Dernier projet utopique en date : faire l’Europe culturelle pour les enfants (en publiant auprès des petits des contes venus de toutes les régions d’Europe). Arthur lui, est un illustre traducteur américain qui vit à Boston et qu’on n’avait pas revue depuis des années. Il a plus de cents auteurs français traduits à son actif (dont Tocqueville, Thomas Piketty). Il nous a confié avoir toujours en cours son roman commencé il y a quelques années. Il sera bientôt un jeune romancier. C’est sûr !
Comment ne pas être ravi devant tant de cette vitalité ! Je n’ai pu m’empêcher de penser à bien d’autres amis dit “retraités” (un mot détestable et qui correspond si peu à la réalité) qui s’activent à cultiver leur utopie personnelle. Vous ai-je parlé de mon copain Jean François Sabouret qui après une carrière au CNRS bien rempli s’est donné comme mission cette folle utopie : faire construire une ligne de chemin de fer “Occident-Express”, reliant Bruxelles Marrakesh !
Cette histoire de train, me fait penser aussi à l’ancien avocat conseil de Sciences Humaines Philippe est parti en retraite avec ce projet d’enfant en tête : construire dans son hangar une reproduction miniature de la gare de Clermont telle qu’elle était en 1944 ! “Des années de travail devant moi !” m’avait-il dit avec un grand sourire lors de notre dernière rencontre. Ce jour là, j’avais vu, le sévère avocat que j’avais connu redevenir sous mes yeux un petit garçon.
Je songe aussi à Pierre Caro, un amical correspondant. Cet artisan du « bien vieillir longtemps » ou de Michel Bernard qui s’est donné pour mission de refonder l’université du 21ème siècle.
Autant de retraités, autant de doux utopistes qui rêvent encore de refaire le monde. Mais nul ne peut égaler l’ami Edgar Morin. A cent ans passé, il entame une collaboration prometteuse avec l’Humanologue. Il m’envoie des articles (sur « l’Ukraine », « la mort et la vie » et bientôt « la conscience de la conscience » (à paraitre en septembre dans l’Humanologue n°7), me parle de son prochain déménagement et de son livre cours sur Montaigne, Spinoza, Cervantes et Shakespeare. « Je suis encore vivant, c’est un miracle, alors j’en profite ».
Qui dit mieux ?
Je suis venue lire l’article car on me dit souvent que nous débordons de projets moi ( 67 ans ) et mon compagnon (77) . mais les exemples donnés m’ont plutôt « écrasée » dans ma réalité bien banale à côté de ces gens là . Heureusement les commentaires m’ont ramenée à « notre » réalité : celle de gens anonymes , aux revenus trop faibles pour envisager des voyages à l’étranger couteux , mais qui néanmoins ont une multitude de projets « à leur mesure » : je fais des conférences ( modestement en local) , j’écris , nous sommes partis 6 mois en Grèce pour vivre avec les grecs et apprendre leur langue et leur modes de vie et de pensée ( du coup on y retourne 2 mois retrouver les relations qu’on s’y est fait) , j’ai créé une association et suis très active dans 2 autres … Bref nous ne sommes en aucun cas « retraités »
A 61 ans je ne rêve pas de « changer le monde », changer ma vie m’ayant déjà bien occupé, mais j’essaye néanmoins d’avoir un impact sur sa direction. C’est pourquoi, depuis quelques années, je me suis attelé, avec des centaines d’autres personnes aussi utopiques que moi, à essayer de faire prendre conscience à nos contemporains européens qu’ils nagent dans une telle propagande médiatique qu’ils n’arrivent pas à voir que, depuis les années 80, les « démocraties occidentales » deviennent, petit à petit, des « oligarchies à façade démocratique ».
Mais la tâche est ardue et m’a appris que, comme le disait Einstein, « il est plus difficile de désagréger un préjugé qu’un atome » et, comme je ne sais plus qui, « les gens préfèrent un confortable mensonge à une inconfortable vérité ».
Tout cela pour dire qu’on peut encore, à 61 ans, croire à l’utopie d’un réveil des peuples et y apporter toute son énergie.
https://lesakerfrancophone.fr/ceg1-comprendre-les-enjeux-geopolitiques
Bonjour
Je suis peut être hors sujet mais voici ce que m’évoque votre témoignage.
Il semblerait qu’avec l’âge l’esprit reste le même qu’à 20 ans. La puissance du corps diminue mais nos pensées sont les mêmes que celles de notre jeunesse et nous nous projetons dans des actions des aventures comme si nous étions éternels. C’est sans doute ce qui nous permet de vivre et d’écarter la mort ou qui nous permet de l’oublier.
Les exemples que vous donnez sont ceux de personnes « favorisées » intellectuellement, socialement, culturellement et qui ont une curiosité, une envie, motivation au dessus de la moyenne et présentes tout au long de leur vie. La soif d’apprendre, de chercher de se sublimer est toujours présente. Pourquoi partirait elle si la santé est là ?
Cette façon de se projeter dans le futur quand on a un âge avancé est elle la même chez des personnes moins « favorisées » culturellement ,socialement, ayant exercé des métiers d’exécution ?
Je me demande si la vie que l’on a mené ne va pas être plus déterminante pour se projeter que l’âge avancé ?
Je suis admiratif de ces personnes qui débordent d’énergie et de joie de vivre.
Personnellement, je viens d’avoir 60 ans et je suis en activité dans un métier qui m’apporte humainement (accompagnement de personnes en difficultés sociales et professionnelles).
Cependant, je suis diminué physiquement et psychologiquement, et j’attends impatiemment l’instant qui clôturera ce parcours dans ce monde.
Continuer ainsi jusqu’à la prochaine décennie m’est impensable.
Mon expérience personnelle m’invite à tempérer un peu votre optimisme. A 74 ans j’ai craqué pour une maison qui, à mes yeux, coche toutes les cases: maison médiévale en partie troglodyte, jardin en terrasses permettant d’admirer le bourg et sa vallée, humanité bienveillante d’une ruralité qui se moque des misères parisiennes. Hélas, à la fin, ce n’est pas l’Allemagne qui gagne mais le corps qui décide. Et j’appréhende avec angoisse la perspective de gravir mes terrasses pour contempler la vue. Maintenant, il est vrai qu’à la retraite on a tout son temps pour monter des marches…
je fais parti d’un groupe de psychosociologues nés de 1940 à 1960. L’une est morte cette année mais il en reste 13, qui travaillent depuis 4 ans sur une recherche sur la transmission de la psychosociologie. personnellement, je suis né en 1947 et j’ai décidé, après avoir perdu mon épouse, de venir m’installer au Québec où je vais continuer à faire des consultations par internet.
OK Boomer !