Toutes les personnes que je rencontre m’intéressent. Ne fût-ce que par curiosité : on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise. Mais aussi — et surtout — parce qu’au fil des années et des rencontres, j’ai découvert un formidable secret : tout le monde a quelque chose à raconter. Une anecdote incroyable, une passion secrète, un rêve d’enfant, un déboire amoureux… chaque personne cache au moins une histoire passionnante, ou au moins surprenante. Il suffit d’ouvrir la porte. Parfois, il suffit même de l’entrouvrir.
Alors permettez-moi de partager avec vous certaines de ces rencontres plus ou moins furtives que j’ai eu la chance de faire. Une collection d’impressions qui formeront, peu à peu, comme une mosaïque d’humains — un autre aspect de l’Humanologie. Ce mois-ci, je vous parle d’Eddy, un sans-abri plein d’espoir.
J’ai rencontré un homme qui vit sous un parapluie, au coin de la rue Duc et de la rue du Roi.
Un homme à la peau noire, au grand sourire charmant, tapi derrière un parapluie ouvert.
Je lui ai offert un sandwich (j’en avais justement deux), un « wrap » aux boulettes végétariennes.
• « De la viande végétarienne ? »
Ça l’a fait rire, et d’un coup la conversation était lancée. Il m’a posé plein de questions sur l’art d’être végétalienne puis, apprenant que je ne l’étais point, il s’est lancé dans un discours passionné sur son amour du steak tartare et d’autres mets. Son visage s’éclairait au fil des plats qu’il évoquait. Un véritable gourmet.
Nous avons discuté presque une heure, sous le soleil de Londres. Puis, il m’a offert une bière belge, immédiatement suivie d’un flot d’excuses :
• « Oh non, je donne certainement une mauvaise impression. Pourtant, je ne bois jamais, mais c’est vrai que ça fait un peu alcoolique d’offrir une bière. Je voulais juste t’offrir quelque chose. »
Je l’ai rassuré, et nous avons encore discuté un moment. Il m’a parlé de sa vie, de son enfance et de ses études, de ses espoirs et de ses déboires, de sa famille, de son mariage. Je lui ai parlé de ma vie de guide touristique et de musique… et il a tout de suite embrayé sur toutes les musiques dont il est passionné.
• « C’est tout ce qui est compte dans la vie, tout ce qui est important : la musique et la nourriture, la nourriture et la musique. »
Enfin il m’a parlé du parapluie.
• « C’est plus pratique qu’un matelas à transporter en journée. »
Je lui ai demandé s’il ne voulait pas un sac de couchage ou une couverture mais il m’a répondu, en parfait gentleman britannique, que, à choisir, il achèterait d’abord un pyjama. Une tenue pour le soir.
• « Ah, le confort de dormir dans un pyjama ! »
On a parlé de tout, on a parlé de rien, je ne connais pas le pourquoi du comment de ce qui l’a amené là, mais j’ai été illuminée par cette rencontre improvisée.Et je garderai longtemps le souvenir de son énergie positive, de son sourire, et de cette canette de Stella Artois qu’il a absolument voulu me donner.
Très belle histoire d’une rencontre avec une personne « décalée » par rapport aux préoccupations de notre société: rentrer dans le rang, s’occuper principalement de notre confort, de notre position sociale, de nos craintes du déclassement… Être dans l’ici et maintenant apte à goûter ce que le présent nous offre, avec une capacité d’émerveillement intacte, une curiosité apte s’emparer de ce micro-évènement: « un sandwich végétarien ». Un philosophe du quotidien. Voilà ce à quoi nous appelle cette jolie histoire, voici ce qu’elle nous rappelle: émerveille-toi d’être parmi les vivants et c’est parce que tu t’émerveilleras que tu te rejoindras la cohorte des vivants et que tu te sentiras vivant.
Merci pour ce beau commentaire