Le chien de Darwin croyait-il en Dieu ?

3030En 1871, onze ans après la publication de l’Origine des espèces, Darwin publie La Filiation de l’homme1. Ce livre est destiné à appliquer la théorie de l’évolution à l’espèce humaine, Darwin s’étant, en effet, gardé d’évoquer les origines de l’homme dans L’Origine des espèces. Une partie de cet épais volume est consacrée à l’origine des aptitudes mentales : l’intelligence, le langage, l’imagination, la conscience, la morale. Darwin pense que ces capacités, que l’on croit spécifiques aux humains, existent chez d’autres animaux, sous des formes embryonnaires. « Mon objectif (…) est de montrer qu’il n’existe aucune différence fondamentale entre l’homme et les mammifères supérieurs pour ce qui est de leurs facultés mentales. »

Les cris des animaux sont, pour lui, les prémisses du langage. Les outils sommaires utilisés par certains animaux sont les premiers pas des techniques. Le soutien et l’attention dont font preuve les mammifères à l’égard de leurs petits sont les bases de la morale… Darwin s’emploie à montrer que ce que l’on croit le propre de l’homme est déjà présent chez certaines espèces animales. Qu’en est-il des croyances religieuses ?

Le naturaliste commence par définir la religion comme le fait d’aimer un être supérieur et invisible. « Le sentiment de dévotion religieux (…) consiste en de l’amour, en une soumission complète à un supérieur transcendant et mystérieux. » Telle est, selon lui, la religion des « sauvages » qui vénèrent et craignent des esprits de la nature. Se pourrait-il qu’un chien puisse ressentir des sentiments voisins ? Commençons par la perception d’une présence invisible. Darwin a observé que sa propre chienne était capable de ressentir une présence. « Lorsque je dis à ma chienne terrier, d’une voix impatiente « Hé, hé ! mais où est-il ? », elle prend cela immédiatement comme un signe qu’il y a quelque gibier. Mais ne trouvant rien, elle regarde en l’air, vers quelque arbre du voisinage, pour trouver un écureuil ». N’est-ce pas la preuve que sa chienne a en tête l’intuition qu’un animal est présent, bien qu’invisible ?

Une autre anecdote le confirme. Un jour d’été, son chien, « animal assez âgé et très sensé », se prélassait sur la pelouse. Or, un petit vent léger soulevait de temps en temps un parasol ouvert. À chaque fois que le parasol bougeait, le chien grognait et aboyait. « Il devait, je pense, avoir raisonné en lui-même d’une façon rapide et inconsciente, (…) qu’un mouvement sans aucune cause apparente indiquait la présence de quelque agent vivant et étranger. Aucun étranger n’avait le droit de se trouver sur son territoire, d’où ses grognements. »

Premier fait établi : les chiens peuvent présupposer la présence d’un être qui reste invisible.

La deuxième caractéristique du sentiment religieux, selon Darwin, c’est « la dévotion ». Or, sur ce point, l’adoration qu’un chien voue à son maître n’est-elle pas de même nature que celle du dévot à l’égard de son Dieu ?

Si on combine ces deux éléments – sentiment d’une présence invisible et dévotion – nous avons là les conditions d’apparition d’une religion !

C. Darwin ne va pas jusqu’à dire que son chien croit en Dieu. Mais pour lui, il est clair que l’animal possède des facultés d’imagination et d’amour qui, développées et associées entre elles, ont donné naissance aux premières croyances religieuses chez les humains. •

  1. Le titre exact est The Descent of Man, and Selection in relation to sex. traduction française, La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe, éd. Syllepse, 1999. []

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