« Ça me prend aux tripes », « Ça me coupe l’appétit », « Ça me fait vomir » : autant d’expressions pour dire qu’entre le cerveau et le système digestif se tisse un lien qui pourrait ne pas être que purement métaphorique. Un nouveau courant de recherche, la psycho-microbiotique, confirme que les milliards de bactéries qui peuplent nos intestins – ce que l’on appelle la flore intestinale – jouent un rôle dans le bon état de notre santé psychique et pourraient être l’une des causes de la dépression, des troubles anxieux, voire de la schizophrénie ou de l’autisme. Comment en serait-il autrement quand on sait que la sérotonine, neurotransmetteur impliqué dans la gestion des émotions et le sentiment de bien-être, est produite à plus de 90 % par les bactéries grouillant dans l’intestin ?
Quelque 100 000 milliards de bactéries, virus et autres micro-organismes peuplent notre microbiote intestinal. Cette flore est composée de milliers d’espèces différentes qui ne sont pas des parasites : si nous leur apportons à manger, en contrepartie, elles s’occupent de prédigérer les aliments et nous les rendent assimilables.
L’influence des intestins sur l’équilibre psychologique s’appuie d’abord sur l’observation d’animaux dits « axéniques », privés de flore intestinale (ce qui est le cas lorsque l’animal naît par césarienne). Dès 2004, des chercheurs japonais ont montré pour la première fois que des souris axéniques présentaient un taux d’anxiété élevé et une hypersensibilité au stress. Placées en équilibre sur une plateforme, elles mettent plus de temps que les autres à descendre. Inversement, il suffit de reconstituer leur microbiote (flore intestinale) pour faire baisser leur taux d’anxiété. Première conclusion : les bactéries digestives agiraient donc comme une forme d’antidépresseur. En 2013, une autre étude dirigée par Timothy Dinon a montré l’influence de la flore intestinale sur le comportement social. Les souris axéniques se réfugient plus que les autres dans des endroits isolés plutôt qu’aux côtés d’un congénère, et elles évitent aussi les contacts avec les inconnus. L’inoculation d’un microbiote a pour effet de les rendre plus sociables.
Voilà donc pour les souris, mais qu’en est-il des humains ? L’influence du microbiote sur notre comportement a pu être observée. Un lien entre la schizophrénie et le microbiote a d’abord été établi pour des patients schizophrènes décédés : les prélèvements post-mortem révèlent que 50 % présentaient des troubles gastriques, 88 % des signes d’entérite et 92 % des signes de colite !
Un antibiotique contre la dépression
On sait également que le Toxoplasma gondii (une bactérie pathogène responsable de la toxoplasmose) est le pathogène le plus impliqué dans les troubles schizophréniques. L’association entre l’inflammation du tube gastro-intestinal et la schizophrénie est donc patente.
L’anxiété est aussi favorisée par la perturbation de la flore intestinale. En 2012, à l’université d’Izumo au Japon, des chercheurs ont mis en évidence l’effet d’un antibiotique, la minocyline, sur les symptômes dépressifs (tristesse, insomnies, anxiété).
Récemment, il a été démontré comment les bactéries agissent sur le comportement. À la fin d’un repas, des fragments de bactéries (muropeptides) passent de l’intestin au cerveau où des récepteurs mettent au repos les neurones de l’hypothalamus qui contrôlent la faim. En bref, l’intestin parle au cerveau via les bactéries et lui dit « C’est bon, je n’ai plus faim »1.
Si les produits anti, pré et probiotiques agissent sur le comportement, en modifiant la composition de la flore intestinale, ils pourraient donc servir de médicaments psychotropes. Certains psychiatres considèrent que l’alimentation fait désormais partie du traitement, en complément des médicaments ou des psychothérapies, et parlent de « psycho-microbiotes » pour désigner cette nouvelle classe de psychotropes qui agiraient non plus directement sur le cerveau, mais sur les intestins.
Quand l’alimentation rend fou
Le grand hamster est un rongeur présent de longue date en Alsace, mais l’animal est aujourd’hui sur la liste des animaux protégés : il ne reste plus que 500 spécimens dans la région alors qu’ils étaient des milliers une génération plus tôt. La campagne d’élimination dont il est la cible ne suffisant pas à l’expliquer, des chercheurs se sont donc demandé si leur disparition ne provenait pas des pesticides présents dans le maïs. Mathilde Tissier, jeune doctorante à l’Institut pluridisciplinaire Hubert-Curien (IPHC), a mené l’enquête. Dans son laboratoire, 29 femelles ont été soumises à plusieurs types de régimes alimentaires différents : blé ou maïs, avec ou sans ver de terre, pour observer la mortalité des petits. Surprise : les femelles nourries au maïs se sont comportées de façon effarante. Au lieu de s’occuper de leur progéniture comme les autres, elles déposaient leurs petits dans leurs réserves puis les dévoraient ! S’il arrive que des rongeurs tuent leurs petits dans des situations de stress, ce n’est jamais dans de telles proportions : 95 % des petits ont été tués et mangés par leur mère ! La raison de ce comportement sauvage ? Les chercheurs l’ont découvert : ce n’est pas la présence d’un pesticide, mais une carence de vitamine B3 due à la surconsommation de maïs. Cette carence spécifique produit en effet une maladie déjà connue chez l’humain : la pellagre, une maladie mortelle qui fit des ravages à la fin du 19e siècle. On estime qu’elle aurait alors tué 2 à 3 millions de personnes. La pellagre se manifeste par trois symptômes révélateurs qu’on appelle les 3d : diarrhées, dermatites (impressionnantes maladies de peau), mais aussi « démences ». Les signes de démence ressemblent à ceux de la schizophrénie et conduisent à des comportements paranoïaques et violents. La pellagre aurait ainsi été la cause d’un nombre important d’homicides dans certaines populations d’Amérique du Nord au 19e siècle.
- « Les pouvoirs méconnus du microbiote, peuple de nos intestins », CNRS, 20 juin 2022 (en ligne). [↩]
Je corrige … et donne de l’espérance à…
Bravo aux chercheurs qui continuent leur travail sur le microbiote. Leurs conclusions actuelles ouvrent de nouvelles voies et de de l’espérance à ceux qui souffrent. Merci.