Le crépuscule des dieux (du stade)

Après avoir été un héros, un champion doit redevenir un humain ordinaire. Comment vivre une telle transition, qui s’annonce pour certains comme une mort sociale ? 

Ils ont été des héros, des champions, des dieux du stade. Mais aujourd’hui, ils doivent redevenir des humains ordinaires. Voilà le problème qui se pose aux anciens champions, sportifs de haut niveau, qui ont connu la gloire: un destin hors du commun, des médailles remportées, les projecteurs braqués sur soi, l’admiration de fans… Et un jour arrive où il faut laisser la place, vers 30 ou 35 ans pour retrouver une vie normale. Comment gérer cette brutale retraite à un âge qui n’est pas celui du renoncement? Comment quitter la peau du héros et revêtir celle de l’humain ordinaire?

« Je suis mort à 32 ans, le 17 mai 1987 », a dit un jour Michel Platini. C’est le jour de son dernier match de football professionnel. Antoine Blondin l’avait dit à sa manière: « Le champion est un homme dont le destin est de mourir deux fois (1). »

Le défi de la reconversion
Ils sont des milliers chaque année, toutes disciplines confondues – nageurs, cyclistes, boxeurs, haltérophiles, pongistes, motards – à devoir quitter le sport professionnel pour se reconvertir. Plusieurs cas de figure se présentent. Il y a d’abord ceux qui ne veulent pas redescendre sur terre. Certains sportifs refusent d’admettre cette « petite mort » qu’est la reconversion. Björn Borg, l’un des meilleurs joueurs de tennis de tous les temps, s’est retiré assez tôt mais a tenté par la suite plusieurs come-back sur les courts après 35 ans. Ces prestations ont été pathétiques. Certains acceptent de passer à autre chose, se fixant de nouveaux défis héroïques.

Luc Alphand s’est lancé dans la course automobile après un passé de champion de ski. D’autres se lancent dans la politique, dans les affaires, ou briguent des hautes responsabilités dans les instances sportives. Mais, pour quelques succès éclatants, il y a beaucoup d’échecs. Laurent, un ancien cycliste professionnel, a dû interrompre sa carrière à cause d’une blessure. Dix ans plus tard, on le rencontre encore dans la boutique de ses parents. Il entretient le mythe d’une renaissance sous forme d’un grand projet mégalomaniaque : il envisage d’acheter un terrain pour construire un immense complexe sportif à la taille pharaonique. Mais ce projet démesuré contraste totalement avec ce qu’est devenu Laurent qui a perdu ses contacts avec le monde sportif et les sponsors et qui vit dans sa petite ville de province, ruminant son rêve. Laurent n’a pas su faire le deuil de sa gloire passée (2)

Une petite mort
La presse se fait parfois l’écho de la déchéance d’anciens champions, incapables de s’adapter à une vie ordinaire et qui vont sombrer dans la drogue, l’alcool, et la violence. Marc Cécillon, ancien rugbyman professionnel, vit très mal sa retraite et sombre dans l’alcoolisme et la dépression. En août 2004, il tue sa compagne Chantal dans un accès de démence. José Touré, footballeur de l’équipe de France, fait le récit de ses déboires : alcool, drogue, prison (3). Catherine Tanvier, ancienne championne de tennis passe « de Roland Garros au RMI » (4). Ces situations sont, heureusement, très exceptionnelles. Beaucoup passent par une phase plus intime d’effondrement narcissique. Le cycliste Laurent Jalabert, qui a eu une reconversion plutôt réussie (consultant TV sur le Tour de France), avoue pourtant la difficulté de la retraite qu’il a vécue comme une « petite mort » (5). Pour le plus grand nombre, la retraite des sportifs de haut niveau ne correspond pas à un schéma dramatique, fait de descente aux enfers ou de rebondissement spectaculaire. Beaucoup se reconvertissent dans les instances sportives (entraîneur, dirigeant de fédération), quand d’autres utilisent le pactole accumulé durant leur carrière pour ouvrir un magasin ou un restaurant. A priori, le crépuscule des dieux ne touche qu’un petit nombre de gens. Les chanteurs et acteurs de cinéma connaissent des destins semblables. Leur histoire est tragique parce que leur ascension a été exceptionnelle et ils doivent tomber de haut. Plus dure est donc leur chute. •

(1) Cité par Makis Chamalidis, Splendeurs et misère des champions. L’identité masculine dans le sport de haut niveau, VLB, 2000.
(2) Makis Chamalidis, Op cit.
(3) José Touré, Prolongations d’enfer, Lattès, 1998.
(4) Catherine Tanvier, Déclassée, Panama, 2007.
(5) Laurent Jalabert, À chacun son défi, Solar, 2009.

4 réactions sur “Le crépuscule des dieux (du stade)

  1. Un peu « fourre-tout » non?
    Monsieur TOURE a eu ses déboires (blessures à répétition) avant de réaliser la carrière que son » talent » de footballeur lui aurait permis non?
    Quant à madame ou mademoiselle TANVIER, comment une presque « championne » (« borgette » l’avait surnommé le magazine « Tennis de France » non? ) n’a pu monnayé son talent uniquement en participant , par exemple à des stages bien rémunérés de Tennis… Bon, un tantinet mieux que le montant du « RMI » à l’époque n’est-il pas? Curieux, ce mélange…

  2. J’ai eu la grande chance, ado, d’avoir comme prof de sport Mme Dupureur (Maryvonne à la télé), la championne olympique. C’était ma prof 4 heures par semaine au lycée, et je la retrouvais le samedi 2 heures à l’entraînement au stade ( par l’Amicale laïque).
    Quel bonheur de s’entraîner avec elle, quelle sagesse dans ses commentaires, quelle joie dans ses encouragements ! Elle était tranquille, a eu 3 enfants, qu’elle emmenait parfois avec elle aux entraînements du samedi, on parlait et riait de tout… et on l’admirait en secret.

  3. Hélas pauvre humain .Il satisfait le barème de la société et il omet le barème de son âme. Quand l’humain prendra conscience de son ego.
    Satisfaire son ego est difficile voire impossible.L’ego demande toujours plus. Ainsi l’humain oublie qu’il a une âme.

  4. L’article décrit avec précision le passage subi des « projecteurs » vers « l’ombre » de la vie quotidienne! Cependant, il y a moyen de préparer tout déoart, s’agit- il du monde sportif, artistique, culturel, économique, politique ou social!
    L’individu a besoin de prendre du temps, de réfléchir avec autrui, d’être soutenu ou accompagné pour construire un nouveau projet enchantant auquel il consacrera ses efforts et son enthousiame. Ainsi, tout passage prévu, réfléchi et accompagné aboutira à une vie pleine et épanouissante! Qu’en dites – vous?

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