N’ayant jamais été gravement malade ni connu d’accident majeur, n’ayant jamais divorcé ni été licencié, je ne connais les dures « épreuves de la vie » que par ouï-dire. D’où ma difficulté à tirer des
leçons de ce dont je n’ai pas vraiment l’expérience. Il me reste donc à observer les proches pour trouver quelques exemples édifiants. Et ça ne manque pas.
Dans mon entourage, je pense à un divorce long et très douloureux qui a conduit au final à une vraie libération pour l’un et… au suicide de l’autre. Une même épreuve, deux aboutissements opposés. J’ai également en tête un cas de descente aux enfers : la trajectoire infernale d’un ami cabossé par la vie, qui a connu la maladie, le chômage, l’alcool et a fini dans la rue. Il a pourtant réussi à se faire une nouvelle existence dans le milieu associatif. À l’inverse, je songe à un autre cas, très semblable, que l’épreuve de la maladie et du chômage a conduit à la déchéance complète, jusqu’à la conclusion : un arrêt cardiaque.
Je pense aussi à un couple d’amis qui a traversé une terrible épreuve : ils ont perdu leur fils, âgé de 20 ans. La mère est désormais une dépressive chronique, alors que son conjoint a continué à mener sa vie tambour battant. Il m’a confié un jour : « J’ai toujours été quelqu’un d’heureux. Maintenant, je le suis encore, mais un peu moins. »
À vrai dire, j’ai du mal à tirer des leçons générales de ces expériences. Je suis très sceptique envers ces belles leçons générales telle que : « Une crise est une opportunité » ou « Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort ».
Une crise est une opportunité ? Oui, dans certains cas : un licenciement, une rupture amoureuse, une maladie peuvent être salutaires. Les exemples ne manquent pas ; les ouvrages de
développement personnel en regorgent. Mais allez dire à un agriculteur qu’un fléau qui s’abat sur ses récoltes est « une chance à saisir ! »
Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort ? Oui parfois, des petites claques de la vie vous stimulent et vous donnent une leçon. Les boxeurs savent cela ; si vous êtes du genre combatif, une défaite et une petite humiliation peuvent toucher votre orgueil et booster votre détermination. Au match suivant, vous serez plus solide. Mais d’un vrai KO ou d’une grosse raclée sur le ring, on ne ressort jamais totalement indemne.
De même, l’accident qui ne vous tue pas, mais vous laisse sur une chaise roulante, vous rend rarement plus fort.
Bien entendu, on peut apprendre de ses échecs, quand ils ne sont pas trop cuisants. Mais pour quelques « born again » qui ont réussi à trouver au fond d’eux-mêmes les ressources pour rebondir après un drame, combien de traumatisés à vie ?
Si on voulait être vraiment lucide, la seule leçon irrévocable à tirer des épreuves serait celle-ci : la vie est un éternel combat qui finit toujours mal. Et encore : ce n’est même pas sûr !
J’ai assisté récemment à l’enterrement d’un ami, mort au terme d’une longue maladie dégénérative. Toute la famille et les proches s’accordaient à considérer que sa mort était finalement une délivrance pour lui, et un soulagement pour tous ceux qui l’ont accompagné. Son enterrement fut somme toute assez joyeux. Ce qui prouve que dans certains cas, la meilleure issue n’est donc pas de « revivre après l’épreuve » mais plutôt de mourir paisiblement pour mettre fin aux épreuves.
Comme Corine, cette maxime nietzschéenne m’a évoqué la résilience et aussi Boris Cyrulnik qui a brillamment développé et illustré ce concept. C’est aussi le sens que l’Humanologue a donné à ce terme en rapportant des cas de personnes qui ont surmonté des épreuves douloureuses. Nous serions, nous les humains, plus ou moins résilients. A l’origine, la résilience est une caractéristique mécanique des métaux ; leur capacité à subir un choc sans rupture, c’est-à-dire à résister au choc. Cette définition physique n’implique pas de changement du matériau après le choc, il n’est pas plus résistant, il ne retrouve pas sa forme initiale si le choc l’a déformé. Si le métal frappé par un marteau n’est pas plus fort, ni moins, Nietzsche prétend qu’il sort plus fort d’un choc douloureux. C’est une confidence qu’on peut prendre au sérieux car ce surdoué de la pensée en a connu des souffrances ! D’abord celles de sa maladie chronique, et surtout celles causées tous ses échecs. Il a voulu être reconnu comme guerrier, compositeur de musique, enseignant, savant, et même philosophe, et il n’a connu que des échecs avant le naufrage final. Sa vie sentimentale et sexuelle a été désastreuse. Comment ne pas sombrer dans le ressentiment et penser au suicide ? Nietzsche a trouvé dans les ressources de son imagination et dans son talent littéraire la force de vivre malgré tout avec l’espoir d’avoir une renommée, même posthume. Sa résilience se trouve dans ses écrits. Et il nous a laissé un monument littéraire qui tient plus du surréalisme que de la philosophie. La philosophie traitée à coup de marteau, bourrée de contradictions, a des allures surréalistes, elle devient un art « qui nous guérit de la vérité », qui a séduit les nazis comme les libertaires, et aujourd’hui les écolos. Nietzsche qui publiait ses derniers livres à compte d’auteur a finalement accédé à la grande renommée. C’est sa seule réussite, posthume soit, mais quelle réussite. Bravo l’artiste !
Merci Michel pour cette belle analyse très bien informée.
Jean François, l’humanologue
Merci de mettre en question avec mesure cette phrase « ce qui ne me tue pas me rend plus fort », sentence assez cruelle qui invite parfois à enfouir la douleur. Les travaux de la conceptrice de la resilience, Emmy Werner, ont montré que sur les 200 enfants qu’elle a observés pendant 30 ans! Et qui vivaient dans des conditions effroyables, seuls 70 ont reussi à bâtir une vie épanouissante et pleine de sens … Aidons chacun à trouver ses ressources de resilience…