La beauté est toujours associée à la bonté et la laideur à la méchanceté. Dans les contes, la princesse est belle et la sorcière est laide. D’où vient cette association injuste entre des qualités qui ne devraient pas avoir de rapport entre elles ?
Dans le vocabulaire courant, le beau, le bien, et le bon sont souvent pris pour équivalents: on parle d’une « belle personne » ou « d’un beau geste », pour désigner quelqu’un de « bien » ou quelque chose de bien (au sens moral). Dans les contes pour enfants, ceux qui représentent le « bien » sont aussi les plus beaux. Cendrillon est belle. Elle est aussi gentille, et généreuse. À l’inverse, ses cousines sont à la fois méchantes et laides. Dans Blanche-Neige, et la plupart des autres contes, la sorcière qui représente la méchanceté est toujours laide. On dit d’ailleurs qu’elle est vilaine. Dans l’iconographie religieuse, le Christ est un beau jeune homme, alors que le diable est laid et repoussant. Le bien et le beau sont aussi « bons ». On parle de « bon goût » ou de « mauvais goût » en art comme on en parle pour la nourriture. Dire de quelqu’un qu’il est « bon » ne veut pas dire qu’on l’a goûté… mais qu’il se comporte bien. D’autres correspondances intéressantes sont à relever: le bien est aussi associé à la blancheur et à la pureté, alors que le mal est « noir » et « impur ».
D’où vient cette coïncidence entre des valeurs qui, a priori, relèvent de domaines séparés: l’esthétique (le beau et le laid), la morale (le bien et mal) et le goût (le bon et le mauvais »)? Cette relation renvoie sans doute à quelque chose de très profondément ancré dans le psychisme humain. À un stade élémentaire de son fonctionnement, le cerveau réagit à son environnement pas des réactions primaires d’attraction et de répulsion: « j’aime, je n’aime pas ». Face à un objet, un geste, une personne, un aliment, le cerveau doit d’abord détecter s’il est aimable ou non, bienfaisant ou néfaste, ce qui provoque du plaisir ou du déplaisir. Cette réaction de base, très polarisée autour du couple plaisir/déplaisir peut alors s’activer dans des domaines différents et créer entre eux des connexions inattendues. Selon la théorie de la « cognition incarnée », les idées et les valeurs, qui semblent appartenir au monde de la culture (la morale, l’esthétique, le goût) plongent leurs racines dans le monde du vivant: les réactions du corps face à son environnement. L’idée de « cognition incarnée » part du constat que notre cerveau est un organe vivant relié à un corps (lui aussi vivant) et est plongé dans un environnement sur lequel il agit. Cette inscription corporelle, vivante et active du cerveau, a une incidence majeure sur la cognition et la pensée. Cela signifie que toutes les idées qui ne semblent relever que de la culture ont, en réalité, une composante corporelle issue de notre système perceptif, émotionnel ou moteur. •
La morale dans les tripes
Le langage courant ne cesse d’utiliser des analogies évocatrices. On parle de la « beauté d’un geste » (à propos d’une action généreuse). Inversement, « vilain », «laid », « moche » servent autant à la qualification esthétique que morale. Le bien et le mal sont souvent respectivement associés au propre et au sale. En témoigne l’usage des mots « dégueulasse », « dégoûtant » qui s’emploient autant à parler de « saleté » physique que de méchanceté. Les mots « puant », « infect », « nauséabond » servent autant à qualifier une odeur qu’une action immorale et malsaine. À noter que la morale a aussi une taille! Le bien est grand, le mal est petit: on parle de « grandeur
d’âme » ou à l’inverse de « petitesse » ou de « bassesse » pour la mesquinerie. Pour le linguiste Georges Lakoff, les analogies utilisées dans le langage courant ne font que refléter une inscription corporelle de nos catégories de pensée.
Oui, sans doute…on peut prolonger la réflexion en constatant que des choses « bonnes » à consommer – par exemple le sucre – peuvent ne pas faire du « bien » à notre santé, ou qu’une personne qui offre des bons bonbons n’est pas forcément « belle » ou « bien »faisante…hélas.
Oui en effet, notre corps-cerveau est maître en illusions. Vigilance!