Les philosophes grecs avaient un mot, « acrasie », pour désigner un étrange paradoxe : celui d’agir à l’inverse de ce qu’on voudrait ! Je sais que la consommation addictive des écrans n’est pas bon pour moi (c’est un dévoreur de temps, un facteur de dispersion, une cause de stress), ni pour la planète (les écrans sont très gourmands en énergie), mais cela ne m’empêche pas d’y retourner tout le jour durant. Ces flux d’informations et de divertissements me détournent de mes vrais objectifs j’en suis pertinemment convaincu. Et pourtant…
Voilà l’acrasie au 21e siècle : nous avons beau savoir ce qui est bien, nous sommes toujours tentés par le petit démon intérieur qui nous pousse à faire le contraire de notre volonté. Platon expliquait le phénomène de l’acrasie par la puissance du plaisir immédiat par rapport à la faiblesse de la raison. Le lycéen devrait toujours faire ses devoirs à l’avance pour éviter de les bâcler à la veille de la date fatidique. Mais la tentation est là : les jeux vidéo, les copains. Se priver des plaisirs immédiats, c’est s’infliger de la frustration, car ce qui est bon sur le long terme n’est pas plaisant à court terme.
Le cerveau humain est ainsi fait : notre lobe frontal surdéveloppé nous donne la possibilité de raisonner, d’anticiper et de se fixer des buts à long terme. Mais il doit pour cela imposer ses vues au « centre du plaisir » et aux circuits de récompenses, nichés au cœur du cerveau limbique. Le cerveau limbique carbure au plaisir et suit la loi du moindre effort alors que le lobe frontal élabore des plans raisonnables et des stratégies de long terme. D’où ce combat intérieur entre la volonté et le désir, entre la raison et la passion… et qui tourne souvent à l’avantage de cette dernière. •