La lunar society, aux sources de la révolution industrielle

Dans les années 1770, à Birmingham, un petit groupe de gentlemen se retrouvait pour dîner et échanger des idées. Ils avaient conscience de vivre une époque exceptionnelle. Birmingham était une ville alors en pleine effervescence. Située à mi-chemin entre Manchester et Liverpool et la capitale Londres, la ville était l’un des épicentres d’une révolution en cours : la première révolution industrielle. Et nos gentlemen avaient bien l’intention d’en être les héros.

Ils avaient baptisé leur cercle la « lunar society » car leurs réunions avaient lieu les soirs de pleine lune ; cette nuit-là, on pouvait retrouver son chemin sans avoir besoin d’un éclairage public, encore inexistant.

L’un des animateurs de la lunar society était Erasmus Darwin (1731-1802). Ce médecin réputé avait étudié la botanique, un érudit doublé d’un inventeur et d’un poète.  Il avait conçu des inventions de toutes sortes : un ascenseur pour bateau, une machine parlante et un chariot qui ne se renverse pas. Il était aussi poète. Et c’est sous forme de poèmes en prose qu’il écrivit ses théories scientifiques. Dans deux de ses livres – Zoonomie ou Lois de la vie organique – se trouve formulée une théorie de l’évolution des espèces vivantes. C’était en 1794, plus de soixante ans avant que son petit-fils – un certain Charles Darwin – ne reformule l’idée à sa manière (1).

Autour d’Erasmus Darwin, la lunar society regroupait une pléiade d’industriels, inventeurs, chimistes, professeurs. Parmi eux, il y avait par exemple Joseph Priestley, l’un des pères de la chimie moderne ou Adam Smith, l’auteur de La Richesse des nations (2). James Watt faisait aussi partie du club. C’est d’ailleurs lors d’une des réunions que le jeune inventeur a fait la connaissance d’un riche industriel, William Boulton. Ensemble, il se sont associés pour lancer une invention qui allait changer le cours de l’histoire : la machine à vapeur.

Qui a vraiment inventé la machine à vapeur ?

À vrai dire, J. Watt n’est pas vraiment l’inventeur de la machine à vapeur, le jeune inventeur n’a fait qu’améliorer le procédé. J. Watt s’inscrit dans une longue chaîne d’inventeurs parmi lesquels on trouve Denis Papin, l’artisan Newcomben et bien d’autres encore. L’apport spécifique de J. Watt fut double : d’une part perfectionner la machine de Newcomben (qui était assez peu efficace) et surtout commercialiser la machine en association avec Boulton. Les deux hommes avaient compris tout le potentiel révolutionnaire de cette machine capable de transformer la chaleur en une force mécanique. Le brevet de la machine à vapeur fut déposé en 1769 ; le procédé allait rapidement se propager en Angleterre et trouver des applications multiples.

Dans les mines, la machine à vapeur ne servait plus uniquement à pomper l’eau, elle pouvait désormais aider à extraire le charbon. Dans l’industrie textile, elle pouvait faire fonctionner les nouvelles machines à tisser (dont l’inventeur Richard Arkwright fut aussi membre de la Lunar society). Dans les forges, la machine à vapeur permettait d’actionner des marteaux pilons qui permettent de façonner de grosses pièces de métal. Elle sert aussi à frapper la monnaie. Le neveu de Boulton est allé à Saint-Pétersbourg en installer la première machine à vapeur pour fabriquer de la monnaie .

Une révolution en marche

Les transports allaient bientôt être bouleversés à leur tour. Si une machine à vapeur peut faire tourner une roue, pourquoi ne pas l’installer sur un charriot pour en faire une automobile ? L’ingénieur français Cugnot avait déjà eu cette idée : en installant une machine à vapeur sur quatre roues, il créa l’ancêtre du camion : le fardier (3). Ce char à vapeur, destiné à des fins de transport militaire n’aura pas un grand succès. D’autres tentatives plus ou moins réussies allaient se multiplier les années suivantes. En 1804, l’ingénieur Richard Trevithick construit une première locomotive à vapeur. Installée à proximité d’une mine de Cornouailles, elle permettait de remorquer cinq wagons chargés de plusieurs tonnes de fer et des dizaines d’hommes à la vitesse de 8 km/h. Les obstacles techniques (des rails en fonte pas assez résistants) et le manque de financement n’ont pas permis à Richard Trevithick de poursuivre l’aventure. D’autres allaient prendre le relais.

Le 6 octobre 1829, une locomotive, mise au point par l’ingénieur Robert Stephenson, transportait pour la première fois des passagers sur une ligne de chemin de fer reliant Manchester à Liverpool à la vitesse folle de 40 km heure. Quelques années plus tard, le même Stephenson fut chargé de réaliser la ligne de 180 kilomètres rejoignant Londres à Birmingham.

Le progrès était en marche. Et Birmingham se voyait comme le centre du monde.

 

1) Contrairement à la légende, ce n’est pas Darwin (Charles) qui a conçu le premier la théorie de l’évolution des espèces. L’idée était déjà présente chez Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire et d’autres. L’apport spécifique de Charles Darwin fut d’avoir proposé une explication de l’évolution par la sélection naturelle. Voir « Comment est née la théorie de l’évolution » , Jean-François Dortier, Grands Dossiers de Sciences Humaines, n°48, 2017.
2) Parmi les correspondants de la lunar society figurent d’autres personnalités de marque, rien moins que Benjamin Franklin, Thomas Jefferson et Antoine Lavoisier…
3) Destiné à porter de lourds fardeaux, d’où son nom le «  fardier ».

 

 

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