La sécheresse qu’a connue l’hémisphère nord durant l’été 2022 est l’une des plus importantes depuis quatre siècles. Cette sécheresse a touché autant l’Amérique que la Chine, l’Europe ou l’Afrique du Nord, réduisant les récoltes, asséchant les cours d’eau. On a vu réapparaître en Europe centrale « les pierres de la faim », ces pierres gravées qui ne resurgissent que lors des périodes de grandes sécheresses, quand le cours d’une rivière est exceptionnellement bas. Une de ces pierres, située sur le cours de l’Elbe, en République tchèque, portait cette inscription : « Si tu me vois, pleure. »
Cet épisode de sécheresse extrême pourrait, selon les climatologues, se reproduire désormais tous les 20 ans plutôt que les 400 ans. Dès lors se pose la question : va-t-on manquer d’eau ? Va-t-on devoir se restreindre ? Ne plus remplir les piscines, prendre moins de douches, connaître des coupures régulières ? L’eau va-t-elle devenir une ressource précieuse ? Y aura-t-il des « guerres de l’eau » ?
En fait, le problème se pose très différemment selon les lieux. Aucun risque que le Canada, le Brésil ou la Russie manquent d’eau : leurs réserves sont gigantesques. Les pays qui connaissent des risques de pénuries régulières sont bien identifiés : ce sont les pays du Proche-Orient notamment – de l’Égypte au Pakistan où les prélèvements dépassent en moyenne 50 % des ressources disponibles, ce qui entraîne des pénuries en périodes de sécheresse prolongée.
Les pays de l’hémisphère nord ont été jusque-là relativement épargnés par les problèmes de pénurie, mais la question devient plus critique, comme l’a révélé l’épisode de l’été 2022. À l’avenir, les particuliers vont devoir apprendre à moins gaspiller, les agriculteurs devront trouver des formes plus économes d’arrosage et des cultures moins gourmandes en eau ; il faudrait aussi stocker et recycler les eaux fluviales, rénover les circuits de distribution (plus le réseau est vétuste, plus il y a des fuites). Bref, il va falloir s’adapter. Ce qui suppose à la fois des innovations techniques, des infrastructures, des législations nouvelles et des changements de comportements.
L’eau est redevenue un problème. Pour une partie de l’humanité, l’eau était devenue « transparente » comme un verre d’eau pure parce qu’abondante et facile d’accès. On en était venu à oublier notre dépendance à cette ressource vitale. Tel est le paradoxe de l’aisance et l’abondance : elles nous font oublier nos racines. Les humains ne sont jamais tout à fait sortis des eaux.
Qui consomme l’eau et pourquoi?
Sur 100 litres d’eau consommée en France, environ la moitié (45 %) sert à l’agriculture, un quart est utilisé par l’industrie et un dernier quart par les ménages(1). Un Européen consomme en moyenne entre 120 et 150 litres d’eau par jour pour ses besoins domestiques (cuisine, douche, toilettes, électroménager). Boire au robinet ne représente seulement que 1 % de notre consommation en eau !
L’eau douce est très inégalement répartie selon les régions du monde. Un humain sur dix (soit 700 millions de personnes environ) n’a pas accès à l’eau potable, même si la situation s’est améliorée en vingt ans(2). Dans de nombreux pays pauvres, le problème n’est pas la pénurie en eau, mais l’absence de service de distribution. Les eaux insalubres y sont source de nombreuses maladies : choléra, typhoïde, hépatite et maladies diarrhéiques. Selon l’OMS, quatre maladies sur cinq dans les pays pauvres sont liées à l’eau. Les eaux stagnantes sont par exemple des foyers d’infection : les moustiques y pullulent et deviennent vecteurs du paludisme.
(1) Pour plus de détails, consulter « L’eau en France : ressource et utilisation – Synthèse des connaissances 2021 », Ministère de la Transition écologique.
(2) Le nombre de personnes ayant accès à l’eau potable est passé de 5 à plus de 6,5 milliards, voir Sylvie Brunel, « La grande peur de manquer d’eau », L’Histoire n°458, 2019.
Guerres de l’eau : mythes
et réalités
Le spectre de la « guerre de l’eau » a donné lieu depuis quelques années à un flot de publications(1). Ces dernières alertent sur le risque d’un scénario catastrophe : avec le réchauffement climatique, les populations vont s’affronter pour se partager la précieuse ressource. Quand un même cours d’eau, de plus en plus asséché, traverse plusieurs pays, comment ne pas craindre que les États qui en dépendent en viennent à l’affrontement ? Israël et les territoires palestiniens doivent ainsi se partager l’eau du Jourdain. Pour Vandana Shiva, l’eau était déjà la véritable cause de la Guerre des Six Jours qui a opposé Israël aux pays arabes en 1967(2). Dans la région, une source de conflit potentiel implique également la Turquie qui construit plusieurs grands barrages sur le cours supérieur du Tigre et l’Euphrate, et prive ainsi la Syrie et l’Irak d’une partie de leurs ressources en eau.Autre cas de figure toujours cité : le Nil. L’Égypte vit des eaux du Nil. Or, le fleuve prend sa source aux confins d’une dizaine de pays plus au sud, dont le Soudan et l’Éthiopie. L’édification de barrages par ces pays, qui en ont besoin pour leur agriculture, est source de conflits. Mais contre le fantasme des « guerres de l’eau », les tensions entre pays à propos de distribution de l’eau ont aussi abouti à des accords stratégiques. De même, l’accès à l’eau fait l’objet de rivalités locales entre agriculteurs et citadins lorsque ces derniers puisent de l’eau pour leur récolte au détriment des réserves qui alimentent les villes. Ces tensions existent, mais n’ont jamais dégénéré en « guerre de l’eau ».
(1) Parmi elles, Franck Galland, Guerre et eau. L’eau, enjeu stratégique des conflits modernes, Robert Laffont, 2021 et Frédéric Lasserre, Les Guerres de l’eau. L’eau au cœur des conflits du XXIe siècle, Delavilla, 2009.
(2) Vandana Shiva, La Guerre de l’eau. Privatisation, pollution et profit, Parangon, 2003.
Au début des années 70, lors du lancement du programme électronucléaire français, j’ai eu connaissance d’un document relatif au premier site en bord de mer sélectionné pour recevoir les réacteurs PWR. Il était alors prévu d’installer à Gravelines, près de Dunkerque, dix réacteurs de 900 MWe. Deux prévisions à moyen terme justifiaient cette démesure. La première se basait sur un déficit en eau douce dans la région Nord-Pas de Calais à l’horizon 2000 qui serait comblé par le dessalement de l’eau de mer engendrant une forte demande en électricité. D’autre part ce document prévoyait le développement d’un marché de l’hydrogène produit par électrolyse en tant que substitut partiel au pétrole (le programme nucléaire a été décidé en réponse à une grande crise pétrolière). Si l’hydrogène a de nouveau la faveur des prévisionnistes, le dessalement de l’eau de mer n’est pas encore ressorti de l’oubliette où végètent aussi nos projets de centrales marémotrices en Manche. Finalement, EDF n’a installé que six réacteurs à Gravelines. Au cours des dernières décennies le dessalement de l’eau de mer s’est toutefois considérablement développé dans les régions semi-désertiques, actuellement ce procédé alimente en eau douce près de 300 millions de personnes dans le bassin méditerranéen, en Californie, dans les Pays du Golfe, en Australie, en Afrique du Sud…(source : Veolia). Il n’est donc pas exclu que le dessalement s’impose en Europe pour faire face aux sècheresses causées par le changement climatique. Ce serait une demande en électricité décarbonée qui s’ajouterait aux autres nouvelles demandes identifiées dans la transition énergétique.
Cher Michel Encore merci pour cette mise au point !