L’orgasme est un plaisir aussi intense que bref. Les moments de grande joie ne durent pas très longtemps. La bonne humeur est un sentiment un peu plus durable. Quant à la sérénité, elle se prolonge sur une période encore plus longue. On pourrait énoncer cette loi algébrique des sentiments : leur intensité est inversement proportionnelle à leur durée. Dit plus directement : plus c’est puissant, moins ça dure.
Ce qui est vrai pour la joie vaut aussi pour la colère ou la tristesse. La rage est explosive mais redescend très vite. En revanche, l’aigreur ou le ressentiment peuvent se prolonger dans le temps. Idem pour le malheur : un grand chagrin finit par s’épuiser quand les larmes sèchent. L’émotion laisse place à la tristesse qui est un sentiment plus durable.
La durée serait donc un premier critère de démarcation entre l’émotion et le sentiment. Jean-Paul Sartre, dans son Esquisse d’une théorie des émotions (1939), distinguait déjà « la joie émotion », intense et éphémère, de « la joie sentiment », proche de la sérénité, un état d’âme plus constant.
Autre critère de distinction proposée naguère par le psychologue Nico Frijda : une émotion est toujours orientée vers un objet précis (on a peur d’une araignée, peur d’un chien, peur du vide) alors que l’anxiété est un sentiment plus diffus et dont l’objet est mal défini.
Il en va de même pour la joie : je ressens une grande joie à retrouver un être qui m’est cher. L’objet de mon bonheur est ici bien identifié. Mais il m’arrive souvent me lever de bonne humeur sans motif précis : tout simplement parce que je vais bien et que le bonheur est dans ma nature. •