Le taux de fécondité est en chute libre dans le monde entier. C’est le cas dans plusieurs pays d’Asie (Chine, Japon, Corée du Sud), et en Europe (Italie, Espagne, Allemagne) où le taux de fécondité a chuté à moins de 1,3 enfant par femme. En France, un des taux les plus élevés du continent européen, il est passé en quelques années de 2,2 à 1,87 par femme.
Et même dans les pays d’Afrique où la fécondité reste élevée (4 enfants par femme), la baisse est amorcée. À l’échelle mondiale, le taux moyen actuel reste à 2,3, mais tout laisse à penser, compte tenu des tendances en cours, qu’il va passer très bientôt au-dessous de 2,1, seuil à partir duquel le renouvellement de la population n’est plus assuré.
Cela conduit l’économiste James Pomeroy à envisager un déclin de la population mondiale qui pourrait descendre à 4 milliards d’habitants en 2100 (contre 8 milliards aujourd’hui) : une hypothèse bien en dessous des projections démographiques habituelles !
Est-ce une bonne nouvelle pour la planète ? Après tout, quatre milliards d’humains, c’est revenir à la population des années 1970. Sauf qu’en 2100, les bébés d’aujourd’hui seront vieux. Et au rythme où vont les choses, ils auront très peu de descendants. D’ores et déjà, beaucoup de pays sont confrontés à des problèmes de vieillissement : ce qui est un écueil pour la croissance (les séniors consomment moins) et pour le paiement des retraites.
Pourra-t-on compenser ce déficit de bébés par une importation de jeunes venus d’Afrique ? Ils ne demandent que cela et se bousculent aux frontières. Il n’en est pas question pour un pays comme le Japon, traditionnellement hostile aux migrants et, pour dire les choses clairement, a fortiori pour les migrants venus d’Afrique. Le gouvernement japonais promet ainsi d’offrir 1 million de yens par enfant (soit 7200 euros) à la condition de quitter Tokyo, surpeuplée, pour se reloger à la campagne. Cette politique nataliste a toutefois peu de chance de renverser la tendance.
Les causes habituellement invoquées pour expliquer la chute de la natalité sont la contraception, le coût élevé (de l’habitat) et la transition démographique : plus on est riche, moins on fait d’enfants.
Une raison sous-jacente, rarement évoquée joue pourtant un rôle majeur : la liberté des femmes. La maîtrise de leur corps (contraception et avortement) a été une des grandes conquêtes pour la liberté des femmes. Parallèlement, l’accès à un travail leur a permis de se libérer de la tutelle masculine : avoir un emploi, c’est accéder à l’autonomie financière et à la possibilité de mener une carrière. Mais mener de front les activités de parents et une activité professionnelle n’est pas de tout repos. Toutes les mères actives le savent (et les pères sont en train de l’apprendre). D’où ce dilemme : avoir des enfants ou pas ?
La liberté plutôt que la maternité
Après avoir gagné la maîtrise de leur corps, puis s’être libérées de la tutelle masculine, les femmes seraient-elles en train de se libérer des enfants ? Un sondage choc paru en 2022 révélait qu’en France, 30 % des jeunes femmes sans enfant envisageaient de ne jamais en avoir[2].
Parmi les raisons invoquées, il y a la responsabilité écologique, le coût trop élevé du logement, mais la première affichée est « l’épanouissement personnel ». Autrement dit, ces femmes choisissent la liberté plutôt que la maternité.
Cela ne veut pas dire que le désir d’enfant est en voie de disparition. Rappelons que l’écrasante majorité des femmes françaises sont déjà mères ou souhaitent (70 %) le devenir un jour .
Mais ce ne sont pas une ou deux petites créatures par famille qui suffiront à inverser la tendance.
Notes
1) La population mondiale risque de diminuer de moitié d’ici à 2100 », Les Échos, 24 août 2022 (en ligne).
2) « 30 % des femmes en âge de procréer ne veulent pas d’enfant », sondage paru Elle, le 28
septembre 2022. Attention, la presse a titrée sur « 30% des femmes ne veulent pas d’enfants »
ce qui est inexact. Il s’agit des 30% de femmes (de 18 à 48 ans) qui n’ont pas d’enfants. Elles ne
sont qu’une minorité (la grande majorité des femmes sont mères). Le femmes sans enfants et
n’en veulent pas ne représentent que 13% des femmes en âge de procréer.
3) Ce qui représente 93 % des femmes en âge de procréer.
Enfin.
Enfin, nous osons aborder l’impensé, le choix de limiter la population mondiale. Car il s’agit là d’une voie – parmi d’autres- pour apporter des solutions à la question du réchauffement climatique. Ceux qui ont pratiqué la « Fresque du Climat » le savent : à l’origine de (tous) nos maux, il y a l’activité humaine; mais l’accroissement de la population n’est pas évoqué (du moins, pas dans la version de la fresque du climat que j’ai pratiquée). Même en ayant conscience que la naissance d’un bébé nord-américain est plus susceptible d’entrainer une augmentation de la consommation d’énergie que celle d’un bébé sénégalais, il est évident que tout accroissement démographique a un impact sur le réchauffement climatique, même si cela relève du non-dit.
Le phénomène de limitation des naissances peut être lu à deux niveaux complémentaires. Au niveau macro, il semble illustrer la fameuse courbe en « S » de l’évolution des espèces au sien d’un éco-système donné : après une phase d’adaptation à son environnement (base du S), l’espèce croît rapidement puis arrive à un palier élevé mais stable, dans lequel elle est parfaitement adaptée et se maintient, mais sans plus croitre de manière exponentielle (partie haute du S). Certes, il s’agit là d’une loi empirique, qui souffre de multiples exceptions. Et pourtant… si elle s’appliquait aussi à l’espèce humaine sur la planète terre? Nous atteignons la partie haute, nous ne pouvons plus nous developper démographiquement, seulement nous maintenir. Au niveau micro, il faut invoquer bien sûr le lien entre valeurs et natalité. Que l’on évoque le coût de l’enfant (Becker, 1960), les contributions de l’enfant à la valorisation des parents (Hoffman et Hoffman, 1973) ou encore le poids des valeurs religieuses et sociales (Aries, 1976), le nombre d’enfant dans une famille varie selon la classe sociale, l’ethnie et la religion et donc selon les valeurs à l’oeuvre. La montée des mouvements « No Child » trouve alors tout son sens. Grâce à un retournement de perspective, la femme qui n’enfante pas n’est plus une égoïste qui veut préserver sa carrière mais au contraire une altruiste qui privilégie le bien commun sur son bien-être personnel.
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