En Grèce antique, mieux valait ne pas naître femme. D’emblée, cela faisait de vous un être inférieur.
Même femme ou fille de citoyen, vous ne seriez jamais citoyenne. Pire, toute votre vie était celle d’une sorte de mineure dépendante d’un tuteur : d’abord votre père, puis à partir de 15 ans, votre mari que votre père a choisi pour vous. Veuve, c’est votre fils (ou bien un frère ou un oncle) qui prenait le relais(1). D’une femme grecque dans l’Antiquité, on attendait surtout qu’elle devienne une bonne épouse et mère (en priorité d’un garçon bien sûr !). Quant à l’amour et aux plaisirs, les hommes pouvaient se tourner au besoin vers les concubines, courtisanes, prostituées ou de jeunes amants. Le maître pouvait disposer aussi à sa guise de ses jeunes esclaves, bien entendu.
Xénophon – auteur d’un des premiers traités d’économie, L’Économique – rappelle quelles doivent être les tâches d’une bonne épouse et mère athénienne : filer la laine, s’occuper du linge et gérer les stocks de nourriture. Chez les riches, cela signifiait s’occuper de l’intendance et gouverner une armée de domestiques. Chez les plus modestes, l’épouse assumait directement les tâches ménagères.
Les femmes étaient-elles pour autant confinées dans le gynécée, cette partie de la maison qui leur était réservée et dont elles sortaient rarement ? Les historiens l’ont cru pendant longtemps sur la foi de quelques textes, mais cette idée a été remise en cause. En effet, d’une part on n’a pas trouvé de traces archéologiques de gynécée dans les demeures grecques ; d’autre part, le regard sur la place de la femme dans la Grèce ancienne a changé récemment.
Les femmes puissantes : des exceptions ?
Exclue de la vie publique, éternelle mineure, réduite à un rôle de génitrice et de maîtresse de foyer, recluse dans le gynécée, la femme grecque fut-elle vraiment remisée aux marges de la société patriarcale grecque ? Les historiennes du genre ont récemment remis en question cette vision des choses. Une exposition en ligne réalisée par le musée virtuel de l’université d’Angers(2) montre, documents à l’appui, que le gynécée, sorte de harem où étaient reléguées les femmes, est sans doute une invention du 19e siècle. De plus, les femmes n’étaient pas totalement absentes de la vie sociale : certaines pouvaient disposer librement de leur fortune et acheter des terres (ce qui était normalement la prérogative des citoyens).
Dans ses Histoires grecques, Maurice Sartre rapporte une histoire étonnante à propos d’une certaine Archipée, bienfaitrice et généreuse donatrice de la ville(3). Les habitants lui ont rendu honneur et prié pour son rétablissement quand elle était malade. Celle-ci avait fait réaliser de grands travaux à ses frais et semblait même en avoir pris la direction.
Cela s’est déroulé au 3e siècle av. J.-C. dans la petite cité grecque Kimé d’Éolide (proche de Phocée, en Turquie). Tant d’égards pour une femme détonnent dans une société réputée misogyne. Fut-elle une exception ? D’autres cas similaires ont été rapportés dans d’autres cités. Il est donc possible qu’Athènes ait été plus sexiste que les autres cités. À moins que la situation des femmes ne se soit globalement améliorée à partir de l’époque hellénistique (au 3e siècle av. J.-C.). Autre hypothèse : les femmes étaient habilitées à intervenir dans la vie publique uniquement en tant que mécènes ou dans les affaires religieuses. Il est reconnu qu’une femme puisse en effet être prêtresse ou oracle comme l’était la Pythie à Delphes.
Une constante demeure : les femmes n’ont jamais eu accès aux fonctions politiques et juridiques de la cité. •
(1) Au mieux, à Athènes à partir de 450 av. J.-C., il fut admis qu’une femme (les « épiclères ») pouvait transmettre la citoyenneté et la propriété foncière à un de ses descendants.
(2) « Sortir du gynécée. Un nouveau regard sur la Grèce antique », consultable en ligne sur le site musea.univ-angers.fr
(3) « Prions pour qu’Archipée guérisse ! » in Histoires grecques, M. Sartres.
La misogynie des philosophes
Les philosophes grecs, Platon et Aristote au premier chef, ne se sont pas illustrés par leur hauteur de vue à propos des femmes (ni des esclaves d’ailleurs). Ils partagent les préjugés courants sur l’infériorité des femmes et y ont rajouté une justification théorique.
Dans le Timée, Platon explique, par exemple, l’origine de la femme par une sorte de mutation dégénérescente de l’homme : « Ceux des mâles qui étaient couards et avaient mal vécu se sont transformés en femelle. »
D’Aristote on aurait pu supposer qu’en tant qu’auteur du premier livre scientifique sur la reproduction animale, il accorde aux femmes un rôle essentiel. N’est-elle pas la génitrice à qui chaque enfant doit la vie ? Et bien non. Pour l’auteur de la Génération des animaux, l’union de l’homme et la femme repose sur une claire répartition des rôles : lors de la copulation, l’homme amène la « forme », la femme n’apporte que la substance. Comme dans une sculpture, l’homme est l’artiste, la femme n’apporte que la matière brute.
Qu’un enfant puisse ressembler à sa mère plus qu’à son père aurait dû apporter un démenti à sa théorie. Notre penseur était trop rigoureux pour ignorer l’objection. Il y a répondu d’avance : si un enfant ressemble à sa mère, ce n’est pas vraiment à elle qu’il doit son physique, mais sans doute au grand-père ou à un lointain aïeul. Elle n’est qu’un relais passif de la forme. CQFD.
Si Platon est resté célibataire, Aristote s’est marié deux fois. Sa première épouse, Pythias, était une femme très cultivée : elle s’intéressait à la reproduction et on dit qu’ils ont mené ensemble des études sur ce sujet. Elle a donné une fille à Aristote. Bien que beaucoup plus jeune (lors de leur mariage, il avait 37 ans, elle 18), Pythias est morte bien avant lui. Leur fille, également prénommée Pythias, aurait reçu une éducation philosophique comparable à celle des garçons, ce qui était atypique à l’époque. Signe qu’il avait finalement admis la femme comme l’égal de l’homme ? Pas si sûr. De sa seconde épouse, Herpyllis, Aristote a eu un fils, Nicomaque. C’est à lui, et à lui seul qu’est adressé son traité d’éthique (Éthique à Nicomaque). Les filles n’en avaient sans doute pas besoin.
Si les philosophes ont tenu les femmes pour des êtres inférieurs, cela ne veut pas dire qu’elles se sont inclinées devant leur maître. Xanthique, la femme de Socrate, était une maîtresse femme qui n’hésitait pas à houspiller son philosophe de mari. Et s’il avait une grande réputation en ville auprès de ses élèves, à la maison ce n’était manifestement pas lui qui tenait les commandes (1).
(1) Voir « L’histoire méconnue des maîtresses femmes », L’Humanologue n° 3.
Dans une société misogyne, les maçons et les philosophes sont majoritairement misogynes, mais les maçons n’éprouvent pas le besoin d’aller au-delà des brèves de comptoir, alors que des philosophes nous élaborent des théories. Comme l’a remarqué Hannah Arendt sur un autre sujet, c’est une déformation professionnelle. Rien d’extraordinaire, sauf lorsque des penseurs médiatisés concoctent une démonstration pour défendre un philosophe manifestement misogyne. A ce propos, il faut écouter R. Einthoven tenter de faire de Nietzsche un féministe honteusement calomnié en commentant la célèbre formule de Zarathoustra ; « si tu vas chez les femmes, n’oublie pas le fouet ». Après tout, Sade se revendique féministe, sous un certain angle, dans le cinquième dialogue de sa Philosophie dans le boudoir, mais ce n’est pas très convaincant, et les républicains n’ont pas fait l’effort qu’il leur demande.