Le désir sexuel plonge ses racines dans le monde animal et est métamorphosé par les représentations. Mais l’intensité de ce désir varie beaucoup selon les âges, les sexes et les individus.
À quel âge commence le désir sexuel ? L’opinion courante a longtemps été que « la chose » commençait à travailler à l’adolescence, à l’âge où le corps se transforme, quand garçons et filles deviennent fertiles. C’est le signe que la sexualité et la procréation sont étroitement associées. Ce n’est qu’au début du 20e siècle que l’on a commencé à évoquer l’existence d’une « sexualité infantile ». La légende veut que ce soit Freud qui ait abordé le sujet en premier. En fait, Freud s’est inspiré des travaux de Havelock Ellis, psychiatre britannique, l’un des pères de la sexologie à qui Freud emprunte les notions de sexualité infantile et d’auto-érotisme.
Que les enfants se masturbent est un fait qui n’est plus tabou aujourd’hui. Tous les enseignants de maternelle le savent : il leur arrive de surprendre pendant la sieste de l’après-midi, parfois en classe, un petit garçon ou une petite fille la main dans la culotte, les joues toutes roses, en train de gémir sans gêne apparente. Ces pratiques masturbatoires apparaissent vers l’âge de trois ans, mais ne durent que quelques mois ; même si beaucoup d’enfants conservent longtemps l’habitude de se toucher le sexe, il s’agit plus de caresses machinales que d’une recherche de l’orgasme.
Dans ses Trois essais, publié en 1903, Freud défend l’idée que la sexualité infantile commence dès la naissance et suit plusieurs phases érotiques. D’abord centrée sur la bouche (stade buccal), elle se déplace ensuite vers l’anus, au moment de la maîtrise des sphincters (stade anal), puis la recherche de plaisir devient génitale vers l’âge de quatre ans. La sexualité entre alors en sommeil : c’est la « période de « latence » qui débute vers l’âge de 6/7 ans pour ne resurgir qu’à l’adolescence. Mais si sexualité infantile il y a, elle est de l’ordre du plaisir physique et ne donne pas lieu à des fantasmes. Or, c’est justement le propre du désir d’associer des images mentales – les fantasmes – à la poussée libidinale.
Une chose sur laquelle tout le monde s’accorde : c’est bien à l’adolescence que survient la poussée du désir sexuel à proprement parler. À partir de 13-14 ans, l’enfant commence sa métamorphose. Son corps se transforme. Les petites filles voient leurs seins pousser, les garçons attendent fébrilement qu’apparaissent les poils aux jambes, ou au menton, et s’inquiètent de la taille de leur sexe. C’est l’âge où la musculature se développe. Et c’est bien sûr le moment des grandes marées libidinales. L’esprit découvre alors de nouveaux émois.
Par poussées successives au cours de la journée ou de la nuit, son esprit s’enflamme. Jusque-là, ce jeune garçon regardait sa professeur de français comme une adulte parmi d’autres. Tout à coup, ses yeux se posent sur ses seins et ses jambes. Il cherche à deviner le corps qui se cache dessous. Il s’intéresse désormais aux filles de sa classe qu’il méprisait encore quelques mois plus tôt. Et il les regarde sous un jour nouveau. Sa sexualité est alors encore diffuse et indéterminée. Il arrive qu’une pulsion le submerge alors qu’il est en compagnie d’un copain, d’une sœur, ou de sa mère : et le désir se fixe alors sur les personnes de son entourage, ce qui le trouble beaucoup. Le soir venu, ses images lui reviennent en tête. Sans même l’avoir voulu, sa main se glisse sous son drap, entre ses jambes. Sa gorge se noue. Il commence à s’agiter, se caresser, se frotter contre le drap. Son cœur bat à tout rompre. Ses joues sont en feu. Il découvre son corps, il sent ses mains sur son sexe ; elles ne lui appartiennent plus. Puis tout à coup, l’idée lui vient que cette main n’est pas la sienne. Ce pourrait être celle de sa professeur de français, ou de sa voisine de palier. Elle serait là, près de lui, nue, la main posée sur lui… Il explose. Voilà ses mains enduites d’un étrange liquide chaud et gluant. Il vient de découvrir un plaisir inconnu et sublime : l’orgasme.
Cette découverte du désir et du plaisir sexuels bien qu’universelle ne s’exprime pas partout de la même façon. Pour les jeunes filles de la bonne société viennoise ou londonienne du 19e siècle, les choses étaient très compliquées. Régnait alors le puritanisme : le sexe était caché, tabou, honteux, animal. Bref, c’était un péché. Ignorantes de la sexualité, elles ne comprenaient pas la nature de cette force inconnue qui les submergeait. Qui était ce diable qui hantait leurs rêves, avec sa grande queue noire et poilue ?
Aujourd’hui, il en va tout autrement pour les adolescentes et adolescents qui sont très tôt informés des choses de la vie. À 11 ans, beaucoup d’enfants (principalement des garçons) ont déjà visionné un film pornographique. Cette surexposition du sexe ne va pas sans poser des problèmes : des garçons se demandent si cette sexualité exubérante correspond à un modèle à suivre, et s’ils seront à la hauteur le moment venu.
Une fois passée la période de la jeunesse, qu’en est-il de l’évolution de la libido à l’âge adulte ? Pour résumer, la courbe du désir suit approximativement celle de la fertilité. Elle se maintient à un haut niveau à l’âge adulte puis diminue progressivement l’âge venu. Chez la femme, le désir connaît une baisse marquée avec la ménopause. Mais il ne s’éteint pas. Chez les hommes potentiellement fertiles jusqu’à la mort, le goût pour le sexe se prolonge plus longtemps. Si la flamme diminue selon l’âge, elle est loin de s’éteindre. Après 60 ans, les trois quarts des hommes déclarent éprouver un intérêt pour le sexe. Au même âge, les femmes sont moins nombreuses (moins de la moitié) à s’intéresser à la chose.
Des obsédés aux indifférents
L’intensité du désir varie avec l’âge, le sexe, mais aussi selon les individus. À un extrême, se trouvent ceux qu’on appelait naguère les « nymphomanes » (pour les femmes) et « obsédés sexuels » (chez les hommes). À l’autre bout du spectre, il y a ceux que le sexe ne tente presque jamais.
À partir de quand une sexualité peut-elle être considérée comme excessive ? C’est une question de conventions. Aujourd’hui, les sexologues parlent « d’hypersexualité » mais la reconnaissance de l’addiction au sexe comme un trouble psychiatrique fait l’objet d’un débat. On considère qu’il y a addiction sexuelle quand la fantasmatisation devient envahissante au point de perturber la vie de la personne et de la détourner de tous ses autres objectifs. L’écrivain Georges Simenon raconte dans ses Mémoires intimes, comment depuis l’âge de douze ans, l’âge de son premier rapport sexuel (avec une « grande » de 15 ans), il fut obnubilé par le sexe. « Depuis ma jeunesse, je faisais l’amour tous les jours, le plus souvent deux ou trois fois. Il suffisait que, sur la plateforme de l’autobus, je frôle une femme pour devoir me précipiter dans un bordel. C’était un besoin presque douloureux, une soif dévorante. »
Mais il est un phénomène aussi courant dont on parle beaucoup moins : l’absence de désir sexuel. Depuis quelque temps pourtant, un mouvement « no sex » a vu le jour. Il regroupe des personnes qui admettent ne pas connaître de désir sexuel. Ce phénomène est appelé « anaphrodisie » et existe sous des formes différentes : le cas le plus rare est l’absence totale de désir dès l’adolescence (anaphrodisie dite « primaire »). La disparition du désir sexuel survient le plus souvent à l’âge adulte sous des formes souvent passagères. La dépression est connue pour être associée à une chute de la libido.
La saison des amours
La courbe du désir évolue au fil du temps : suit-elle aussi des variations saisonnières ? Dans le monde animal, le printemps est la « saison des amours » : celle où les mâles sont en rut et les femelles en chaleur. Avec le réchauffement des rayons du soleil, la nature se réveille. Et avec elle, une puissante vague de désir s’empare de tous les organismes. Les corps s’attirent et rien ne semble pouvoir s’opposer à cette force d’attraction universelle.
Les humains semblent se distinguer sur ce point des autres espèces : les femmes ne connaissent pas de période d’œstrus (chaleurs) où elles sont « disponibles » et fertiles et les mâles de périodes de « rut ». Cela veut-il dire qu’il n’y a pas du tout de variation saisonnière ? En fait, les choses ne sont pas si simples. L’œstrus varie aussi beaucoup selon les espèces animales.
Chez les humains, on constate des variations cycliques du désir : chez les hommes, le pic de testostérones est en été. Chez les femmes, il culmine au printemps. Le désir des femmes varie enfin en fonction du cycle menstruel : au moment de l’ovulation, le désir sexuel a tendance à augmenter. C’est justement le moment où la femme est fertile.
Les poussées de tension
Le contexte joue enfin un rôle essentiel dans le déclenchement du désir. Il est des périodes de la vie où l’on est moins disposé que d’autres. Les périodes de stress intense ont des effets paradoxaux qui peuvent faire chuter la libido. Mais le stress peut avoir l’effet inverse. Il peut avoir un effet compensatoire et pousser à une activité sexuelle débridée.
Enfin, comme la nourriture, la montée du désir dépend bien sûr des stimulants extérieurs et la présence d’images tentatrices venant enflammer l’imagination et éveiller les sens. •
Les hommes ne pensent-ils qu’à ça ?
Après l’âge, la libido varie aussi selon les sexes. Est-il vrai que les hommes sont plus attirés que les femmes par la chose ? En moyenne oui. Toutes les données sont sur ce point robustes et convergentes. Les hommes sont plus attirés par le sexe que les femmes : ce sont les principaux consommateurs de pornographie (revues, magazines ou sites internet). Ils se masturbent bien plus souvent. Ce sont eux les clients de la prostitution. Ce sont eux qui sollicitent le plus souvent le sexe auprès de leur compagne. Enfin, toutes les enquêtes menées sur le sujet confirment que les hommes pensent au sexe bien plus souvent que les femmes.