Hiroshima est connue de tous, mais demeure une grande inconnue. Tout le monde sait que la première bombe atomique fut larguée sur la ville japonaise, le 6 août 1945 (trois jours avant celle de Nagasaki) et que cette terrible décision eut l’effet attendu : entraîner la capitulation du Japon et mettre fin à la Deuxième Guerre mondiale. Ce fut aussi le début de « l’ère nucléaire ». Depuis Hiroshima, la menace d’un troisième conflit mondial, avec usage de l’arme atomique, pèse sur nous comme une épée de Damoclès.
Paradoxalement, cet événement majeur du 20e siècle est peu connu, comparativement à d’autres : le débarquement, la Résistance, la vie d’Hitler ou la Shoah qui ont fait l’objet de tonnes de livres, débats et commémorations.
Pourtant quelques questions clés méritent réflexion.
• Un crime de guerre ?
À l’aune de nos critères actuels, Hiroshima est un crime de guerre. Les bombardements des villes japonaises visaient des cibles civiles et désarmées, ce qui viole les lois internationales sur la guerre telles que définies par les conventions de Genève. En 1945, ces conventions n’étaient pas encore en vigueur (elles datent de 1949), mais les gouvernements alliés étaient déjà sensibles quant à la protection des victimes civiles. Le 8 août 1945, soit au moment même des bombardements de Hiroshima et Nagasaki, les Alliés entérinaient l’accord de Londres, dit statut de Nuremberg : la création d’un Tribunal militaire international pour juger les dirigeants nazis accusés de crimes de guerre, de crimes contre la paix et de crimes contre l’humanité.
• Le bombardement était-il vraiment nécessaire ?
La question a fait débat au sein même de l’état-major américain. En 1945, le Japon était sur la défensive, mais pas encore prêt à capituler face à l’avancée des armées américaine et soviétique. Plusieurs options étaient en jeu. Celle de la bombe devait porter un coup décisif capable de briser la résistance ; l’autre option était un débarquement au Japon : un choix à la fois plus risqué et coûteux en matériel et en vies humaines (celle des soldats alliés bien sûr). L’avantage de la bombe était de faire une incomparable démonstration de force à l’égard du Japon, mais aussi de l’Union soviétique. Les États-Unis pouvaient ainsi montrer au reste du monde leur maîtrise d’une technologie inédite de dissuasion massive. In fine, c’était l’occasion de tester, grandeur nature, l’efficacité d’une arme mise au point dans le plus grand secret (projet Manhattan), dont le coût avait été très élevé. Le président Truman donc a pris sa décision en tenant compte de tous ces éléments. Les vies humaines sacrifiées – celles de milliers de Japonais – sont apparues finalement comme « le moindre mal » par rapport aux avantages.
• Combien de victimes ?
Les estimations varient du simple au double : 110 000 (70 000 morts à Hiroshima et 40 000 à Nagasaki), selon le département de l’énergie américain. Plus du double (250 000 victimes) selon d’autres sources (dont l’historien Howard Zinn ou le maire d’Hiroshima).
La mortalité ne fut pas le fait d’irradiations intensives comme on pourrait le penser. La majorité de la mortalité est à mettre à l’actif du choc mécanique immédiat (le souffle de l’explosion), suivi du choc thermique (brûlures), des asphyxies (provoquées par les incendies) et de l’effondrement des bâtiments. Le nombre de blessés est difficilement évaluable, la gravité des blessures étant évidemment très variable.
Mais qu’en est-il des effets à long terme : par exemple le nombre de cancers déclenchés ou les malformations chez les enfants dont les mères ont été irradiées ? Les conséquences semblent étonnamment faibles. Des études épidémiologiques sur le long terme, très rigoureuses, portant sur des dizaines de milliers de personnes, ont été réalisées au fil du temps. En 2018, un rapport de synthèse sur les survivants d’Hiroshima et Nagasaki, et leur descendance , note « une augmentation modérée de l’incidence des cancers chez les survivants irradiés », ayant eu un impact limité sur leur espérance de vie (une année au plus). Concernant la descendance de ces personnes, « aucun effet délétère statistiquement significatif » tel que malformations, mutations, taux de mortalité élevé, n’a pu être mis en évidence.
(((1)Bertrand Jordan, « Les survivants d’Hiroshima/Nagasaki et leur descendance. Les enseignements d’une étude épidémiologique à long terme », Médecine/Science, 2018. Étude consultable en ligne. Voir aussi l’article (très fouillé) de Wikipédia : « Bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki ».))
On peut ajouter à ces deux références le dernier numéro de la revue de l’AFIS (Science pseudoscience n°342, oct-déc 2022, signalé sur le site de l’AFIS) qui publie plusieurs articles sur les effets des armes nucléaires, notamment un bilan humain de Hiroshima et Nagasaki, en accord avec le résumé de l’Humanologue. Il est évident que l’effet des rayonnements ionisants d’une bombe nucléaire sont très réduits et difficilement quantifiables en comparaison des ravages du souffle et de la chaleur qui détruisent tout ce qui dépasse du sol sur des dizaines de km. L’objectif de ces armes de destruction massive n’est d’ailleurs pas de donner des cancers et des malformations génétiques 30 ans après le bombardement.