Comment peut-on être chaste ?

Gandhi avait pris l’habitude d’aller se coucher avec de jeunes filles nues. Quand l’affaire fut révélée, le « Mahatma » commença par nier. Puis, il dut reconnaître le fait en expliquant qu’il s’agissait pour lui de mettre à l’épreuve son voeu de chasteté !

Peut-être ne mentait-il pas : aucune des jeunes femmes qui ont dormi avec lui n’a déclaré avoir eu des relations sexuelles avec leur gourou. Mais aucune non plus n’avait dit qu’il voulait s’impo­ser ainsi une épreuve. Jusque-là, il expliquait que c’était simplement pour le réchauffer qu’il fallait se blottir nue contre lui. (1) Et comme le Mahatma » était entouré dans son ashram de belles adeptes subjuguées par le maître, , il ne manquait pas de volontaires, très jalouses de ce privilège.

Le sexe, ce poison…

Gandhi a entretenu un rapport complexe avec la sexualité. Il a découvert les vertus de la chas­teté alors qu’il vivait en Afrique du Sud. Il s’était alors éloigné volontairement de sa jeune épouse Kasturbaï. Son militantisme pro-indien était en train de prendre une tournure mystique.

Selon ses biographes, la chasteté de Gandhi peut s’expliquer par plusieurs rai­sons. Le renoncement au sexe était d’abord inscrit dans l’idéal religieux du brah­macharya : un modèle issu de la tradition hindouiste. Comme beaucoup de mys­tiques, ce modèle de vie impose une ascèse fondée notamment la privation de nourriture et de sexe. Pour Gandhi, le rejet du sexe était renforcé par une autre tradi­tion religieuse : son adhésion aux valeurs puritaines et chré­tiennes qu’il avait adoptées à Londres, lors de ses études universitaires. Il avait aussi été très influencé par la lecture de Léon Tolstoï et du grand combat de l’écrivain russe pour la chasteté.

Par ailleurs, un épisode marquant dans sa vie qui avait peut-être définitivement scellé sa haine du sexe. Alors que son père était mourant, Ghandi était resté à son chevet pendant plusieurs nuits. Puis un soir, son oncle lui proposa de le remplacer. Gandhi retourna alors auprès de sa jeune femme qui l’attendait. Ils firent l’amour fougueusement comme le font les jeunes couples, séparés depuis plusieurs jours. C’est à ce moment précis qu’on vint frapper à la porte de sa chambre pour lui annoncer que son père venait de mourir ! Son appétit de sexe l’avait donc empêché d’accomplir son devoir de fils. Cela confirmait ce qu’il pensait depuis long­temps : le sexe était un poison, une faiblesse, qui détournait l’homme véritable de ses idéaux.

On pourrait encore invoquer d’autres raisons : la chasteté relevait aussi d’un idéal héroïque d’un combattant idéaliste qui sait consacrer ses forces à une unique et haute mis­sion. La lutte de libération de l’Inde contre l’empire britan­nique était aussi la lutte de la spiritualité contre le maté­rialisme. Les nombreux viols de jeunes indiennes par les soldats britanniques auraient encore renforcé sa vision d’une sexualité synonyme de bestialité et son idée qu’elle ne faisait pas bon ménage avec la noblesse de l’homme. Faut-il évoquer enfin les liens obscurs qui associent le dégoût de la nourriture à celui du sexe, et la quête d’élévation spirituelle et de pureté que l’on retrouve chez les anorexiques ?

On trouve chez Gandhi presque toutes les rai­sons – religieuses, morales, idéologique psycholo­giques – qui peuvent conduire à adopter un mode de vie chaste.

Une discipline de fer

Toutes les sociétés (et les religions) imposent à leurs membres un contrôle plus ou moins strict de la sexualité. Les restrictions peuvent porter sur la virginité des jeunes filles avant le mariage, l’interdit de l’adultère ou encore sur des périodes d’abstinences (pendant les règles, après l’accouchement…). Ce qui varie d’une société à l’autre, d’une époque à l’autre, d’une religion à l’autre, c’est l’étendue et la plus ou moins grande rigidité de ces règles.

Ainsi, chez les catholiques, le mariage des prêtres est interdit, ce qui n’est pas le cas pour les pasteurs protestants, les rabbins juifs ou les imams en islam. En revanche, quelle que soit la religion, la chasteté est la règle chez tous les moines et les mystiques : qu’il s’agisse des soufis en islam, des moines boudd­histes, des moines catholiques ou des orthodoxes. Mais, et c’est là que le bât blesse, cette chasteté (plus ou moins) volontaire met les humains face à un défi quasi insurmontable : s’imposer une discipline de vie qui va à l’encontre d’un des désirs les plus impé­rieux qui soit, le désir sexuel.

Saint Antoine (251-356), le père de la vie monas­tique chrétienne, s’enferma seul dans une grotte du désert d’Égypte, voulant se mettre l’écart de la société et de ses tentations pour retrouver Dieu. Mais il fut aussitôt rattrapé par ses démons. Comment un jeune homme d’une vingtaine d’an­nées, privé de nourriture, de femme, de contacts humains, pouvait-il vivre seul sans être rongé par le désir, sans être tourmenté par des fantasmes associés ? Les moines qui ont suivi son exemple en adoptant la vie ascétique ont dû faire face au même problème. La solution la plus radicale est de com­battre le mal à sa source : s’émasculer. Ce que fit par exemple, Origène, évêque d’Alexandrie, suivi à l’époque par d’autres extrémistes. Pour couper court (c’est le cas de le dire) à cette pratique jugée excessive, le concile de Nicée en vint à exclure de la prêtrise les chrétiens et castrés volontaires. (2) Un peu plus tard, le jeune Saint Augustin, après s’être converti au christianisme, sut combien il aurait du mal à se soumettre à une règle de chasteté. Du coup, il a imploré un délai de grâce : « Seigneur, donne-moi la chasteté (…), mais pas tout de suite ». Il deviendra pourtant l’un des principaux inspirateurs de la chasteté au sein de l’Église chrétienne.

La chasteté n’est pas une exclusivité des mystiques chrétiens. Les premiers moines chrétiens à se retirer dans le désert, vers le 3e siècle, avaient été précédés dans la région par nombre de sectes philosophiques et religieuses. Il y avait eu la secte des pythagori­ciens, celle des juifs esséniens, des chrétiens gnos­tiques et autres encratites*. (3)

Huit siècles avant eux, en Inde, les mystiques avaient déjà inventé cet étrange mode de vie : celui de l’ascèse mystique, fondée sur la chasteté, la priva­tion de nourriture, la solitude et la prière. Ils étaient bouddhistes, jaïnistes, gymnopédistes, yogis, ou brahmanistes.

L’histoire de Gandhi est relié à deux traditions : celle des mystiques indiens et celle des mystiques chrétiens. •

(1) Robert Deliège, Gandhi, sa vie et sa pensée. , Septentrion, 2008. (2) Au 19e siècle, en Russie, la secte chrétienne des Skoptzy pratiquait l’émasculation de ses membres. (3) Elizabeth Abbott, Histoire universelle de la chasteté et du célibat, Fides, 2001.

ENCRATITE:  Sectes chrétiennes des pre­miers siècles, très puri­taines, qui imposaient une stricte abstinence.

 

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