Pourquoi faire un enfant ?

« Elle voulait un enfant, moi, je n’en voulais pas.

Il lui fut pourtant facile

Avec ses arguments, de te faire un papa

Cécile, ma fille ; Cécile, ma fille. »

La chanson de Claude Nougaro raconte une histoire ordinaire. Celle d’un homme pas pressé de devenir père, mais qui cède pour garder celle qu’il aime.

Cette histoire, je l’ai aussi vécue. À 25 ans, ma bien-aimée voulait un enfant. Pas moi. Nous en avions déjà débattu. Mes arguments humanistes et alarmistes (« Comment peut-on vouloir avoir des enfants dans cette société ? C’est égoïste. ») cachaient une vraie raison – égoïste et inavouable – : la peur de perdre ma chère liberté. Puis un soir, elle m’a pris par la main, m’a entraîné sur le canapé, s’est assise à côté de moi et m’a regardé droit dans les yeux :

« JF, mon amour. Tu me dis ne pas vouloir d’enfant. J’ai bien réfléchi. Tu es l’amour de ma vie et je ne rencontrerai sans doute jamais de garçon comme toi, mais je ne peux pas imaginer une vie sans enfant. Et s’il faut choisir entre les deux… » Des sanglots dans la voix, elle a ajouté : « Si tu ne veux pas d’enfant, alors on va se quitter. »

Dix minutes plus tard, j’avais craqué. Mes arguments avaient volé en éclats. Neuf mois plus tard, j’étais papa. Et fier de l’être.

Je ne sais s’il existe quelque chose comme un « instinct paternel » ou un « désir de paternité », mais à la question « Pourquoi les hommes veulent des enfants ? », ma réponse fut désormais : « Pour garder la femme ! », comme dans la chanson de Claude Nougaro.

Lors d’une série d’entretiens que j’ai menée sur le désir d’enfant (1), j’ai rencontré des cas inverses : lui voulait des enfants, elle non. Monique, 54 ans, ancienne directrice de lycée, a même vécu onze ans en couple avant de « céder » à la demande de son compagnon. Les femmes qui refusent catégoriquement de devenir mère sont une toute petite minorité (moins de 5 %) mais assez résolue. (Voir encadré ci-contre : « Un enfant ? non merci… »).

Quand on interroge les femmes sur leur désir d’enfant, les explications sont toujours vagues ou nébuleuses. « J’en ai toujours voulu », me répond l’une. « Je n’imaginais pas de ne pas en avoir », me dit une autre. « Peut-être pour ressembler à ma mère ? », suggère Sonia quand je la pousse dans ses retranchements. Son histoire cadre pourtant mal avec sa réponse. Jeune fille, elle a tout fait pour se démarquer du modèle maternel : celui d’une mère au foyer, sans diplôme et dépendante de son mari.

D’autres n’hésitent pas à avouer un désir quasi animal. Ainsi en est-il de Pauline : « Dès mon adolescence, j’ai ressenti l’envie d’avoir des enfants. Je jalousais les jeunes mamans. J’avais envie d’avoir un bébé dans les bras, le caresser, m’en occuper. » Isabelle est plus directe encore : « Il me semble que c’est en moi. Je suis une mère poule. » Hélène, aujourd’hui mère de trois enfants, rêvait d’une « famille » plutôt que d’enfants à proprement parler. D’autres, comme Marie, évoquent explicitement la grossesse, l’allaitement, le bébé qu’on pouponne, comme des épisodes magiques de sa vie. Mais certaines, à l’inverse, osent confier que la grossesse ou les premières années ont été difficiles. Elles sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à avouer que l’expérience de jeune mère ne correspond pas toujours à l’image de « l’heureux événement » colporté par les stéréotypes habituels (2).

À noter que parmi les hommes auxquels j’ai posé la question, s’il y a ceux qui reconnaissent une expérience similaire à la mienne (c’est la femme qui décide), il s’en trouve certains pour avouer que ce fut un rêve personnel antérieur à la rencontre amoureuse. Quand je leur demande de me décrire ce rêve, Julien ne parle pas de bébé mais d’un garçon ou d’une fille qui marche à ses côtés : comme si le désir d’enfant cachait plutôt l’envie de se voir en père.

Un choix volontaire

Depuis la contraception, la légalisation de l’avortement, et la progressive émancipation des femmes, devenir mère et épouse n’est plus un destin obligé, comme ce fut le cas durant des millénaires. Avoir des enfants relève aujourd’hui d’un choix volontaire.

Ce choix ayant de lourdes conséquences sur leur vie future (beaucoup plus que pour les hommes), notamment sur leur carrière, leurs projets personnels et leur temps libre, les femmes ne cessent de repousser l’âge du premier enfant. Les chiffres sont éloquents : en France, l’âge moyen du premier enfant est passé de 24 ans au début des années 1970 à 29 ans en 2020 (3). Quant au nombre d’enfants par femme, il n’a cessé de chuter dans tous les pays développés. Il n’empêche, l’immense majorité des femmes finit par devenir mère.

Il doit donc y avoir des raisons impérieuses à cela. Reste à comprendre lesquelles.

Les explications psychologiques, sociologiques et anthropologiques ne manquent pas mais force est d’admettre qu’elles ne sont guère convaincantes. Pour Freud, le complexe d’Œdipe expliquait tout. Les petites filles désirent leur père et ne rêvent à rien d’autre que de prendre la place de leur mère. Le désir d’un enfant compterait donc moins que celui d’épouse (du père). Les élèves de Freud se sont démarqués de cette théorie alambiquée. Helene Deutsch et Melanie Klein défendaient l’idée d’un désir d’enfant authentique et spécifique à la psychologie féminine. Therese Benedek, psychanalyste hongroise, y voyait une « pulsion de reproduction » ancrée dans la plupart des espèces animales. Le médecin Jean-Marie Dellasus, initiateur de la maternologie, conceptualise le désir d’enfant comme un désir inconscient de revenir à l’état de fusion originelle entre l’enfant et la mère (4).

Les explications sociologiques évoquent, selon Marie Gaillé, le poids des conventions sociales. Les sociologues se sont peu intéressés au sujet. Généralement, ils mettent « en avant les mécanismes au sein des familles, à l’école, dans les médias et chez des publicitaires, qui construisent ce désir d’enfanter chez les enfants et chez les jeunes adultes. Ce matraquage imposerait l’idée qu’une vie sans enfant n’est pas réellement accomplie. » (5) Cette explication par les injonctions sociales peine à convaincre : si la pression sociale au sujet de la maternité existe effectivement, elle n’est pas de nature à tout expliquer. Les femmes ont amplement démontré qu’elles savaient s’affranchir des normes sociales, comme elles l’ont fait depuis deux générations dans de nombreux domaines (éducation, profession, sexualité). L’« injonction » à devenir mère n’est pas de nature à expliquer un choix aussi déterminant pour leur vie.

La psychologie évolutionniste à une autre explication à proposer : « l’instinct maternel » serait présent chez tous les mammifères. La thèse a été défendue par l’anthropologue Sarah Hdry sous une forme rénovée. Selon elle, l’instinct n’est pas un programme inné, inconscient et irrépressible, mais une cascade de déterminismes différents – pulsion sexuelle, désir de maternité, attachement mère-enfant – qui sont autant de pulsions spécifiques s’enchaînant entre elles. Ces pulsions peuvent, selon S. Hdry (6), être modulées en fonction des contextes sociaux et des individus. Elles peuvent s’accomplir de façon diverse : ainsi le désir de maternage peut être comblé en s’occupant de personnes faibles ou dans les soins apportés aux animaux. Instinct maternel ? Injonction sociale ? Modèle maternel ? La philosophe Marie Gaillé a passé en revue les différentes théories sur le sujet et en est arrivée à la conclusion que le désir d’enfant reste pour l’essentiel une énigme irrésolue. Et force est d’admettre qu’il est difficile d’apporter une réponse claire et tranchée à la question. On touche ici aux arcanes du psychisme humain et des forces qui agissent sur lui. Pour finir, il faut aussi reconnaître les limites de notre savoir sur le sujet. •

((1) Voir « D’où vient le désir d’enfant ? », Le Cercle Psy n° 4, 2012.
(2) Lire par exemple le témoignage d’Éliette Abécassis dans Un Heureux événement, Albin Michel, 2005. Certaines avouent même le regretter, comme l’analyse Orna Donath dans son essai, Le Regret d’être mère, Odile Jacob, 2019.
(3) Selon une étude de l’Insee publiée en 2017.
(4) J. M. Delassus, Penser la naissance, Dunod, 2011.
(5) M. Gaillé, Le Désir d’enfant, PUF, 2011.
(6) S. Hdry, Les Instincts maternels, Payot, 2002.))

Non merci… Celles qui n’en veulent pas

Quand on demande à Amélie Nothomb, la prolifique romancière, si elle n’a jamais eu envie d’être enceinte, sa réponse est sans ambiguïté : « Je suis toujours enceinte d’un livre. Il faut être à la hauteur du bébé. (…) Mais je n’ai jamais voulu d’enfant, ce n’est pas ma nature. » Entre 4 et 5 % des femmes ne souhaitent pas avoir d’enfant.(1) Elles ne sont ni stériles, ni forcément traumatisées par une enfance malheureuse. Simplement elles n’éprouvent pas de « désir d’enfant » et refusent d’en avoir. On appelle cela « l’infertilité volontaire ». Bien que subissant une pression sociale et familiale, elles n’y cèdent pas. Elles sont même de plus en plus nombreuses à assumer ouvertement ce statut.
(1) Étude de l’Ined, 2016. 

5 réactions sur “Pourquoi faire un enfant ?

  1. je n’ai jamais eu le désir d’enfants et quand je vois les problemes que certains parents ont, je me dis que c’est un souci en moins. si beaucoup réfléchissaient un peu plus , ils nen feraient pas.
    Manque d’éducation , probléme de fric, J’ai des voisin qui ont un enfant de 3 ans qui hurle du matin au soir,car le mére le laisse pleurer, chez elle c’est sale, pauvre enfant ,Faites des gosses, ils sont nombreux a étre maltraités, appelez le 119 et vous comprendrez.

  2. Il est question ici de désir d’enfant et principalement de la notion de choix. Pourquoi n’évoquez-vous à aucun moment l’éventualité que malgré le désir, parfois l’enfant ne vient pas? Il n’est alors plus question de choix (en tout cas pas conscient). Par ailleurs, n’est-il pas possible de rester libre en étant parent? Qu’est-ce que la liberté? Il serait intéressant aussi de faire un lien entre le refus de devenir mère et les injonctions sociales contradictoires. Si l’on décide d’avoir des enfants alors il faut être une mère parfaite. Quels que soient les choix ils sont souvent reprochés aux femmes. Il n’est pas étonnant qu’elles aient peur de devenir mères quitte à repousser la décision sans cesse jusqu’à ce qu’il soit peut être trop tard pour avoir encore un quelconque choix à faire.

  3. Peut être faut-il s’intéresser de près à la dystopie de Margaret Atwood, « La servante écarlate »… pour comprendre l’enjeu (et l’angoisse) qui se cache derrière votre interrogation.
    Personnellement, au moment où les Talibans prenaient le pouvoir en Afghanistan, je n’ai pas pu aller au delà du troisième épisode de la série… Mieux vaut sans doute lire le livre…
    Voir la brutale répression des femmes en direct m’a bouleversée. Tout à coup cela devenait trop réel… trop possible !!! Et voir désormais la répression des femmes iraniennes dans la rue, qui manifestent avec le slogan « Femme, Vie, Liberté », me fend le cœur…

    Tant que la reproduction était naturelle et subie (par les femmes) tout allait bien dans le meilleur des mondes pour les hommes (ou à peu près). Les enfants et les femmes étaient pléthore, et finalement peu importants… sauf pour les élites au pouvoir qui souhaitaient y maintenir leurs rejetons (mâles, si possible), tout en nouant des alliances pour conforter leurs contrôles territoriaux vitaux (bref, qui avaient le souci de leur propre reproduction).

    Faudra-il que les femmes refusent de faire des enfants pour que les hommes accèdent à leurs propres désirs de paternité, et à la conscience de ce que signifie le nécessaire « travail » de « reproduction » (nécessaire à la survie de l’espèce), travail (perte d’énergie) qui devrait être partagé à égalité ?

    Autre question, à un autre niveau :
    Des femmes esclaves sont allées jusqu’à supprimer leurs nouveaux nés, au pire temps de l’esclavage. L’humanité est-elle arrivée à un moment de son histoire où certains de ses membres vont, intuitivement ou consciemment, renoncer à se reproduire ? Les iraniennes et les iraniens sont-ils et elles arrivé.e.s à ce stade où leurs vies et celles de leurs enfants sont sans espoir ???

    Mais, à contrario, n’est-ce pas en premier lieu l’idéologie de la liberté individuelle qui doit être interrogée, pour comprendre ce qui se joue actuellement dans le monde, et, accessoirement ou prioritairement, les interrogations concernant le désir d’enfant ?????
    Vous avez tout dit en parlant de vous au début de votre article… Je n’étais pas prêt à sacrifier ma liberté. Pourquoi les femmes le seraient-elles ?
    Il va nous falloir inventer une nouvelle utopie, et une nouvelle idéologie, si nous voulons continuer à vivre et nous reproduire ensemble sur cette planète surpeuplée !!!

    Personnellement, j’ai toujours été pour « la cause des enfants »…, mais à la manière du poète Khalil Gibran :
    « Vos enfants ne sont pas vos enfants…
    Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même.
    Ils viennent à travers vous mais non de vous.
    Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas »
    C’est une pierre jetée dans le jardin de tous les traditionalistes et nationalistes qui nous menacent désormais.
    Car s’il faut choyer les enfants, il faut bien réfléchir avant de les faire naître… et ne pas les transformer en chair à canon !

  4. De l’age de 27ans à 37ans , célibataire mais responsable d’une tribut familliale ( notre Mère décédée accident voiture ) j’ai pris son relai au sein de la famille , recevoir le dimanche où en semaine les neveux et nièces avec où sans les parents , je me suis occupée de 20 petits neveux comme si c’était les miens ! A37ans j’ai rencontré le grand Amour !!! faire un enfant pour accompagner cet amour miracle , oui , j’en même fait 2 !!! et je suis « Grand-Mère » c’est ça le vrai bonheur humain!!!!

    1. Ohhh super félicitations à vous ! Vous avez eu vos enfants à quel âge du coup ? Moi qui hésite tant à avoir le second, j’ai déjà 38 ans, et quand on voit le monde dans lequel ils risquent d’évoluer… Bonne journée à vous ☺️

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