Le bonheur (illusoire) selon Schopenhauer

Voulez-vous être heureux ? Écoutez les conseils de Schopenhauer, le plus dépressif et misanthrope des philosophes, qui a mis par écrit ses recettes pour se soigner de ses propres tourments.

Arthur Schopenhauer (1788-1860) était un ombrageux, un aigri, un pessimiste. « La vie oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui », note-il dans son Journal. Son entourage familial ne le prédisposait pas au bonheur. Deux de ses oncles paternels avaient été enfermés dans des asiles psychiatriques ; son père, bien qu’ayant réussi dans les affaires, était dépressif et lorsqu’il se tua en 1806, en tombant du grenier, on ne sut jamais s’il s’agissait d’un accident ou d’un suicide.

Sa mère, Johanna Schopenhauer, romancière à succès, était indifférente et d’une totale froideur à l’égard de ses enfants. Lors d’une dispute familiale, elle prit d’ailleurs parti pour son amant contre son propre fils ; après cette brouille, ils ne se revirent jamais. Quant à Adèle, la sœur d’Arthur, elle était, elle aussi, en proie à des angoisses et obsessions et finit par se suicider en 1849.

Sur le plan professionnel, Arthur a d’abord connu les échecs et les frustrations. Nommé privat docent (maître de conférences) en philosophie à l’université, les étudiants désertent ses cours pour assister à ceux de Hegel, son rival. Son grand livre Le Monde comme volonté et représentation (1818) est passé totalement inaperçu lors de sa parution. Finalement, il quittera l’université, convaincu que ses collègues se sont ligués contre lui.

Personnage sombre, acariâtre, profondément pessimiste, Schopenhauer a passé sa vie à colporter son mal-être et à ruminer sa rancœur contre ses contemporains. À sa mort, on a pourtant retrouvé dans ses notes personnelles, un petit opuscule en cours de rédaction consacré à L’Art d’être heureux.

50 règles de vie

Dans ses carnets, Schopenhauer présente « 50 règles de vie » susceptibles de rendre la vie la moins pénible possible. Car le philosophe ne croit pas du tout au bonheur absolu. Dès la première règle, il affirme sans équivoque que le bonheur est impossible : « Nous sommes tous nés en Arcadie, autrement dit nous entrons dans la vie pleins d’exigences de bonheur et de jouissance, et nous avons l’espoir fou de les réaliser jusqu’à ce que le destin nous tombe dessus sans ménagement. (…) Vient alors l’expérience et elle nous enseigne que bonheur et jouissance sont pures chimères. » S’il est vrai que la vie est souffrances, déceptions, frustrations, le seul but raisonnable du sage n’est donc pas d’atteindre un bonheur chimérique. À défaut de trouver un bonheur définitif auquel il ne croit pas, il s’agit de gérer sa vie au mieux, en évitant les souffrances inutiles que l’on s’inflige à soi-même et aux autres.

À partir de là, il énonce quelques règles de vie destinées à surmonter le malheur. Ainsi, la règle n° 2 conseille d’éviter la jalousie : « Tu ne seras jamais heureux tant que tu seras torturé par un plus heureux. » De même, il ne faut pas chercher à susciter la jalousie chez autrui. La règle n° 3 affirme qu’il ne faut pas chercher à trop s’éloigner de ses penchants et tendances naturelles. « En effet, de même que les poissons ne sont bien que dans l’eau, l’oiseau seulement dans l’air, la taupe uniquement sous terre, ainsi chaque homme ne se sent bien que dans l’atmosphère appropriée pour lui. » Il ne sert à rien de vouloir forcer sa nature pour atteindre quelque bien. Certains se sentent bien dans la solitude, d’autres aiment la cour, certains sont des créatifs, d’autres des contemplatifs. Rien ne sert d’aller à l’encontre de soi-même : « On n’apprend pas à vouloir », affirmait déjà Sénèque.

Parmi les autres règles de vie, prônées par Schopenhauer, citons en vrac : « Faire de bon cœur ce qu’on peut et souffrir de bon cœur ce qu’on doit (règle n° 6) » ou « Limiter le cercle de ses relations : on offre ainsi moins de prise au malheur, car la limitation rend heureux (règle n° 8) », ou « Le bonheur appartient à ceux qui se suffisent à eux-mêmes (règle n° 48) ».

Schopenhauer présente, en fait, une sorte de digest des règles des sagesses antiques : celles professées par Aristote, Sénèque, Marc Aurèle, Épictète. La leçon générale qui s’en dégage est simple : il faut se contenter de ce que l’on a, repousser les désirs inutiles, se satisfaire des joies simples de la vie…

Le bouddhisme a eu également une influence décisive sur Schopenhauer. « À 17 ans, je fus saisi par la détresse de la vie comme le fut Bouddha dans sa jeunesse, lorsqu’il découvrit l’existence de la maladie, de la vieillesse, de la souffrance et de la mort. » Les nobles vérités du Bouddha enseignent que toute vie est souffrance, que la souffrance est liée au désir insatisfait. Et que, pour supprimer la souffrance, il faut donc supprimer le désir…

 

• Extrait de Toute la philosophie en quatre questions, Jean François Dortier, (éditions sciences Humaines, mai 2022)

 

Un commentaire sur “Le bonheur (illusoire) selon Schopenhauer

  1. je viens de lire le texte dans lequel vous résumez la pensée de Schoppenhauer, je n’y trouve rien d’original ,ce qui est présenté comme essentiel « pour lutter contre la souffrance qui « serait comme l ‘essentiel de ce que nous apporte la vie » est l’idée que la souffrance est en général issue des désirs
    déçus , il suffit donc de supprimer le plus possible les désirs et ainsi le risque de la souffrance disparaitra , du moins en partie, il sera réduit au minimum !
    cette idée m’apparaît comme peu originale , elle apparaît déja chez certains philosophes de l’antiquité entre autres me semble t’il les Stoïciens , et c’est aussi une idée essentielle du bou-
    ‘dhisme . la pensée de Schoppenhauer est certainement plus ample et plus originale mais sa réputation ne me donne pas envie de la connaître .
    j’ai lu un jour que des élèves de Schoppenhauer se seraient suicidés en étant influencés par ses cours , je trouve cela fort triste , on aurait dû lui interdire d’enseigner !

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