Distinguons trois types de fatigue.
La première – la plus courante – se ressent après un effort prolongé (une longue séance de travail, un entraînement sportif intense) ou tout simplement en fin de journée, avant d’aller se coucher. À ce moment, vos forces vous abandonnent, vos muscles se relâchent, vos paupières deviennent lourdes, etc. Puis, quelques heures de sommeil plus tard, un miracle se produit : la forme est revenue. Les sens sont en éveil, les batteries sont « rechargées ». Vous voilà régénéré. Telle est la « bonne fatigue ».
Mais il y a aussi la mauvaise : la fatigue chronique. Le repos ne suffit plus ; au réveil, la fatigue est toujours là. Les causes en sont connues : la dépression, le burn out ou certaines maladies (mononucléose, hépatite, anémie). Les formes pathologiques de fatigue ne sont que l’expression extrême d’une réalité plus banale dont des millions de gens souffrent en silence. Elle se manifeste au travail, dans le couple, dans les tâches quotidiennes. Cette fatigue-là ne conduit pas au désespoir, ne conduit pas chez le médecin ou le psy. Elle a pour nom lassitude, ou asthénie.
Une troisième forme de fatigue est liée à la vieillesse. Avec l’âge, non seulement on s’épuise à l’effort plus rapidement, mais on manque d’énergie vitale. Les passions vives – colère, indignation, enthousiasme, joie – laissent place à des réactions moins impétueuses. On peut voir ça comme de la sagesse. C’est surtout de la mollesse.
Bien qu’il s’agisse d’une expérience très commune, la fatigue reste un phénomène impensé. D’où l’originalité du Dictionnaire de la fatigue paru il y a quelques années. Il débute par « Aboulie », que Littré définissait comme un « manque de volonté », et se termine par Weil, comme Simone Weil. La philosophe chrétienne pensait que la fatigue des ouvriers produisait un « rétrécissement de la pensée ». On dit qu’elle était infatigable – comme beaucoup d’anorexiques ascétiques qui vivent en état d’ébullition permanente. Ce qui fait dire qu’elle serait morte « d’épuisement moral et physique » en 1943 à l’âge de 34 ans. En fait, de santé déjà fragile, il est plus vraisemblable que ce soit la tuberculose qui l’ait tuée.
L’Histoire de la fatigue (2020) de Georges Vigarello nous rappelle que la fatigue, si elle a toujours existé, n’a pas toujours été considérée de la même façon. Au Moyen Âge, il est accordé au valeureux chevalier une saine fatigue qui appelle le repos du guerrier. En revanche, l’épuisant labeur (le mot vient de labour) du paysan n’évoque pas la compassion : cette fatigue était considérée comme dans l’ordre des choses. Il faut attendre le 19e siècle pour que la fatigue devienne un problème social et le repos, une revendication légitime ; et bien plus tard encore, la fin du 20e siècle, pour que la fatigue psychique du cadre stressé soit prise en compte. •