Gangs: les adolescents tueurs à gage

Matéo 18 ans. Arrêté en juin 2023, il est présumé coupable de pluiseurs meurtres. Il a diffusé des vidéos sur les les réseaux pour se vanter de ses exploits.

Début octobre un nouveau « narchomidice » a eu lieu à Marseille. Ce ne serait qu’une tuerie de plus, n’était-ce le profil du tueur : un garçon de 14 ans. La police et la justice ont vu arriver des dernières années ces nouveaux profils de tueurs, plus et recrutés sur les réseaux sociaux. Comment cela est-il possible ? Qui sont les gangs qui opèrent à Marseille et font appel a de si jeunes recrues ? Qui sont ces jeunes ? Comment fonctionne les gangs ? Et plus généralement : Comment en est-on arrivé là ?

 

Que s’est-il passé à Marseille début octobre 2024 ?

L’histoire est digne d’un mauvais polar. Un détenu de 23 ans recrute via les réseaux sociaux deux jeunes adolescents de 15 ans. Leur mission : aller mettre le feu à la porte d’un rival pour un salaire : 2 000 euros. Les deux adolescents se rendent sur place. C’est alors que surviennent des membres d’une bande rivale. Un des deux garçons prend la fuite. L’autre est sauvagement poignardé de dizaines de coups de couteau puis brûlé vif.

Le détenu décide de se venger. Il recrute un adolescent de 14 ans pour aller tuer son rival. Montant du contrat : 50 000 euros. La nuit suivante, le garçon se fait conduire par un VTC. Arrivé sur les lieux, il demande au chauffeur de l’attendre. Ce dernier refuse. Furieux, le gamin sort son arme et lui loge une balle dans la nuque. L’homme de 36 ans meurt sur le coup.

Le jeune meurtrier téléphone aussitôt au commanditaire pour lui demander de l’exfiltrer en lui envoyant un autre VTC. Au lieu de cela, le détenu appelle la police. Il a compris qu’en dénonçant lui-même, il évite d’être directement impliqué dans le meurtre du chauffeur, qui n’a rien à voir dans cette affaire.

Quels sont les gangs marseillais ?

Ce meurtre s’inscrit sur fond d’une guerre entre gangs marseillais, le plus connu et le plus puissant étant DZ Mafia. Celui-ci est en conflit avec le gang Yoda depuis quelques années pour le contrôle des quartiers nord. La guerre ouverte entre les deux clans, déclenchée en 2022, est à l’origine de l’explosion du nombre de morts en 2023. Fin 2023, après l’arrestation de Félix Bingui (dit « le Chat » ou Féfé), chef de Yoda, le clan DZ Mafia prend le dessus et la flambée de violence retombe aussitôt (75 % de morts en moins au premier semestre 2024). Mais en début d’année, le clan des Blacks, que la police croyait détruit, refait surface. Depuis quelques années, les gangs nigérians comme les Vikings font de plus en plus parler d’eux.1

Les guerres entre gangs conduisent périodiquement à des flambées de violence. Au début des années 1980, en Sicile, le clan des Corleone dirigé par Toto Rina a tenté de faire mainmise sur toute la Sicile et déclenché une sanglante guerre qui a fait des centaines de morts. La guerre des gangs de Los Angeles entre les Crips et les Bloods a fait des milliers de morts depuis les années 1980. Et c’est encore une impitoyable guerre des cartels qui a provoqué des dizaines de milliers de morts en Amérique centrale depuis trois décennies. Au Japon, depuis 2020, les gangs se livrent à des combats de rue.

Pour éviter la guerre permanente, la mafia italienne réglait les conflits entre clans en nommant un « capo di capo », sorte de parrain qui joue le rôle d’arbitre. Mais la coexistence pacifique est régulièrement rompue et les hostilités reprennent lorsqu’un clan décide d’empiéter sur un territoire voisin, qu’un chef de clan est tué ou qu’un nouveau clan se forme.

Comment fonctionne un gang ?

Le « gang » ou une mafia est le nom courant pour désigner un groupe criminel spécialisé dans le trafic de drogue (mais aussi des vols et braquages, de la prostitution, de la cybercriminalité). L’image d’un groupe fermé et structuré autour d’un chef, regroupant des membres soudés entre eux par des règles d’honneur, correspond assez bien à l’organisation des mafias siciliennes, des triades chinoises, des clans yakuzas japonais ou des « cults » nigérians.

Mais les gangs marseillais ou les cartels mexicains ont aujourd’hui moins l’allure de sociétés secrètes que de PME décentralisées. Un gang marseillais regroupe une équipe de permanents assez réduite : de dix à trente membres. À la tête d’un gang, il y a un patron. DZ Mafia a été créé à la fin des années 2010 par Mehdi Abdelatif Laribi, dit « Tic ». Yakubu est le chef du clan des Vikings (un des clans nigérians) et tient ses quartiers dans un bâtiment désaffecté (le Palace). Autour du chef, ses lieutenants s’occupent d’une partie de territoire ou d’une spécialité : un s’occupe de l’approvisionnement de la marchandise, un autre blanchit l’argent, un troisième traite avec les avocats.

Ce noyau permanent emploie une nombreuse main-d’œuvre de « petites mains » payées à la tâche. Les vendeurs ou « charbonneurs » tiennent les points de vente. Des gamins – les guetteurs (les « choufs ») – sont chargés d’alerter de l’arrivée de la police. Des « sacoches » transportent la drogue au point de vente et récupèrent l’argent. Le business de la drogue fait vivre aussi les nourrices, souvent des mères de famille sans emploi, dont l’appartement sert à cacher la drogue, de l’argent ou des armes. Il y a aussi les « logisticiens », dont la tâche tient en la fourniture de voitures, dont on peut rapidement changer les plaques d’immatriculation, d’armes, de téléphones portables jetables, etc.

Quel est le profil des tueurs ?

On sait peu de choses pour l’instant sur le jeune de 14 ans qui a tué le chauffeur de taxi. Mais il est possible d’en savoir plus sur ces nouveaux « tueurs à gages » qui sévissent à Marseille grâce à une enquête qui vient de paraître sur les « shooters » (Jean-Michel Décugis et al., Tueurs à gage. Enquête sur le nouveau phénomène des shooters, 2024).

Traditionnellement les meurtres étaient confiés à des « charcleurs » (les tueurs), des hommes de confiance proches de la direction. Mais depuis peu, le recrutement se fait sur les réseaux sociaux auprès de jeunes gens. L’avantage pour le commanditaire est de ne pas être directement impliqué. Le tueur exécute un contrat sans forcément être en lien avec le gang. S’il se fait prendre, la police aura plus de mal à remonter la filière. L’inconvénient est que ces gamins sont des têtes brûlées, peu contrôlables.

Le cas singulier de Matéo a attiré l’attention de la presse après son arrestation en 2023. Matéo n’a que 18 ans mais se vante d’avoir tué cinq ou six personnes en quelques mois pour le compte de DZ Mafia2. Son profil est assez atypique. Il ne vivait pas dans les HLM délabrés des quartiers nord, mais dans un pavillon de banlieue avec sa mère et des cinq frères et sœurs, séparés depuis peu d’un beau-père, chef d’entreprise.

Comment Matéo a-t-il pu devenir « un tueur » sans scrupule, prêt à loger une balle dans la tête d’un garçon de son âge à l’arrière d’une voiture, puis à mettre le feu au véhicule tout en filmant la scène en rigolant ?

Les experts psychologiques débattent pour savoir si le passé familial ou des troubles psychologiques expliquent en partie cette plongée dans l’ultraviolence. Sauf que l’exercice à ses limites : car des Matéo, il en existe par milliers dans les prisons mexicaines.

Tuer, c’était aussi le métier de José Antonio dit « Frijol » (« le haricot »), un jeune Colombien qui a grandi dans le bidonville de Ciudad Juarez (à la frontière entre le Mexique et le Texas). Frijol vivait avec ses parents, d’anciens paysans planteurs de maïs venus travailler en ville. Alors que son père travaillait à l’usine pour un maigre salaire, Frijol traînait dans le « barrio » (le quartier) à jouer au foot avec les copains. À partir de 12 ans, il s’est mis à voler, trafiquer, puis a rejoint la bande des « cavaleras » (les crânes). Rejoindre un gang, c’était pour lui la possibilité de gagner de l’argent pour s’acheter des cigarettes, un téléphone portable, des jeux vidéo et tout ce dont rêvait un gamin de son âge. Comme Frijol se débrouille bien dans les petits business, un aîné l’a pris sous son aile pour le faire passer à l’échelon supérieur : c’est ainsi qu’il est devenu tueur. Son premier cachet pour exécuter un contrat : mille pesos, soit environ 80 dollars.

Le plus effrayant dans le cas de Frijol, c’est la banalité de son itinéraire : il a choisi une voie d’insertion presque « normale » quand les gangs se sont mis à recruter en masse des soldats. Frijol n’est pas un psychopathe, il n’éprouve pas de pulsions sanguinaires ; il n’aime pas particulièrement ce qu’il fait. Frijol ne fut pas un enfant battu, qui a reproduit la violence de son milieu, ni particulièrement agité ; il n’était pas non plus en révolte contre le monde et n’avait pas de compte particulier à régler. Frijol n’était ni assoiffé de sang, ni détraqué, ni fanatisé. Il rêvait simplement d’une vie meilleure que celle de ses parents. Dans son quartier, ce travail de criminel était le seul qui rapportait ce dont les jeunes gens de son âge rêvent : de l’argent, un appartement, une télévision avec des tas de chaînes câblées, une voiture et de belles copines. Voilà pourquoi il est devenu tueur3.

Comment en est-on arrivé là ?

Des tueurs de plus en plus jeunes, décomplexés, avides d’argent et que rien ne semble faire reculer… À chaque nouvelle affaire d’adolescent tueur, les mêmes questions reviennent. Comment en est-on arrivé là ? Qui est responsable ? Est-ce une société qui laisse ses enfants à la dérive ?  Faut-il incriminer des parents démissionnaires, les jeux vidéo, l’école qui n’assure plus ses missions ? La pauvreté ?  L’immigration ? Ces explications très générales qui viennent spontanément à l’esprit s’accordent pourtant mal avec certains faits.

La société ? Le terme est bien trop vague. Les gangs mafieux apparaissent dans toutes sortes de sociétés : les triades chinoises sont nées en Chine au 19e siècle ; la mafia italienne est née dans la Sicile de la même époque. Aujourd’hui, les gangs sont présents au Nigeria, au Japon, en Suède ou aux États-Unis. Ils ont proliféré dans les périodes de croissance (la French Connection a connu ses heures de gloire pendant la période des trente glorieuses) comme dans celles de crise. Leur localisation est assez précise : les lieux de production de la drogue (Amérique centrale pour la cocaïne, Maroc pour le cannabis) et les ports qui sont des portes d’entrée privilégiées (Marseille, Naples ou Amsterdam).

Les gangsters sont de toute culture : ils peuvent être musulmans ou bons catholiques (comme la mafia italienne), shintoïste (pour les yakuzas), adeptes de Santa Muerte (pour les cartels mexicains) ou se contreficher de la religion.

Il existe tout de même un terrain d’élection privilégié pour les gangs : celui des quartiers défavorisés. C’est là qu’on trouve les consommateurs réguliers et une main-d’œuvre disponible : chez les jeunes issus de milieux très populaires, dont la famille est souvent déstructurée. Mais ces facteurs ne sauraient suffire à expliquer à eux seuls le basculement dans le crime. Parmi les dizaines de milliers de jeunes Marseillais qui vivent dans les quartiers populaires, très peu deviennent des tueurs, 1 sur 10 000 ou 20 000. Matéo ne venait pas d’un milieu populaire, la famille de Frijol n’était pas monoparentale. Et leurs frères n’ont pas plongé dans la délinquance.

Quant aux jeux vidéo qui seraient responsables de la fascination des jeunes pour l’ultraviolence, l’explication a un faible pouvoir explicatif. Des millions d’adolescents jouent chaque jour à Fortnite (où ils dégomment à l’arme automatique des personnages virtuels) sans pour autant devenir des tueurs sanguinaires.

Combien les dealers gagnent-ils ?

Le business de la drogue génère des revenus considérables. Un point de vente à Marseille rapporte plusieurs dizaines de milliers d’euros par jour. Qui profite de cette manne ? Elle fait vivre plus ou moins bien des milliers de gens à Marseille. Au bas de l’échelle des salaires, il y a les guetteurs. Ils peuvent gagner cinquante à cent euros pour une journée de huit heures. Le vendeur, lui, touchera au moins le double.

En haut de l’échelle, les gérants ont des revenus confortables de cadres supérieurs :  de 5 à 10 000 euros par mois pour certains. Beaucoup plus pour les chefs de réseau, installés dans des villas de luxe à l’étranger. Le tout net d’impôt bien sûr.

On comprend que les guetteurs ou les dealers, attirés par tous ces billets qui passent de poche en poche, souvent par liasses, rêvent qu’un jour, eux aussi pourront rouler en voiture de sport ou vivre dans un bel appartement avec leur copine. Eux aussi pourront arborer tout le bling bling dont le gangsta rap fait étalage.

Mais chacun connaît aussi les risques du métier : se faire tabasser sévèrement par des hommes de main, risquer la prison ou, pire, finir abattu d’une ou deux balles dans la tête sur un trottoir. La belle vie ou finir entre quatre murs ou quatre planches.

  1. Célia Lebur et Joan Tilouine, Mafia Africa, Flammarion, 2023. []
  2. L’histoire de Matéo est raconté dans Jean-Michel Decugis et al., Tueurs à gages. Enquête sur le nouveau phénomène des shooters, Flammarion, 2023. []
  3. Ioan Grillo, El Narco. La montée sanglante des cartels mexicains, Buchet-Chastel, 2012. []

3 réactions sur “Gangs: les adolescents tueurs à gage

  1. Bonjour,
    Vous dites que les mafias apparaissent dans tous les sociétés mais c’est faux, d’ailleurs vous ne citez que des exemples de sociétés capitalistes. Le capitalisme est bien une condition à l’émergence de la mafia.
    Vous ne parlez pas non plus sexe. Pourtant je mettrais ma main à couper qu’on doit être à plus de 90% d’hommes dans ces milieux qui suintent le patriarcat.

  2. Concernant les enfants tueurs, la France n’est pas un cas unique en Europe comme l’indique un article de Courrier International du 18/09/24: « À Copenhague, la peur est désormais palpable autour des lieux où se retrouvent les membres de gang danois, tels que Blagards Plads et Lundtoftegade, à Norrebro [quartier mi- populaire mi- bobo, à 3 kilomètres de la place de l’Hôtel-de-Ville]. Cette peur est arrivée dans les rues avec les nombreux adolescents désespérés venus de Suède, manifestement envoyés pour des contrats meurtriers dans la capitale danoise, avec pistolets à la ceinture et grenades à main dans les poches. »
    Il n’y a peut-être pas d’âge pour les pulsions meurtrières, sur ce point Freud n’avait peut-être pas tort.

    1. S’il existait une « pulsion de mort », comme le pense Freud, (l’autre pole d’Eros,la libido),il n’y aurait pas quelques poignées de tueurs, nous serions entourés par des serial killer.

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