Dans un article de Sciences Humaines, qui vient de paraître, je propose une vue panoramique sur l’histoire de la solidarité humaine des chasseurs-cueilleurs aujourd’hui en trois étapes.
• La première est celle des sociétés des peuples premiers. La solidarité y est présente sous des formes familiales et claniques. Le chasseur pygmée ou inuit qui répartit les parts de son butin aux membres de la parenté et aux individus alliés ne le fait pas par un pur élan de solidarité. Il s’acquitte d’une obligation sociale impérative. Par exemple, le gendre doit donner une partie de l’animal tué à ses beaux-parents pour payer le « prix de la fiancée ». En Australie, les solidarités entre clans aborigènes reposent sur des alliances réglementées : celles des mariages croisés et du soutien réciproque lors des conflits armés contre les clans ennemis.
• Dans les sociétés urbaines antiques – comme les sociétés grecque et romaine –, de nouveaux types de solidarité apparaissent : celle des guildes et corporations de métiers, celle des communautés religieuses (qui font de l’aumône une obligation pour les fidèles). En Grèce et à Rome, les élites pratiquaient la philanthropie : en finançant le « pain et les jeux » ainsi que d’autres services publics comme les termes, ils se constituaient aussi une clientèle, bien utile lors des élections.
La poignée de main invisible
• Dans nos sociétés contemporaines, les anciennes solidarités ont disparu, mais au fil du temps, de nouveaux liens se sont mis en place dans tous les pays développés des États providence (dont les formes et l’importance varient selon les pays). Les assurances et mutuelles forment un autre mécanisme fondamental de solidarité qui repose sur l’intérêt bien compris de chacun : on s’assure pour se prémunir en cas de maladie ou d’accident – et donc par intérêt personnel – et non pour se porter au secours de son prochain. Il s’agit d’une « poignée de main » invisible en quelque sorte. Les solidarités familiales (intergénérationnelles) sont loin d’avoir disparu. Elles prennent notamment la forme de transfert d’argent ou d’aides concrètes (garde des enfants) que les aînés apportent à leurs enfants adultes. À l’inverse, beaucoup d’adultes – ceux qu’on appelle les « aidants familiaux » – viennent en aide à leurs parents âgés dépendants. Enfin, un quatrième pilier de la solidarité joue un rôle important dans nos sociétés réputées individualistes : celui des associations. Des Restos du cœur au Secours populaire en passant par les ONG humanitaires, les associations forment un tissu important pour les aides aux plus démunis : pauvres, migrants.
Si on prend en compte ces quatre éléments combinés – État providence, assurances, liens familiaux et associations –, il se pourrait bien que, sans en avoir conscience, nous n’ayons jamais été solidaires les uns envers les autres !
Pour aller plus loin
– « La solidarité a une histoire »
Jean-François Dortier, Sciences Humaines, n° 368, mai 2024.
– « Les quatre piliers de la solidarité »
Jean-François Dortier, Sciences Humaines, n° 326, juin 2020.
La solidarité trouve des raisons pratiques au départ. Ensuite la réflexion morale vient sous-tendre cette réalité pour donner aux hommes une bonne conscience c’est-à-dire de mauvaises raisons d’y croire. La justification a-posteriori c’est qu’elle nous illusionne sur la valeur de nos actes! Nous avons besoin du chant des sirènes. Toute solidarité produit sur nous un charme auquel on ne résiste pas!