Pendant des décennies, le vélo est resté inefficace, dangereux et inutile. Il était un loisir de dandys et un sport de cassecou avant de devenir un moyen de transport courant. Par sécurité, on a même failli en interdire l’usage…
L’histoire du vélo débute en 1818. Cette année-là, l’ingénieur allemand Karl Drais (1785-1851) dépose un brevet pour un engin à deux roues et un guidon: le vélocipède. Le mot « vélocipède » (véloce = rapide, pède = pied) indique bien les intentions. Il s’agit d’une « machine à courir ». Sur la draisienne (comme on l’appellera par la suite), on ne pédale pas: on court. Il n’y a pas de pédale: les roues servent à soulager son poids. K. Drais n’imagine alors pas que l’on puisse tenir en équilibre sans mettre les pieds au sol! Il le découvrira plus tard à sa grande surprise. Pour mesurer l’efficacité de son invention, K. Drais a d’abord parcouru les 14kilomètres qui séparent Mannheim du relais de poste voisin, en un peu plus d’une heure. Il rêve alors d’en faire un moyen de transport courant. Mais très vite, les inconvénients apparurent. Sans pneu ni pédalier, le vélocipède était très inconfortable. De plus, les routes et les chemins étant constellés de trous et de pierres, les chutes et les blessures étaient fréquentes. En ville, les vélocipédistes empruntaient les trottoirs pour éviter les pavés et le danger des véhicules. Du coup, il leur arrivait souvent de faire tomber les piétons. Devant le nombre d’accidents, le vélo, ce « sport de casse-cou », fut interdit dans les grandes villes: en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Amérique et même à Calcutta au nom du principe de sécurité. (1)
Le vélocipède fut donc rangé au rang des accessoires inutilement dangereux pendant quelques dizaines d’années. Seule une minorité de dandys et d’originaux ont continué à parader le dimanche dans les parcs et les allées pour épater la galerie. Il faut attendre plus de 40ans pour qu’un serrurier parisien et son fils, Pierre et Ernest Michaux, décident, en 1861, d’installer un pédalier sur une draisienne. Ils présenteront leur invention à l’exposition universelle: le succès est immédiat. Mais le vélo est encore bien peu pratique. Il reste inconfortable: Clément Ader – l’un des pères de l’aviation – a l’idée d’ajouter des bandages en caoutchouc sur les roues en 1869 : un dérivé des pneus automobiles. Le vélo reste très lourd. L’Américain James Starley va l’alléger en le dotant d’un cadre en acier et de rayons aux roues en 1880.
Le sport plutôt que le transport
Il n’empêche: à la fin du 19e siècle, le vélo est encore un sport plutôt qu’un moyen de transport. Les courses cyclistes attirent de plus en plus de curieux. Il faudra encore bien du temps et de nombreuses innovations pour que le vélo devienne assez bon marché et confortable pour constituer un moyen de transport courant. Le vélo ne prend son essor en France qu’au début des années 1910, presque un siècle après sa première draisienne. Cette histoire du vélo est édifiante. Elle met à défaut l’idée d’une évolution linéaire qui verrait un engin encore sommaire se perfectionner et se diffuser progressivement en fonction d’un usage pratique: le transport. La draisienne a connu d’abord un faux démarrage puis un arrêt brutal face au danger représenté par cette machine si peu pratique et confortable. La bicyclette connaît son nouveau démarrage un demi-siècle plus tard, après avoir bénéficié d’améliorations venues d’autres domaines (le pneu, l’acier, le goudron sur les routes: la bicyclette est aussi fille de l’automobile).
Ce ne fut pas son usage pratique, le moyen de transport, qui en fera son succès: ce sont les courses de vélo et les balades du dimanche. Autrement dit, ce sont la compétition et la parade qui ont permis son implantation et sa diffusion. En matière d’innovation technique, l’histoire de l’automobile et de l’avion a connu des évolutions parallèles. L’esbroufe devance souvent l’utile, l’inconfort et le danger précèdent souvent le bien-être. Et le compliqué précède souvent le simple. •
1) L’histoire se répète d’ailleurs. Les autorités de Calcutta ont émis en 2013 un nouvel arrêté interdisant les vélos en centre-ville !
2) En l’absence de changeur de vitesse qui viendra plus tard.