C’est mon adorable grand-mère Rose qui m’a appris à tuer.
Rien de criminel: ce n’était que des lapins et des poules. Mais qui sait? Bientôt, peut-être, regarderons-nous ces tueries ordinaires d’un autre œil… J’avais treize ans.
Dans la cour arrière de la maison, Rose m’a montré comment s’y prendre. Prendre le lapin par les pattes arrière ; attendre que l’animal terrifié s’immobilise: c’est à ce moment précis qu’il faut frapper. Et vlan! Un grand coup de rouleau à pâtisserie derrière la nuque. Si c’est bien fait, l’animal meurt sur le coup. « À toi maintenant. » Elle m’a tendu l’arme. La première fois, ma main a forcément tremblé. Et si le coup n’est pas assez assuré, ou s’il part de côté et pas assez fort, on frappe alors le museau – le sang se met à pisser et l’animal se débat furieusement – ou le dos – la colonne vertébrale se brise, mais l’animal n’est pas mort… Il faut donc reprendre l’ouvrage plusieurs fois. Un carnage! Au bout de quatre ou cinq victimes, on s’y prend mieux. On s’endurcit. C’est le métier de tueur qui commence à rentrer.
« C’est un sale travail, mais il faut bien le faire », m’avait dit Rose. Bien plus tard, l’expression m’est revenue à l’esprit en lisant les témoignages des tueurs Hutu qui ont commis le génocide des Tutsi au Rwanda. « C’est un sale travail, mais il faut bien le faire. » Il ne s’agissait plus de lapins ou de poulets mais d’humains.
J’ai quelques autres actes de barbare à mon actif. Enfant, par exemple, j’ai été harceleur. Le cancre que j’étais s’est vengé en s’en prenant aux élèves modèles. On appelle ça aujourd’hui du harcèlement: pour les petits caïds de mon espèce, c’était simplement un jeu. J’ai aussi été voleur. À l’époque, subtiliser des livres dans les librairies n’était pas du vol: juste une façon de ruser avec le «système ». J’ai été un « salaud de patron »: du moins aux yeux de ceux que je me suis résolu à recadrer, sanctionner et parfois licencier. Mais comme c’était au nom de l’intérêt général, je l’ai toujours fait sans (trop de) mauvaise conscience.
En rédigeant le dossier de l’humanologue « les salauds sont des humains comme les autres« , je me suis efforcé de me rappeler quelques faits et méfaits peu glorieux de mon passé. Simplement pour me rappeler qu’il est trop facile de diviser le monde entre les gens « biens » et les autres.
Il serait intéressant de voir quelle morale qui peine un peu à dire son nom mais qu’on devine sous-tend l’humanologue, quelles sont ses valeurs? Pourquoi en a-t-il besoin?
La morale s’appuie presque toujours sur le sentiment et sur des idées souvent mutilées ou confuses.
Pourquoi ne pas avoir choisi une démarche plus éloignée du jugement de valeur qui pourrait tout simplement une éthique. Une éthique de la vie.
Celui qui arrache une carotte ou découpe une salade n’a-t-il pas de compassion pour les vivantes plantes innocentes ? Ces Victimes vertes des prédateurs herbivores comme le lapin qui n’ont rien demandé et son innocentes.
Nous savons avec Boby la Pointe, que « la maman des poissons elle est bien gentille, mais nous l’aimons bien avec du citron!!! »
Du citron et non du vinaigre.