Les ancêtres des poulpes auraient été contaminés par un virus venu de l’espace ! Cette théorie a été avancée dans un article cosigné par 33 biologistes et publiée en 2018 dans une très sérieuse revue de biologie(1). L’idée que des gènes en provenance de l’espace puissent s’introduire dans le génome d’un animal via un virus est issue de la « théorie de la panspermie » (née dans les années 1970) et qui suppose que des molécules organiques, voire des virus ou des bactéries, ont ensemencé la Terre dans un lointain passé, lors de la chute d’une météorite. Ainsi serait apparue la vie sur Terre : à partir de briques de vie venue de là-haut.
L’article de 2018 pousse l’hypothèse plus loin : il cherche à expliquer « l’explosion cambrienne » qui a eu lieu il y a 500 millions d’années. Jusqu’alors, et durant 3 milliards d’années, la vie n’avait existé sur Terre que sous la forme de micro-organismes puis d’organismes encore assez sommaires. Puis soudain, en l’espace de quelques millions d’années, il y eut comme une explosion de vie. Tous les grands embranchements d’animaux complexes (dotés d’organes et d’un cerveau) sont apparus en même temps. Les raisons de ce grand bond en avant restent une énigme. Récemment, des chercheurs ont avancé que le phénomène serait dû à la solidification du noyau terrestre. Elle aurait créé une sorte d’aimant naturel qui a servi de bouclier protecteur contre les rayonnements ultraviolets, ce qui aurait ensuite permis l’explosion de la vie(2).
Mais l’hypothèse d’un ensemencement des premiers animaux par des gènes venus de l’espace est beaucoup plus originale !
Les auteurs présentent leur théorie avec ce schéma saisissant :
Les cerveaux des poulpes et des humains se ressemblent
L’idée de cette contamination des poulpes par des virus extraterrestres n’est bien sûr qu’une hypothèse très spéculative. Mais comment ne pas établir un lien avec cette autre étude, parue elle en mai 2022, qui établit une analogie étonnante entre le cerveau du poulpe et celui… des humains !(3)
Concrètement, des chercheurs italiens ont en effet découvert chez le poulpe des « gènes sauteurs » identiques à ceux présents dans notre cerveau. Ces gènes sauteurs (appelés « transposons ») sont des segments de gènes qui ont la particularité de se déplacer sur le génome (selon un processus de « copier-coller »(4) ). Ces gènes auraient même un rôle de stimulant de l’activité cérébrale.
Comment expliquer la présence de gènes identiques dans le cerveau humain et celui du poulpe ? Nous appartenons en fait à des lignées animales très éloignées sur l’arbre de l’évolution. S’agirait-il simplement d’un phénomène de convergence, c’est-à-dire de naissance séparée et parallèle comme il en existe souvent dans l’histoire de la vie(5). Ce n’est donc pas impossible.
À moins que…
Nos cousins les poulpes
Une troisième étude, parue en novembre 2022, laisse entendre que les poulpes et les humains ne sont pas si éloignés que l’on croit sur l’arbre de l’évolution. A priori, les poulpes étant des invertébrés, ils seraient plus proches des escargots ou des huîtres que les vertébrés (poissons, amphibiens, oiseaux, reptiles et mammifères). Mais pas tout à fait ! Les poulpes appartiennent à une lignée très spéciale de vertébrés… sans vertèbre ! Le chercheur Gregory Zolotarov a en effet repéré dans le cerveau des poulpes des « microARN » typiques des animaux vertébrés.
Les microARN sont des types d’ARN capables d’inactiver ou réguler certains développements physiques des vertébrés, mais aussi sur le développement de leur cerveau complexe. Ce n’est pas la première fois dans l’évolution qu’un animal décide de se débarrasser de ses membres : après tout, les serpents sont d’anciens reptiles qui ont dit adieu à leurs pattes (et ils se déplacent très bien sans elles). Les ancêtres des poulpes seraient allés plus loin, et auraient abandonné leur colonne vertébrale tout en conservant leur cerveau complexe de vertébrés ! Une idée lumineuse qui leur a permis de développer à la fois souplesse et intelligence.
En résumé, si les poulpes sont apparentés aux extraterrestres et que les poulpes et les humains sont apparentés alors…
Je vous laisse deviner la suite…
Sources :
1) Edward J. Steele et al., « Cause of Cambrian Explosion – Terrestrial or Cosmic? » Progress in Biophysics and Molecular Biology, 2018. Pour un bon résumé en français, lire « Explosion cambrienne : les pieuvres pourraient être venues directement de l’espace » sur le site trustmyscience.com
2) « Le cœur de la Terre aurait joué un rôle clé dans l’explosion de la vie », Sciencepost, 7 juillet 2022.
3) Giuseppe Petrosino et al., « Identification of LINE retrotransposons and long non-coding RNAs expressed in the octopus brain », BMC Biology, résumé en français sur le site du magazine Géo, « Un étrange point commun découvert entre le cerveau des pieuvres et le nôtre », Géo.fr.
4) En général, le gène sur lequel est venu se greffer le transposon est désactivé. Mais il en est qui continue à fonctionner.
5) Voir « Évolution convergente. L’évolution a-t-elle un sens ? », L’Humanologue n° 5.))
La panspermie, s’il s’agit de la formation dans le vide interstellaire de molécules organiques qui constituent les briques de la vie (acides aminés et nucléotides) et de leur arrivée sans dégradation sur la Terre primitive, est aujourd’hui bien documentée. En revanche il n’existe pas d’observation dans des structures minérales terrestres de micro-organismes, virus bactéries ou archées, provenant de l’espace. C’est pourtant ce qu’affirme l’article
« Explosion cambrienne : les pieuvres pourraient être venues directement de l’espace » Thomas Boisson·15 mai 2018 sur le site Trust My Science :
« La découverte de zircons en Australie, datant de la même époque et contenant eux aussi des micro-organismes, couplée aux données déjà recueillies par Wickramasinghe et Hoyle, tend ainsi à conforter l’hypothèse de la panspermie. Des rétrovirus apportés par les comètes auraient ainsi pu transmettre ces gènes uniques aux pieuvres, ou bien des œufs de pieuvres cryopréservés auraient directement pu arriver depuis l’espace. Crédits : Edward J. Steele & al »
Dans des inclusions de graphite à l’intérieur de certains zircons datés de 4.1 milliards d’années, il a été mesuré un rapport isotopique C12/C13 compatible avec l’activité biologique telle que nous la connaissons mais aucun microorganisme n’a été identifié (Potentially biogenic carbon preserved in a 4.1 billion-year-old zircon Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A., 112 (2015), pp. 14518-14521). On a également trouvé des molécules formées dans l’espace ayant une chiralité asymétrique comme celle observée dans nos organismes vivants, mais il a été démontré expérimentalement que les conditions physiques réalisées dans ces milieux conduisaient à cette « anomalie » en dehors de tout processus biologique (https://cnes.fr/fr/web/CNES-fr/9035-gp-un-pas-de-plus-vers-une-origine-cosmique-de-la-vie.php). Le méthane martien a aussi probablement une origine non biologique.
Par ailleurs, l’hypothèse d’une arrivée massive d’œufs de pieuvres via des météorites tombées du ciel au Cambrien est pour le moins extraordinaire, elle nécessiterait donc des preuves extraordinaires que les publications citées ne produisent pas. La conclusion de Trust My science me semble un peu vicieuse : « Bien entendu, cette hypothèse, même si elle peut être théoriquement étayée, doit être prise avec du recul ». De quel recul s’agit-il si l’hypothèse est théoriquement étayée ? Sans doute de l’absence de faits probants, or l’article de Edward J. Steele & al. 2018, déborde de citations sensées produire des faits qui étayent cette théorie.
Un des points forts de l’hypothèse concerne des ARN non codants générés par un transposons impliqué dans la cognition humaine qui ont été identifiés chez deux poulpes du genre Octopus (Petrosino et al., 2022), mais les auteurs de la publication concluent simplement que la convergence est l’hypothèse la plus probable car elle est amplement documentée dans toutes les lignées vivantes : « Nous supposons qu’un processus évolutif convergent impliquant l’activité des rétrotransposons dans le cerveau a été important pour l’évolution des capacités cognitives sophistiquées de ce genre (Octopus). »
En conclusion : merci à l’humanologue de nous offrir un moment de rêverie scientifique et surtout de nous avoir signalé la publication de Edward J. Steele & al. 2018. Ce texte long, avec de nombreuses références, aborde toutes les questions relatives à la vie dans l’univers, la panspermie, le processus d’évolution biologique… avec le point de vue de l’imagination créatrice. Il ne faut toutefois pas oublier que la convergence, le mimétisme, le parasitisme… sont des faits extraordinaires avérés produits par la vie terrestre ; aussi extraordinaires que les hypothèses d’interactions cosmiques possibles mais encore très incertaines.