Le fascisme ? Un mot valise qui brouille les pistes quand on ne prend pas soin de préciser son usage. Or il a au moins trois significations différentes1.
Le fascisme désigne avant tout une réalité historique précise : un mouvement fondé en Italie par Mussolini en 1919, qui a pris le pouvoir en 1922 et dirigé le pays durant deux décennies (1922-1943). Le mot « fasciste » trouve son origine dans les Faisceaux italiens de combat, nom des milices paramilitaires en chemises noires qui ont mené des actions violentes contre les socialistes avant de devenir un des piliers du régime italien, dont le parti prend le nom de Parti national fasciste.
Le « fascisme » a ensuite été employé pour qualifier l’Allemagne hitlérienne, l’Espagne de Franco ou le régime hongrois de Miklós Horthy (de 1922 à 1944). Ces régimes partageaient avec celui de Mussolini des similarités : violence armée, culte du chef, dictature, ultranationalisme et idéologie d’un ordre nouveau.
Le mot « fasciste » a été employé ensuite dans un sens polémique et sans grande précision pour qualifier les mouvements politiques d’extrême droite, les dictatures, régimes autoritaires, populistes ou nationalistes qui ont vu le jour après la Seconde Guerre mondiale. Le mot a alors perdu un sens précis pour devenir une insulte proférée à l’encontre de toute forme d’autoritarisme ou de populisme : « fasciste », « facho » – mot utilisé comme équivalent de « nazi », « dictateur ».
Quand on quitte le terrain de la réalité historique pour généraliser un terme à toute forme d’autoritarisme, on s’expose rapidement à dire des sottises. Certains intellectuels de renom ont allègrement franchi le pas : « La langue est fasciste », a lancé un jour Roland Barthes2. Umberto Eco, lui aussi brillant sémiologue, a écrit un petit ouvrage, Reconnaître le fascisme3, où il établit une liste de quatorze critères (dont le culte du passé, le refus de la critique, la pensée unique, une nouvelle langue). Il visait alors explicitement le régime de Berlusconi, mais sa définition uniquement fondée sur les dimensions idéologiques oubliait l’existence des milices armées, le parti unique et la dictature militaire !
Qu’est-ce que le fascisme ?
Pour ne pas céder aux généralisations abusives, qui sèment la confusion, il faut donc établir quelques critères précis pour définir la bête.
Historiquement, les régimes fascistes ont comporté quelques traits caractéristiques qui en font des configurations politiques singulières.
• La dictature
Même lorsqu’ils ont accédé au pouvoir par des voies légales (ce qui fut le cas de Mussolini et Hitler), les dictateurs ont mis en place progressivement un régime policier, muselé l’opposition, imposé un parti unique et se sont arrogé les pleins pouvoirs.
• Le culte du chef
Mussolini comme Hitler possédaient un charisme personnel qui leur a permis dans un premier temps de subjuguer des fidèles. Par la suite, le « culte de la personnalité » est devenu dispositif institutionnel, outil privilégié de propagande.
• L’ultranationalisme
Le fascisme exalte l’unité de la Nation et la communauté soudée autour de valeurs communes. Ce nationalisme fonctionne sur un principe d’opposition aux ennemis extérieurs, mais aussi ceux de l’intérieur, qui peuvent être les étrangers, le libéralisme cosmopolitique, les élites corrompues ou les Juifs. Il est à noter que le fascisme italien n’était pas intrinsèquement antisémite4.
• La violence armée
Le fascisme doit son nom aux « faisceaux » : les milices paramilitaires qui paradent en chemises noires et multiplient expéditions punitives, brimades et exécutions. Les SA puis les SS furent aussi en Allemagne des piliers du régime nazi.
• L’ordre nouveau
Le fascisme a un caractère révolutionnaire et ne repose pas uniquement sur un pouvoir fort : il veut instaurer un « ordre nouveau », voire même un « homme nouveau ». D’où l’importance de l’éducation de la jeunesse, du port de l’uniforme, des cérémonies collectives, du rejet de l’individualisme et du culte de la hiérarchie.
• L’idéologie totalitaire
Le fascisme veut enrôler les esprits. Ce qui suppose une idéologie globale comportant non seulement des slogans et une propagande mais aussi un fort investissement culturel : la censure des idées non conformes et la création d’un art qui lui est propre – affiches, architecture, sculpture – et qui exalte des valeurs viriles – la force, le courage, la loyauté, l’unité.
La nature du « fascisme » fait l’objet de disputes entre historiens : ils ont débattu pour savoir si le régime de Vichy était fasciste5, ou si le fascisme était un totalitarisme (voir encadrés). Ce débat est à la fois normal et fertile : il contribue à enrichir le savoir. Surtout, il contribue à décrire des configurations historiques précises : fascisme, nazisme, totalitarisme, dictature, extrême droite, populisme, etc., et donc à dissiper les équivoques.
La démarche qui consiste à comparer les régimes, souligner les points communs et les différences est exigeante, mais c’est le prix à payer pour y voir clair. Inversement, le mélange des genres, la confusion des mots et les slogans simplistes ne sont au service ni de la pensée ni de la démocratie•
Le fascisme est-il un totalitarisme ?
En Italie, terre de naissance du fascisme, les historiens ont beaucoup débattu de la nature du régime de Mussolini. L’historien Renzo De Felice a refusé de qualifier le régime italien de « totalitaire » au motif qu’il n’avait pas pratiqué la terreur de masse, ni subordonné totalement l’État italien à la loi du Parti6.
À l’inverse, Emilio Gentile (autre historien, qui fut pourtant un de ses élèves) a contesté cette analyse. Pour lui, ce régime fasciste n’était pas une simple dictature nationaliste. Il a voulu instaurer un « homme nouveau » et a forgé une véritable « religion politique » – avec sa morale, ses rituels, ses monuments et son art. Cette volonté d’embrigader les esprits justifie, selon lui, qu’on qualifie ce régime de totalitaire7.
Le fascisme va-t-il revenir ?
Récemment, une polémique a eu cours aux États-Unis pour savoir si Donald Trump était fasciste. Ce qui a conduit des historiens comme Robert O. Paxton (spécialiste de Vichy) ou Richard Evans (spécialiste de l’Allemagne hitlérienne) à réagir en contestant l’usage abusif du terme. R. O. Paxton, par exemple, rappelle que si l’autoritarisme de Trump, sa démagogie, ses mensonges et son racisme suggèrent une analogie avec le fascisme, il faut savoir garder raison. Les différences sont marquantes, à commencer par le fait que Trump ne veut pas d’un État fort et interventionniste (comme le furent les régimes fascistes de l’entre-deux-guerres) mais désire au contraire un État faible. Il n’a jamais pu instaurer de régime policier, de parti unique et encore moins aller contre la volonté des urnes.
- Marc Lazar, « Le “fascisme”, un mot valise bien explosif », dans « La Révolution fasciste », L’Histoire, collection n° 94, 2021. [↩]
- Prononcée en 1977 lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, la citation exacte est : « La langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. » [↩]
- À l’origine un essai, « Ur-Fascim », publié dans la New York Review of Books en 1995, édité sous ce titre en France en 2017 chez Grasset. [↩]
- Il faut attendre 1938 pour que débutent en Italie des campagnes antisémites. Franklin Hugh Adler, « Pourquoi Mussolini fit-il volte-face contre les Juifs ? », Raisons politiques, vol. 22, n° 2/2006, en ligne. [↩]
- Voir à ce sujet : Serge Bernstein et Michel Winock (dir.), Fascisme français ? La controverse, CNRS, 2014. [↩]
- Renzo De Felice, Brève histoire du fascisme, Seuil, « Points histoire », 2009. [↩]
- Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation, Gallimard, « Folio histoire », 2004. [↩]
Merci pour l´article que je trouve tres actuel et intéressant.
J´ai un question. Vous avez mencionné l ´extréme droit comme appartenante aux « fascismes ». Pourquoi pas l´extréme gauche ?
Vous connaissez l´expression que le fascisme – c´est tous que contredis aux stalinisme. – donc vous négligéz le marx-léninisme dans le progrés idéologique …
Non. Pas de tout. Le regime gouvernmental russe n’est pas fasciste. Çá c’est une reponse de la propagande occidental à lá position russe sur le nazisme qui à ête integre par l’État ucraniane dans son appareille pour massacre les russofones du Donebass. C’est pas une vrais question.
Il est si facile de montrer la paille dans l’oeil du voisin Poutine pour éviter de voir la poutre dans celle de nos soi-disant « démocraties occidentales », tout cela parce que la propagande médiatique nous empêche de voir cette poutre. C’est aussi tellement plus confortable pour nos esprits.
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/06/03/la-volonte-d-impuissance.html
L’intense propagande à laquelle nous sommes soumis brouille les idées. Je remarque que la plupart des commentaires utilise le mot sur le mode « insulte », non sur le mode concept. Rien de surprenant. Pour tenter d’y voir moins sombre il faudrait, me semble-t-il, savoir ce qu’on entend par « Poutine ». Un peu comme avec « Hitler », mot bien pratique qui permet de dire tout le mal qu’on pense de l’ennemi sans insulter le peuple qui l’avait élu et soutenu jusqu’à la fin. Selon une de mes sources, l’offensive contre l’OTAN en Ukraine avait été demandée par la Douma (Assemblée Nationale Russe). Washington semble penser que tout rentrerait dans l’ordre si « Poutine » était viré (aux dernières nouvelles on l’accuse d’avoir le cancer). Rien n’est moins sûr. On peut trouver Russe plus radical et, au petit jeu du nucléaire, la Russie a des capacités de résilience que les Etats-Unis n’ont pas, pour ne rien dire que notre pauvre Europe…
Quel est votre avis? Vous ne le dites pas dans vos conclusions. Poutine est-il fasciste? En rapport à vos critères, peut-on être fasciste à 4/5e temps? Beau casse tête n’est-il pas?
Personnellement, dans la mesure où Poutine il renvoie toute opposition au cachot (y compris celle d’ enfants), qu’il musèle la presse, etc… on peut quand même avoir quelques repères pour l’affirmer.
Bien cordialement,
Serge
Il me semble que le régime établi par Poutine répond à cet ensemble de critères !
A condition de préciser que « l’ordre nouveau » puise dans les pratiques classiques des systèmes de pouvoir russes, du tsarisme au bolchevisme, en imposant un mode pensée et une « vérité » venant d’en haut!
En effet, le maître du Kremlin coche beaucoup de cases…..hélas…il est très dangereux et imbu de lui même….un petit bonhomme qui veut prouver « qu’il a tous les droits..en attendant, l’Ukraine sera déstabilisée pour des années….et les goulags continuent de fonctionner »…..tout cela est infiniment triste…..
A priori le Maître du Kremlin coche beaucoup de cases…..