De la multiplication des pains à la transformation de l’eau en vin, en passant par la capacité à marcher sur l’eau et à guérir les aveugles, les lépreux et les paralytiques, les miracles de Jésus sont bien connus. Mais il n’est pas le seul concerné par la question : il fut un temps où tout prophète, chamane, gourou, messie, Bouddha ou saint digne de ce nom se devait d’accomplir des miracles.
Ainsi, le Coran relate que Mahomet a un jour divisé la lune en deux pour convaincre les Mecquois de sa légitimité1 et les écrits bouddhistes révèlent que même le Bouddha, connu pourtant pour ne pas faire étalage de ses pouvoirs, a participé à une compétition de miracles organisée à Shravasti, en réponse à un défi qui lui avait été lancé. Dans toutes les religions, les prophètes et les saints présentent des pouvoirs particuliers qui s’inscrivent en général dans le prolongement des pouvoirs magiques chamaniques : lévitation, téléportation, clairvoyance2 et, comme pouvoir principal, celui de guérir. Les miracles évangéliques ressemblent beaucoup aux cérémonies vaudous3, aux guérisons chamaniques et à l’exorcisme4. Toutes ces pratiques suivent un schéma similaire : une mise en scène spectaculaire, des chants, des paroles magiques, une imposition des mains et une guérison soudaine.
La fin des miracles ?
Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, les miracles n’ont plus bonne presse, et les récits de prodiges qui truffaient les écrits religieux sont désormais pudiquement mis de côté. L’Église catholique continue de faire du miracle la condition pour canoniser un saint, mais ses critères d’attribution desdits miracles sont devenus très sélectifs.((La canonisation exige l’authentification d’au moins deux miracles : ils font l’objet d’un procès en canonisation long et méticuleux. Voir article « canonisation » sur Wikipédia.))
De son côté, le bouddhisme est devenu moins prompt à évoquer les « moines volants », leur don d’ubiquité et autres pouvoirs de voyance. Au contraire, et surtout en Occident, il présente aujourd’hui une version plus éthérée, spirituelle et philosophique de « l’Éveil ».
Dans ce contexte de rationalisation de la foi, les miracles semblent en voie de disparition. Et pourtant…
Aussi intriguant que cela puisse paraître, les guérisons miraculeuses sont aujourd’hui de retour5. En quelques clics, vous pouvez en voir une de vos propres yeux : internet en regorge.
Comme lors de cette grande messe évangélique en plein air qui rassemble des milliers de gens devant une scène. Le groupe de rock’n’roll chrétien qui anime l’événement est succédé par un pasteur hollandais de renom: Tommy Lee Osborn, un Hollandais. Après son sermon, il fait monter une personne du public sur scène. On lui indique qu’il s’agit d’un sourd. Il lui pose la main sur le front, prononce quelques Alléluia, puis lui chuchote quelques mots à l’oreille… et le sourd l’entend ! La foule acclame, émerveillée par le miracle.
T.L. Osborn fut l’un des premiers prédicateurs évangélistes à mettre en scène des miracles publics, voyageant dans le monde entier en enchaînant les tournées… et les miracles. Aujourd’hui, ils sont nombreux à faire de même — aux États- Unis, en Afrique, au Brésil, en France, en Europe. Certains ont même créé leur chaîne YouTube pour élargir leur audience. Une réinvention moderne, en quelque sorte, de la tradition des prophètes et guérisseurs du début de notre ère qui, comme Jésus, sillonnaient les villes du Moyen-Orient pour annoncer la bonne nouvelle et guérir les malades.
Comment donc expliquer ce retour des miracles en ce début de troisième millénaire ? S’agit-il simplement de supercheries pour public crédule ? Parfois, oui. En Afrique, certains prédicateurs profitent de la culture encore présente de la magie, de la sorcellerie et de l’exorcisme pour mettre sur pied de grossières mises en scène (un mort dans son cercueil qui se réveille brusquement en se frottant les yeux, une femme paraplégique qui sort de sa chaise roulante et se met à danser sur scène, etc.). Le tout devant un public chauffé à blanc qui s’extasie et pleure de joie.
Mais on ne peut exclure l’idée que certains miracles ont vraiment lieu. Qu’on les mette sur le compte de l’effet placebo ou de réels miracles, certaines guérisons sont authentiques. D’ailleurs, les guérisons « miraculeuses » ne prennent pas, toutes, une tournure spectaculaire. Ainsi, l’Association internationale des ministères de guérison qui rassemble catholiques et protestants dans des groupes de prières « Guérison et Miracles », présente des miracles assez peu démonstratifs. Ici, pas d’aveugles qui recouvrent
subitement la vue, pas de paralysés qui bondissent de leur fauteuil, mais des témoignages de malades qui se déclarent guéris de leurs troubles — une migraine persistante, une dépression, un cancer — grâce à leurs prières et celles de leur groupe de soutien. Bien sûr, la relation établie entre prières et guérison reste très hypothétique : comment savoir si la rémission d’un cancer provient des prières ou des soins médicaux reçus ? Comment savoir quelle est la cause réelle d’une sortie de dépression ? Outre les prières, il est évident que ces groupes de prières apportent un précieux soutien moral et une chaleur humaine à des gens qui en ont bien besoin. Mais ces croyants ont la certitude d’être guéri par la prière, au point d’en témoigner publiquement.
Le secret des miracles
Consciemment ou pas, c’est peut-être là que se trouve l’explication de la résurgence d’intérêt pour les prodiges dans ce millénaire éminemment rationnel. Finalement, le réconfort moral compte autant, si ce n’est plus que l’efficacité thérapeutique. Il en va ainsi pour les milliers de malades qui se rendent en pèlerinage à Lourdes : certains espèrent peut-être une guérison magique, mais tout le monde sait que ces miracles, s’ils existent, sont rarissimes. Une autre raison les pousse vers le lieu de pèlerinage. L’écrivain Gilbert Cesbron, qui y a été lui-même, nous en parle dans son livre Lourdes entre ciel et terre. Après avoir décrit l’ambiance de fête, la ferveur partagée, les gestes de la solidarité, les sourires et la ferveur collective, il en vient à suggérer que la guérison passe peut-être au second plan: « Ici, (…) on vient reprendre des forces et non pas guérir »6
Jean-François Dortier
- Sourate 54, « La lune » : « L’heure approche et la lune s’est fendue. » [↩]
- Quand ce n’est pas celui de transmutation de la matière. Voir par exemple les études de l’ethnologue Guillaume Rozenberg sur les « puissances » supposées des moines birmans. Renoncement et puissance, et Les Immortels. Visages de l’incroyable en Birmanie bouddhiste, Vannes, Éditions Sully, 2010. [↩]
- qui semble elle-même copiée sur les exorcismes chrétiens. [↩]
- À ceci près que dans la pratique chamanique, c’est le chamane guérisseur qui entre en transe, alors que dans les scènes de guérison évangélique ou vaudou, c’est le malade qui semble pris de convulsions. Chez les guérisseurs magnétiseurs, ni l’un ni l’autre : la simple imposition des mains suffit à guérir. [↩]
- L’évangélisme est un mouvement religieux chrétiens, un des rameaux du protestantisme. [↩]
- Gilbert Cesbron, Lourdes entre ciel et terre, les éditions du Cerf, 2020. [↩]
Merci Georges pour ces précisions érudites qui m’impressionnent !
JF
Je crois que en dois croire aux miracles .
le coran n’a jamais relate ce que vous racontez sur Mahomet,relisez-le .
Oui justement, il suffit de relire le Coran: sourate 54:1-2,( la lune): les deux premiers versets évoque le miracle de Mahomet. Ce miracle est également évoqué par les traditions (sunna) musulmanes comme l’Asbāb al-nuzūl, une des principales tradition prophétique de l’islam
Très cordialement L’Humanologue
Bonjour.
Jean-François a été plus vite que moi pour répondre.
Mais vous avez probablement passé ce sujet lors de votre lecture du coran.
En effet, il faut attribuer ce fait au premier verset du sourate 54 (55 versets), à savoir :
1) L’Heure approche et la lune s’est fendue.
La division de la lune (inshiqāq al-qamar) (انشقاق القمر) est un miracle attribué au prophète Mahomet.
Il fait partie des traditions musulmanes – occasions ou circonstances de révélation (asbāb al-nuzūl,أسباب النزول).
Ce verset a souvent été interprété comme la description d’un miracle de Mahomet. Il aurait fendu la lune en deux afin de prouver sa prophétie. Cela ne repose que sur le verbe « fendre » qui signifie aussi « prendre au lacet ». L’origine signifiait que la lune était attrapée en vue du jugement dernier. C’était donc un avertissement du jugement dernier avant d’être réinterprété en miracle.
Bien à vous.
Georges (une lecteur de l’humanologue)