Le capitalisme nouveau est arrivé

La page du néolibéralisme est en train de tourner. Après des décennies de libre-échangisme, l’Amérique de Donald Trump promeut un capitalisme nationaliste (« dehors les produits chinois ! ») et prédateur (« à nous le Groenland ! »). Ce nouveau capitalisme s’accompagne de l’essor de firmes monopoles (Google, Amazon, X) qui s’affranchissent des États pour s’approprier des territoires numériques. Le libre-échange laisse la place au chacun pour soi, agressif et conquérant. Pour l’historien Arnaud Orain, ce capitalisme n’est pas nouveau. Il renoue avec des périodes semblables, celle du capitalisme marchand à l’époque des compétitions maritimes ou celle du capitalisme impérialiste et monopolistiques des années 1880-19451 .

Désormais, plus question de laisser entrer sur le marché américain les produits chinois à bas prix ou les voitures électriques bon marché qui concurrenceront l’industrie nationale. Droits de douane aux importations, politique de conquête agressive. Un « national-capitalisme autoritaire  »2 est en train de s’imposer : et pas simplement aux États-Unis .3 Les Européens, qui ont fait du libre-échange un dogme intangible, commencent eux aussi à se mordre les doigts et à prendre conscience des dangers avec les produits qui inondent l’Europe, après les panneaux solaires, les voitures électriques, les biens peu chers qui envahissent le marché (Chein, Temu). Depuis les années 1980, le libre-échange était le principe dominant : au nom d’un postulat gagnant-gagnant : certes, les marchandises venues d’Asie concurrencent la production locale, mais, en retour, l’Allemagne vend ses machines-outils, la France ses vins, son industrie de luxe et reçoit des touristes enrichis. Au final, tout le monde serait gagnant. Mais avec le recul, le compte n’y est pas.

Paradoxalement, c’est la Chine communiste qui s’indigne des restrictions à la libre circulation des marchandises et vante les mérites du libre-échange !

Pour Arnaud Orain, ce changement de cap annonce la venue d’une nouvelle étape du capitalisme – qu’il appelle « capitalisme de la finitude ». C’est un capitalisme de prédation qui vise à s’emparer des richesses limitées comme le sont les ressources halieutiques ou les terres rares. Ce capitalisme de conquête n’est pas une nouveauté. Il renoue en fait avec d’autres périodes du capitalisme, quand firmes et États se livraient des batailles acharnées pour s’emparer de territoires et de biens via des entreprises monopolistiques. Ce fut le cas lors de la première phase du capitalisme, du 16e au 18e siècle, quand les navires anglais, hollandais, français, espagnols sillonnaient les mers, où pirates et corsaires s’affrontaient, et quand les compagnies maritimes s’installaient en Amérique ou en Asie. L’époque était celle de la rivalité des nations.

Puis à partir du 19e siècle, l’auteur donne la date de 1815, une nouvelle période s’ouvre : la règle est désormais celle du libre-échange et de la concurrence loyale, promue par des économistes libéraux – Adam Smith, David Ricardo. Elle se traduit non plus par la prédation, mais par l’échange entre nations censées s’enrichir mutuellement. Que chacun se spécialise dans son domaine, et cela fera le bien de tous. Tel est le credo de l’époque.

Mais avec les années 1880 s’ouvre une nouvelle ère du capitalisme conquérant et dominateur, impérialiste et monopolistique. C’est l’époque du partage de l’Afrique. Allemand, Anglais, Français et Belges partent à la conquête du continent africain pour s’emparer de ses richesses. Les colonies deviennent un champ de bataille. Pas question de jouer la libre concurrence, les grandes firmes s’affrontent pour s’imposer. C’est aussi le temps de la constitution des grands cartels industriels. Cette phase impériale va durer jusqu’à 1945 où débute une nouvelle ère du libre-échange. D’abord timidement, puis surtout à partir des 1980, quand le néolibéralisme s’impose partout.
Cette phase semble close.

Les États se replient sur leurs intérêts (la montée des populismes les y invite), des firmes monopolistiques (Google, Amazon, Facebook, X) se lancent à l’assaut des marchés du numérique. Des « firmes souveraines » affranchies des logiques d’États. L’ère des grands prédateurs est de retour.

  1. Arnaud Orain, Le Monde confisqué, Essai sur le capitalisme de la finitude, 16e-21e siècle, Flammarion, 2025. []
  2. Pierre-Yves Hénin, « Le national-capitalisme autoritaire de Trump devient le modèle dominant dans le monde », Alternatives économiques, 18 janvier 2025. []
  3. Pierre-Yves Hénin et Ahmet Insel, Le National-capitalisme autoritaire : une menace pour la démocratie, Essais & Cie, 2021. []

3 réactions sur “Le capitalisme nouveau est arrivé

  1. surtout continuez car je constate de plus en plus de personnes « perdues » par la disparition du « libre échangisme » (tout domaine) chacun de plus en plus mal informé, formé peut être, n’ose plus échanger librement plus avec sa famille ou ses voisins.
    En 86 ans j’ai appris que les partages d’échanges de savoirs, compétences, projets… , ont été une grande part de ma formation.

  2. « Paradoxalement, c’est la Chine communiste qui s’indigne des restrictions à la libre circulation des marchandises et vante les mérites du libre-échange ! »

    Ce n’est pas paradoxal étant donné que la chine n’a absolument rien de communiste.

  3. Je me permets de vous signaler l’existence, dans la collection Denoël, d’un bouquin de science fiction titré Terminus les Etoiles (sans doute difficilement trouvable).
    On y découvre un cosmos sans Etat, le tout étant régi par des super « multinationales » dont on retrouve les boutiques et les logos partout aux quatre coins de l’univers.
    Quel rapport ?
    Eh bien, il n’est pas impossible qu’après le virtuel nos « firmes souveraines » reposent les pieds sur Terre par des appartenances, voire des territoires… Les Googleux entrant en conflit, réel, avec, par exemple, les Instagrammophiles. Une sacrée rigolade en perspective !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *