Dracula

Toutes les personnes que je rencontre m’intéressent. Ne fût-ce que par curiosité : on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise. Mais aussi — et surtout — parce qu’au fil des années et des rencontres, j’ai découvert un formidable secret : tout le monde a quelque chose à raconter. Une anecdote incroyable, une passion secrète, un rêve d’enfant, un déboire amoureux… chaque personne cache au moins une histoire passionnante, ou au moins surprenante. Il suffit d’ouvrir la porte. Parfois, il suffit même de l’entrouvrir.

Alors permettez-moi de partager avec vous certaines de ces rencontres plus ou moins furtives que j’ai eu la chance de faire. Une collection d’impressions qui formeront, peu à peu, comme une mosaïque d’humains — un autre aspect de l’Humanologie. Ce mois-ci, je vous parle d’Eddy, un sans-abri plein d’espoir.

Un pub sombre à Bruxelles. Pas un bar ni un café : un pub à l’anglaise, au nom improbable s’il en est : le Funky Monkey. Un grand pub à l’ancienne qui le soir ouvre sa botte secrète : un deuxième bar au sous-sol qui reste ouvert tard dans la nuit.

S’il rassemble surtout des expats britanniques en journée, la faune qui s’y retrouve de nuit est beaucoup plus variée : une collection de toutes les âmes plus ou moins égarées qui ont encore besoin, ou simplement envie, de boire un dernier verre.

Le bar est tout petit, moderne avec, dans un coin, un piano abandonné (comme dans tout bar qui se respecte). Il est 2 heures du matin. Je rentrais tranquillement d’un bal folk et j’ai décidé de m’y arrêter, pour voir. Je m’assieds au bar et je commande une bière, ma première de la soirée (je bois rarement dans un bal folk : trop occupée à danser). Seule encore sobre dans une soirée déjà bien avancée, j’observe. Autour de moi, un homme à l’air un peu triste, un couple, un groupe de potes qui parlent trop fort. J’observe en buvant tranquillement mon verre, je note quelques pensées dans mon carnet : c’est apaisant de croiser cette diversité de vies.

Deux gars entrent dans le bar, et se posent à côté de moi pour commander. L’un d’entre eux me voit écrire et s’exclame :

“Un stylo-plume ! C’est rare, les gens qui écrivent encore au stylo-plume… Qu’écrivez-vous ? »

Je lui explique que je n’écris rien de très précis, simplement des impressions et des observations, parfois l’histoire des gens que je rencontre. On commence à discuter. Ils sont Roumains, originaires de Târgoviște.

Ils précisent : “La ville natale de Dracula » (ça ne s’invente pas).

Ils voyagent beaucoup. Celui qui parle le plus, la trentaine resplendissante, est directeur d’une petite compagnie de forage, apparemment. Ils font des forages pour analyser la composition du sol avant la construction d’un building, par exemple…

Je n’y connais rien en forage, mais je suis toujours contente d’apprendre de nouvelles choses. Je lui demande s’il aime son job.

« Oui, me dit-il, c’est très intéressant. Parfois, on fait même des découvertes archéologiques ! Bon, du coup ça retarde les travaux, ce qui n’arrange pas toujours tout le monde, mais c’est très intéressant. Nos forages révèlent l’histoire cachée de notre pays, l’histoire de notre terre. »

On boit encore un verre ensemble, on échange nos enthousiasmes dans cette mystérieuse nuit bruxelloise. Vers 3 heures du matin, on se quitte, comme des amis sans l’être. Une rencontre gratuite, avec deux voisins de Dracula.

Un commentaire sur “Dracula

  1. C’est si beau une femme qui, à 2h du matin rentrant d’un bar folk, décide d’entrer dans un bar et d’y commander une bière.
    C’est si beau une femme seule qui observe tranquillement et écrit avec un stylo plume dans un carnet.
    C’est si beau que, grâce à elle, avec elle, on rencontre deux voisins de Dracula.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *