Depuis 1500, déclin et redéploiement

À partir de 1500, la religion chrétienne entre dans une nouvelle période marquée par une double tendance. En Europe, elle se fractionne et commence un long déclin. Mais au même moment, elle entame sa diffusion mondiale. Alors qu’en Europe des églises se vident, ailleurs elles se remplissent.

Les années 1450-1500 marquent conventionnellement la fin du Moyen Âge et le début de l’ère moderne. Qui dit Renaissance dit apparition de l’humanisme, de l’individualisme, de la raison et du capitalisme. Ce demi-siècle est aussi celui de l’apparition de l’imprimerie (1453) et de la découverte de l’Amérique (1492). Autant d’ingrédients qui attestent de l’entrée dans une ère nouvelle. Pour le christianisme, cette ère nouvelle semble annoncer le début du déclin. Un déclin qu’on pourrait résumer à partir de trois D: Division, Divorce, et Désenchantement.

La grande division entre catholiques et protestants
Pour la religion chrétienne, la fin du Moyen Âge et l’entrée dans l’âge moderne commencent par une grande fracture: celle du protestantisme. Comme son nom l’indique, le mouvement débute par une « protestation » contre les abus d’une Église qui s’arroge le pouvoir de juger les pécheurs à la place de Dieu et en fait un commerce lucratif (en vendant des « indulgences » destinées à racheter les fautes). Luther et Calvin voulaient réformer l’Église, mais leur mouvement bascule dans une sanglante guerre de religion. Entre catholiques et protestants, la séparation peut être comparée à celle qui a divisé sunnites et chiites au sein de l’Islam. Une fois séparé de l’Église catholique, le mouvement protestant va se répandre en se diversifiant. Sa nature même d’organisation décentralisée ne peut que produire des ramications successives: après les luthériens, les calvinistes et les anabaptistes apparaissent plus tard les pentecôtistes et les évangéliques, eux-mêmes divisés en une myriade d’Églises autonomes. (2)

Le divorce avec le pouvoir
À partir de 1500, s’amorce une autre rupture : entre la religion et le pouvoir politique. Le processus de séparation entre les États et les Églises prend des formes différentes selon les pays. La France de l’Ancien régime est considérée comme la «fille aînée de l’Église » et l’on trouve, par exemple, normal qu’un cardinal (Mazarin ou Richelieu) y dirige l’État. La séparation entre le pouvoir et l’Église se fait en secousses brutales : celle de la Révolution française, puis de la troisième République laïcarde. Dans l’Italie et l’Espagne catholique ou l’Allemagne protestante, la séparation entre le politique et le religieux a été beaucoup plus graduelle (les partis démocrates-chrétiens dont la CDU allemande existent encore dans plusieurs pays d’Europe).

Désenchantement du monde
La perte de magistère de la religion sur les esprits se poursuit sur plusieurs siècles. Elle prend d’abord la forme d’une séparation entre foi et raison. Contrairement à une idée reçue, l’Église et la science ont plutôt fait bon ménage jusqu’au 17e siècle. Mais les trajectoires vont diverger. Au temps de René Descartes, Isaac Newton ou Gottfried Leibniz, les philosophes et savants sont encore des croyants. Au 18e  siècle, les penseurs des Lumières se partagent entre croyants et athées mais tous sont plus ou moins anticléricaux. À partir du 19e  siècle, le divorce entre foi et raison est clairement consommé. À la fin du siècle, l’athéisme et le matérialisme s’étant largement répandus, Nietzsche croit pouvoir prophétiser la « mort de Dieu ». La déprise et le désenchantement s’accompagnent d’une perte d’emprise de la religion sur la société. La désertion progressive des églises par les fidèles et la crise des vocations s’accélèrent au 20e siècle.

En France, le nombre de prêtres est divisé par 10 entre 1960 et 2020). (3) À première vue, le sort de la religion du Christ est scellé. Mais c’est sans compter sur une autre tendance qui vient changer la donne. Au moment où le christianisme amorce son déclin en Europe, il débarque sur d’autres continents. Commence alors son expansion mondiale.

La christianisation du monde
Le reflux du christianisme en Europe débute au même moment que son implantation dans le reste du monde. Les premiers colons arrivés en Amérique du Nord sont des quakers (des anglicans fondamentalistes). Ils sont bientôt rejoints par les vagues de colons irlandais, anglais, italiens, allemands, grecs, russes, à majorité catholique ou protestante. En débarquant sur de nouvelles terres, ils importent naturellement leur religion avec eux. Les colonies portugaises et espagnoles introduisent le catholicisme au sud du continent américain par l’action conjuguée des missionnaires, des colons et des administrations. En Afrique, évangélisation et colonisation vont également de pair, la diffusion de la « vraie religion » s’accompagnant d’une lutte contre les cultes animistes. En Asie, l’implantation est beaucoup moins facile (les Philippines sont aujourd’hui le seul pays d’Asie à majorité chrétienne). Ce n’est pas un hasard si la carte mondiale du christianisme épouse celle de la colonisation européenne. Avec la décolonisation et la modernisation des sociétés, le christianisme aurait pu connaître sur les autres continents une évolution comparable à celle de l’Europe. Cela n’a pas été le cas. Au 19e  siècle, au moment où l’athéisme gagne l’Europe, l’Amérique connaît plusieurs mouvements d’eeffervescence religieuse: la création de l’Église mormone, les premiers mouvements de réveils évangéliques et la naissance du pentecôtisme. En Afrique, le christianisme réussit sa greffe. Loin de refluer avec la décolonisation, il connaît un essor autonome, sécrétant ses propres prophètes et ses églises locales (4).

Longtemps très minoritaire en Asie, le christianisme s’y répand désormais à grande vitesse, notamment par l’action des évangéliques. En Chine, les chrétiens évangéliques sont aujourd’hui plus de 66 millions! Et on en compte 28 millions en Inde et 9 millions en Corée (5). Le mouvement de christianisation s’inverse donc au cours des derniers siècles. Les anciens évangélisés sont devenus aujourd’hui des évangélisateurs. Ironie de l’histoire, les anciennes périphéries de l’Europe chrétienne (Amérique, Afrique, Asie) sont désormais les principaux foyers de renaissance du christianisme: ils fournissent même des fidèles et des cadres aux vieilles églises européennes en panne de recrutement.

Retour sur 2 000 ans d’histoire
La vue panoramique de deux millénaires d’histoire du christianisme possède une vertu : elle met en lumière les ressorts de son expansion, sa domination puis son redéploiement depuis cinq siècles. Premier constat: l’idée d’une onde de choc qui se serait propagée à travers les siècles et les continents, à partir d’un impact initial – la parole d’un prophète-messie – ne résiste pas à l’examen. À chaque grande période de son histoire, le christianisme se diuse à partir de messages et de ressorts d’action spécifiques. Durant les premiers siècles, les chrétiens forment une organisation missionnaire, fondée sur un projet d’émancipation collectif et personnel. Le message du prophète juif Jésus est clairement tourné vers le rétablissement imminent d’un royaume terrestre: le royaume de Judée. Ce message s’accompagne d’un espoir de guérison et de la disparition des fléaux. Les miracles attestent de la puissance de celui qu’on appelle le « sauveur », et qui va bientôt régner sur Terre pour le bien de tous. Un tournant majeur a lieu avec l’instauration du christianisme comme religion d’État. À partir du 5e siècle, le christianisme se diffuse de haut en bas : du centre du pouvoir vers le peuple. Le message change aussi de nature: le salut n’est plus terrestre mais dans l’au-delà. Il n’est plus collectif mais individuel. Il repose moins sur l’espoir du paradis que sur la peur de l’enfer. L’adhésion, enfin, ne relève plus de la volonté personnelle mais de la soumission et de la tradition. L’Église chrétienne règne en maître sur la vieille Europe pendant plus d’un millénaire. Puis, une période nouvelle s’ouvre vers l’an 1500. À partir de là, le christianisme connaît deux trajectoires différentes. En Europe, l’empire chrétien se fragmente puis se dissout. La religion chrétienne perd progressivement son magistère sur la société (par la séparation de la religion et du pouvoir) et sur les esprits. Sur les autres continents, une autre trajectoire se dessine: le protestantisme maintient son implantation dans les populations et connaît plusieurs moments d’effervescence. Le dernier en date correspond à l’essor de l’évangélisme. En deux millénaires, le salut chrétien a changé d’horizon. Les premiers chrétiens attendent l’avènement d’un royaume de justice sur Terre. Au Moyen Âge, le salut est projeté dans l’au-delà. Le chrétien doit craindre l’enfer et espérer le paradis éternel. Ce qui ne l’empêche pas aussi de prier pour un salut terrestre: guérir une maladie ou protéger les récoltes. Aujourd’hui, l’enfer ne fait plus peur et le paradis attire moins les fidèles. Leurs aspirations sont terrestres et immédiates. Le Christ est vécu comme une présence réconfortante et dynamisante: un compagnon de vie, qui bien qu’invisible est là pour vous soutenir et vous aider. À cela s’ajoute le soutien réel d’une communauté amicale de croyants qui nous entoure et avec qui nous passons des moments chaleureux.

(1) En réalité, il s’agit de plusieurs Églises, si on prend en compte l’Église anglicane qui, en Angleterre, prend son autonomie.
(2) Le World Christian Encyclopédia en dénombre plusieurs milliers.
(3) Denis Moreau, Comment peut-on être catholique ?, Seuil, 2018.
(4) « Les catholiques français méconnaissent de plus en plus leur foi », La Croix, 8 janvier 2007.
(5) « Statistiques du protestantisme évangélique » 2021, Blog Sébastien Fath, 21 janvier 2021.

Que veut dire « être chrétien » aujourd’hui ?

2,4 milliards d’humains (soit 1 humain sur trois) s’identifient comme chrétiens. La moitié, soit 1,2 milliards, est d’obédience catholique. 900 millions, soit un tiers, sont protestants (dont 660 millions d’évangéliques), et 280 millions sont orthodoxes.
Ces chiffres globaux recouvrent, en fait, de grandes disparités. Seule une petite minorité de fidèles prie régulièrement, va à la messe ou adhère aux dogmes. La grande majorité entretient un rapport très distancié à la religion. Ils souscrivent à des croyances vagues. À la question : « Si Dieu existe, comment le voyez-vous ? », huit catholiques français sur dix répondent : « une force, une énergie, un esprit». La grande majorité reste circonspecte à l’égard de Dieu : la moitié déclare qu’« il y a quelque chose mais je ne sais pas quoi». Seulement deux sur dix l’envisagent comme un personnage avec qui on peut entretenir une relation personnelle. Il est loin le temps où l’adhésion à la foi chrétienne impliquait la croyance au paradis, à l’enfer et aux miracles. Seul un catholique sur dix croit à la résurrection des corps (alors que c’est le dogme ociel de l’Église) et presque autant croient à la réincarnation dans une autre vie (qui est pourtant une croyance bouddhiste et hindouiste). Un quart des catholiques pensent qu’il n’y a rien après la mort (1) .
(1) « Les catholiques français méconnaissent de plus en plus leur foi » La Croix, 8 janvier 2007.

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