Séance d’humiliation

Tout a commencé par une humiliation. J’étais encore étudiant, doctorant en sociologie, et pour la première fois, je devais faire un exposé sur mes recherches dans un grand amphithéâtre, micro en main.

Je rêvais alors de faire une belle carrière d’intellectuel. L’occasion m’était donnée pour la première fois de briller en public. Mon intervention était programmée après celle d’un grand ponte, psychiatre reconnu, auteur de plusieurs livres de référence. Le genre de type que j’aurais voulu être. Il était aussi excellent orateur, véritable showman : vivant, captivant, drôle. L’auditoire a été aussitôt conquis.

Au fil de sa prestation, je sentais le stress monter. À vrai dire, une vraie panique. Quand mon tour est venu, j’ai tout de suite compris que mon exposé, trop long, trop abstrait, trop académique, allait ennuyer l’auditoire. Mon échec était annoncé.

J’ai pris le micro, la gorge serrée. Ma langue était sèche et ma main s’est mise à trembler. Mon malaise était visible ; je ressentais la gêne du public, ce qui n’a fait qu’augmenter ma panique. Et pas de verre d’eau pour retrouver ma salive. C’est alors que ma langue s’est littéralement collée à mon palais, oui collée ! Plus aucun son ne pouvait sortir de ma bouche ! Pendant quelques secondes interminables, je suis resté muet !

Incapable de retrouver ma voix, j’ai dû quitter la tribune en tremblant, le front en sueur. Le public a cru que je faisais un malaise. Le grand psychiatre est venu à mon secours et a pris le relais à ma place. Mon exposé venait à peine de commencer qu’il était déjà fini.

Depuis cette désastreuse expérience – une humiliation publique ! – j’ai appris le métier d’orateur. Il m’a fallu acquérir de l’expérience.

L’expérience, c’est la somme de ses gaffes passées. Je les ai à peu près toutes commises : des exposés trop longs, trop didactiques, trop abstraits, des blagues douteuses qui tombaient à plat, des improvisations mal maîtrisées, j’ai commis toutes les erreurs.

Au fil du temps, j’ai appris à articuler les récits et les concepts, les bons mots et idées clés. J’ai appris à contrôler mes émotions, à moduler le ton de ma voix, à impulser du rythme. J’ai appris à ralentir le tempo. Le bon orateur, comme le musicien, sait combien les silences comptent aussi. J’ai aussi appris une chose : l’importance d’être sincère. L’art oratoire passe souvent pour un pur exercice de style qui pourrait servir n’importe quelle cause. J’ai acquis la conviction que les plus belles prestations oratoires, si elles ne sont pas authentiques, finissent par sonner faux, comme de trop belles plaquettes publicitaires. L’art oratoire est utile : il ne permet pas nécessairement de briller, mais de convaincre, d’émouvoir et de donner à réfléchir. Désormais quand je prends la parole, je suis plus à l’aise. Mais je prends toujours soin d’avoir une petite bouteille d’eau à portée de main.

Au cas où.

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