Être athéniens temps du miracle grec : 4) les esclaves

La Grèce classique fut assurément une société esclavagiste. Au 5e siècle av. J.-C., on estime qu’à Athènes et dans sa région, un habitant sur deux (soit environ 200 000 personnes) était un esclave (1).
Chaque foyer avait ses esclaves (même Socrate en avait) et il fallait vraiment être sans le sou pour ne pas en avoir au moins un. Xénophon, dans son traité d’économie Des revenus, propose d’ailleurs que la cité en offre trois par citoyen : une mesure de protection sociale esclavagiste avant l’heure en quelque sorte (2). Les grandes familles en comptaient plusieurs dizaines à domicile pour s’occuper des affaires domestiques : les repas, le linge, les enfants et les soins des bêtes. Les travaux aux champs étaient bien sûr effectués par des esclaves, souvent dirigés par des esclaves en chef. Les mines de cuivre et d’argent du Laurion (à proximité d’Athènes), qui ont contribué à la fortune de la cité, en ont employé jusqu’à 20 000.Comment devient-on esclave ?
Les captures de guerre furent l’une des premières sources d’approvisionnement. Lors des guerres médiques contre la Perse, les prisonniers étaient transférés en Grèce et mis en esclavage. Entre cités grecques, il n’était pas d’usage de se mettre en esclavage, mais ce fut parfois le cas. Lorsque la cité de Mélos s’est soulevée contre Athènes, la répression fut implacable : la ville fut rasée, les hommes tués, les femmes et les enfants réduits à l’esclavage.Pour les pirates qui sillonnaient les flots (Méditerranée, mer Égée ou mer Noire), la capture d’humains était une affaire très lucrative. Platon lui-même, au retour d’un voyage en Sicile, fut enlevé et faillit être vendu : il dut son salut à l’intervention de son ami Annicéris qui a payé une lourde rançon pour le faire libérer.Après le traité de paix avec les Perses, quand la ressource en prisonniers de guerre fut tarie, il a fallu trouver de nouvelles pistes. La société athénienne ne pouvait plus se passer d’esclaves. Ils étaient indispensables pour cultiver les champs, fabriquer des armes, travailler dans les mines, construire les bateaux, etc. La main-d’œuvre servile n’était pas seulement une source d’enrichissement ; pour l’historien Patrice Brun, elle était indispensable au fonctionnement de la démocratie participative (3) : être citoyen exigeait d’être présent aux assemblées, d’assurer des charges de magistrature. Pendant ce temps, il fallait bien qu’un esclave fasse tourner la maison !Un véritable commerce d’esclaves, tout à fait comparable à ce que sera plus tard la « traite des Noirs », fut donc mis en place. Sur le port du Pirée, on pouvait se procurer toutes sortes de marchandises. Entre les poissons salés (venus des îles de la mer Égée), les rouleaux de papyrus (Égypte), et l’encens de Syrie, de belles cargaisons d’esclaves en provenance de Phrygie (Asie Mineure) étaient vendues à la criée (4). Les prix variaient fortement en fonction de la qualité de la « marchandise ». Une belle jeune fille destinée à devenir hétaïre (prostituée), ou un sculpteur de pierre qualifié valaient beaucoup plus qu’une femme ordinaire, achetée pour faire le ménage.D’autres ressources existaient. L’esclavage pour dette avait été supprimé par Solon au 6e siècle av. J.-C., mais cela n’empêchait pas certains citoyens dans la misère de se vendre eux-mêmes pour assurer leur subsistance. Et puis il y avait les enfants : être enfant d’esclaves, c’est le devenir à son tour. En outre, les maîtres disposaient librement des jeunes esclaves féminines et il n’était pas rare qu’un enfant naisse de cette domination. L’enfant restait parfois dans la famille du maître. Plus souvent, il était « exposé », c’est-à-dire abandonné au bord d’une route. S’il ne mourait pas, il pouvait être recueilli et placé dans une nouvelle famille… comme esclave.
Comment étaient-ils traités ?
Être esclave, c’est le fait d’appartenir à un maître qui peut disposer de vous exactement comme d’un animal. Certains propriétaires étaient donc brutaux et les (mal)traitaient comme du bétail. D’autres étaient plus bienveillants, notamment avec les esclaves domestiques qui les servaient au quotidien. Dans les familles aisées, chaque enfant avait son esclave attitré qui l’escortait au gymnase, portait ses affaires et se transformait parfois en compagnon de jeu. Certains esclaves finissaient par faire partie de la famille. Xénophon trouvait d’ailleurs que les Athéniens étaient un peu trop bienveillants avec leurs esclaves. La loi interdisait en effet de les battre en public ou de les tuer.
Il va de soi que les esclaves qualifiés connaissaient un meilleur sort. Certains esclaves lettrés ont pu faire carrière dans la « fonction publique » de l’époque, comme secrétaire ou comptable (5). D’autres travaillaient dans les banques et certains sont même devenus banquiers !

Les esclaves-banquiers d’Athènes

Pasion, un ancien esclave, a débuté comme comptable dans une banque d’Athènes. Puis il en a grimpé les échelons, a été affranchi par ses patrons et a fini par prendre la direction de la banque. Devenu richissime, il a investi dans l’acquisition d’une fabrique de boucliers, activité fort lucrative, qui fit de lui une des premières fortunes d’Athènes. À sa mort, il avait obtenu la citoyenneté athénienne (1).
Phormion, lui aussi esclave affranchi d’origine barbare, a repris les affaires de son maître à sa mort (et épousé sa veuve !). Il obtint la citoyenneté athénienne, ce qui lui permit de présider des cérémonies publiques en tant que « lithurge », c’est-à-dire maître de cérémonie, une fonction très prestigieuse et convoitée. 

(1) Maurice Sartre, « Pasion lègue sa femme ou De l’esclavage à la liberté », dans
Histoires grecques, Seuil, 2006.

Pourquoi ne se sont-ils pas révoltés ?
On imagine souvent les esclaves enchaînés, parqués ou surveillés comme l’étaient ceux des champs de coton en Amérique. Ce n’était pas le cas à Athènes où la plupart des esclaves qui travaillaient dans les boutiques, les ateliers ou les champs étaient libres de leur mouvement. Pourquoi ne cherchaient-ils pas à fuir ? La première raison est qu’ils n’avaient nulle part où aller. Où se seraient-ils réfugiés ? La cité voisine était certainement aussi une cité esclavagiste. De fait, un homme ou une femme ne pouvait aller frapper à une porte, entrer dans une auberge ou prendre un bateau librement. Une personne seule et sans attache est forcément un fuyard qui serait aussitôt dénoncé, repris, rapporté à son maître (où l’attend un sévère châtiment) ou bien… revendu à un autre maître. De plus, leur communauté natale avait souvent été décimée et leurs proches tués, dispersés ou vendus quelque part comme esclaves. Les fuites étaient donc rares.

Rares ont été aussi les révoltes, mais celle des mines du Laurion est à noter. Ils y étaient des milliers d’esclaves à travailler dans des conditions épouvantables. À la fin de la guerre du Péloponnèse, 20 000 d’entre eux se sont révoltés, ont fui les mines et pillé la région.

Pour le reste, les esclaves ne formaient pas un groupe unifié. Ils venaient de pays différents, étaient isolés en petits groupes dans des demeures ou ateliers où ils ne vivaient pas tous dans les mêmes conditions. À l’intérieur d’une maisonnée, certains avaient le privilège de côtoyer les maîtres, préparer leur repas, faire leur toilette : ils faisaient « presque » partie de la famille, ce qui n’est pas la même chose que de s’occuper des bêtes ou travailler aux champs. Les esclaves n’avaient pas tous les mêmes intérêts, ce qui rendait difficiles les alliances et actions collectives. L’absence d’intérêt commun, la hiérarchie des dominés, c’est selon La Boétie une des raisons de la « servitude volontaire ». Quand bien même l’idée d’un soulèvement général les aurait effleurés, ils n’auraient tout simplement pas pu le faire : il faut avoir des lieux de rencontre pour fomenter un complot.

Restait donc à courber l’échine, et chercher au mieux à améliorer son sort auprès d’un maître ou un contremaître bienveillant. Le seul rêve était d’être un jour affranchi. •

(1) « La guerre du Péloponnèse », L’Histoire no 479, janvier 2021.
(2) « L’esclavage à Athènes à l’époque classique », Ministère de l’Éducation, site Odysseum (en ligne).
(3) Patrice Brun, L’Invention de la Grèce, Odile Jacob, 2021.
(4) Ibid.
(5) Paulin Ismard, La Démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne, Seuil, 2015.)

Il est formellement interdit de tuer son esclave

À Athènes, on pouvait rudoyer ses esclaves, mais pas en public. Et les tuer était considéré comme un délit. Platon relate dans un de ses premiers dialogues, Euthyphron, l’histoire d’un propriétaire qui voulut punir un de ses métayers pour avoir tué un esclave. Il fit ligoter et enfermer le fautif puis interrogea un juge pour savoir quelle peine méritait le coupable. La réponse a dû se faire attendre, car le maître finit par oublier son prisonnier et le pauvre homme mourut dans son cachot. Ce qui nous en dit long sur la douceur des mœurs de l’époque. 

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